Avec AFP
À l’occasion des 80 ans du Débarquement en Normandie, le président français Emmanuel Macron présidera le 6 juin une cérémonie internationale à Omaha Beach. Comme tous les 10 ans, l’anniversaire du Jour-J est devenu un rendez-vous incontournable pour de nombreux chefs d’État. Mais ces commémorations n’ont pas toujours connu une dimension politique et diplomatique, évoluant au fil des décennies.
Le président américain Joe Biden, le prince William, le chancelier allemand Olaf Scholz, le Premier ministre canadien Justin Trudeau, le président ukrainien Volodymyr Zelensky ou encore le Président du conseil européen Charles Michel. Le jeudi 6 juin, ils seront 25 chefs d’État, rois ou reines, représentants de pays alliés ou ennemis, à participer aux côtés du président français Emmanuel Macron à l’hommage international organisé à Omaha Beach aux plus de 150 000 soldats qui ont débarqué le 6 juin 1944 sur les plages de Normandie.
Les commémorations du Jour J sont aujourd’hui devenues un rendez-vous politique et diplomatique incontournable pour les grands de ce monde. Mais cette mémoire n’a pas toujours bénéficié d’une telle intensité. Il aura fallu plusieurs décennies avant que cet événement historique n’obtienne un tel écho international.
Le 6 juin 1945, ils ne sont que quelques centaines de personnes à commémorer le premier anniversaire de l’opération Overlord. Alors que la Seconde Guerre mondiale n’est pas encore terminée sur le front du Pacifique, une délégation composée des ambassadeurs des États-Unis, de Grande-Bretagne, du Canada et des ministres français de la Guerre de la Marine et de l’Air se réunit notamment à Arromanches.
Dans les années qui suivent, dans une Normandie qui se reconstruit, ces commémorations sont presque essentiellement militaires et franco-francaises. “Il s’agissait plutôt de manifestations populaires communales avec des petits comités installés un peu partout”, décrit Tristan Lecoq, professeur des Universités associé à l’Université de Paris Sorbonne, spécialiste d’histoire militaire contemporaine.
De Gaulle ignore le 6 juin
Pour le 10e anniversaire du Débarquement, en 1954, l’événement prend une tournure plus officielle. Le président René Coty, un Havrais, se rend dans les départements du Calvados et de la Manche pour deux jours de déplacements. À Utah Beah, il assiste à un défilé de troupes alliées puis inaugure le “Dday Museum”, le tout premier musée construit en Normandie pour commémorer le Jour J.
Dix ans plus tard, en 1964, la télévision retransmet en direct pour la toute première fois les commémorations. Mais le chef de l’État, le président Charles de Gaulle, brille par son absence. “Il a refusé de commémorer le 6 juin compte tenu de la façon dont il avait été traité au moment du Débarquement. Il n’avait pas été associé aux discussions ni à sa mise en œuvre”, explique l’historien Denis Peschanski, président du conseil scientifique et d’orientation de la Mission Libération. L’ancien chef de la France libre estime que l’opération Overlord ne concerne que les Alliés, comme le précise Tristan Lecoq : “Il a toujours refusé de reconnaître, même de passer en revue, le commando Kieffer qui a participé au Jour J. Pour lui, c’était des gens qui étaient à la solde de l’étranger. Derrière tout cela, il y avait la notion de souveraineté nationale et militaire”.
De Gaulle préfère ainsi se rendre le 15 août 1964 aux commémorations du débarquement de Provence et mettre en avant le rôle des troupes françaises et notamment celle de l’Armée d’Afrique dans la Libération de la France. En 1974, fraîchement élu, le président Valéry Giscard d’Estaing ne fait pas non plus le déplacement en Normandie et y envoie simplement son ministre des armées Jacques Soufflet.
L’année suivante, il supprime le jour férié du 8 mai. “Il voulait apparaitre comme un président jeune débarrassé des lourdeurs et des pesanteurs de l’époque de De Gaulle et de Pompidou. Il veut passer à une autre période”, estime Tristan Lecoq. Mais en 1981, à peine élu, François Mitterrand rétablit le 8 mai en tant que jour férié commémoré.
Le tournant des commémorations de 1984
Le véritable tournant mémoriel et politique s’opère en 1984. Pour la première fois, le président français invite six chefs d’État, dont son homologue américain Ronald Reagan et la reine d’Angleterre, pour une cérémonie internationale organisée à Utah Beach en présence de milliers de vétérans. A la pointe du Hoc, là où les rangers américains ont livré de violents combats avec les soldats allemands, Ronald Reagan se fait filmer dans un blockhaus en compagnie de son épouse, tandis que François Mitterrand retrouve Elizabeth II au cimetière britannique de Bayeux. “C’est le début des très grandes commémorations qui font que cela devient un événement monde”, résume Denis Peschanski.
Après une période de détente, ce début des années 1980 est marqué par un regain de tensions Est-Ouest avec notamment la crise des euromissiles. Pour Tristan Lecoq, le président français entend alors montrer sa stature et rappeler l’importance du lien transatlantique : “Lors de la cérémonie, il est le seul à prendre la parole. Il se pose dans une certaine mesure comme le garant de l’alliance occidentale”.
En 1994, toujours au pouvoir, François Mitterrand préside une nouvelle cérémonie internationale pour le 50e anniversaire du Débarquement avec une dizaine de chefs d’État. Le contexte a alors changé cinq ans après la chute du mur de Berlin et la réunification allemande qui s’en est suivie. La guerre froide a pris fin. La Pologne est ainsi invitée pour la première fois et représentée par son président Lech Walesa.
Une décennie plus tard, c’est au tour de la Russie et de l’Allemagne de prendre part aux commémorations. Le président russe Vladimir Poutine est présent à Gold Beach, tout comme le chancelier allemand Gerhard Schröder. L’accolade de ce dernier avec le président français Jacques Chirac au Mémorial de Caen entre alors dans l’histoire. “L’Europe a appris sa leçon et nous, Allemands, ne nous déroberons pas”, déclare Gerhard Schröder, tandis que le président français lui répond : “Les Françaises et les Français vous reçoivent plus que jamais comme un ami. Ils vous reçoivent en frère”. En 2004 alors que les valeurs de paix et de réconciliation sont célébrées, les cérémonies changent également de nature. À travers l’utilisation du spectacle vivant et de mises en scènes, elles s’accompagnent “d’une spectacularisation” et deviennent un objet télévisuel esthétique.
Le format Normandie
Pour le 70e anniversaire, le curseur est à la fois placé sur la dimension locale avec un hommage national enfin rendu aux 20 000 victimes civiles de la Bataille de Normandie par le président François Hollande, mais aussi sur le caractère éminemment international avec la présence de 24 chefs d’État, chefs de gouvernement et monarques à Sword Beach. Dans un contexte de tensions entre Occidentaux et Russes à propos de l’Ukraine, l’actualité est au cœur de ces commémorations de 2014. François Hollande en concertation avec la chancelière allemande Angela Merkel décide d’inviter le président russe Vladimir Poutine et son homologue ukrainien Petro Porochenko pour tenter de mettre fin au conflit déclenché par les séparatistes prorusses dans l’est de l’Ukraine et par l’annexion de la Crimée.
Cette réunion semi-officielle quadripartite organisée le jour des célébrations du 6 juin entre dans l’Histoire sous le terme de “format Normandie” et se répète à plusieurs reprises. La dernière de ces rencontres diplomatiques aura lieu en février 2022, quelques jours avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
En cette année 2024, Vladimir Poutine a été déclaré persona non grata. Paris a même renoncé à toute représentation russe lors des commémorations du Jour J, contrairement à son intention initiale. “Les conditions ne sont pas réunies compte tenu de la guerre d’agression contre l’Ukraine, qui s’est encore intensifiée ces dernières semaines”, a tranché l’Élysée. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky sera en revanche bien présent au côté d’Emmanuel Macron, de Joe Biden et des dirigeants européens. Sur les plages normandes, les Occidentaux vont essayer d’apparaitre plus que jamais unis face à la Russie.
La future absence des vétérans
D’un point de vue national, le président français prévoit une “pérégrination mémorielle” de trois jours en Bretagne et en Normandie. Au cours de ce programme chargé, il entend aborder tous les sujets de la résistance intérieure, aux victimes civiles, en passant par la logistique de l’opération Overlord jusqu’au retour du régime républicain.
Ce 80e anniversaire va également marquer un nouveau tournant mémoriel avec la présence pour la dernière fois d’un certain nombre de vétérans placés au cœur de ces cérémonies. Mais alors que les derniers acteurs de ces événements disparaissent, l’attention portée à ces commémorations ne semble pas s’essouffler.
Huit décennies après le Jour J, elles bénéficient toujours d’une énorme ferveur populaire, selon Denis Peschanski : “On le voit bien avec le nombre incroyable d’initiatives locales notamment dans les écoles que ce soit en Normandie ou dans toute la France. La question de la transmission est bel et bien intégrée. Il y a une véritable mobilisation et elle ne risque pas de s’atténuer”.