Avec Jeune Afrique

À Foumban, les violences perpétrées par la garde rapprochée du sultan des Bamouns contre des membres de la famille royale ont laissé des traces. Au point que le pouvoir de Nabil Njoya est critiqué, trois ans seulement après son accession au trône.

Il y a encore deux semaines, la ville de Foumban, dans l’ouest du Cameroun, vibrait au rythme du Nguon, le festival culturel marquant l’unité du peuple bamoun. L’événement célébré en grande pompe faisait son grand retour après quatre années d’absence dues à la pandémie de Covid-19. Il se tenait aussi pour la première fois depuis son inscription au patrimoine immatériel de l’Unesco et depuis l’intronisation de Nabil Njoya comme sultan des Bamouns. Mais quelques jours plus tard, c’est un autre événement qui a fait grand bruit dans la capitale du département du Noun, faisant scandale dans tout le pays.

Samedi 14 décembre, des membres de la sécurité du palais du sultan Nabil Njoya ont en effet débarqué dans une des résidences de l’édifice, passant à tabac l’ensemble des personnes présentes. Parmi les victimes, d’éminentes personnalités de la cour, dont la cohéritière et conseillère du sultan, Rabiatou Mamboune Mbombo Njoya, ainsi que sa mère, l’une des neuf épouses du défunt monarque Ibrahim Mbombo Njoya. Les raisons de cet accès de violence demeurent floues. Selon des sources non officielles, cet incident serait cependant le dernier acte d’une série d’intrigues qui divisent la cour royale et la ville de Foumban depuis plusieurs mois.

Autour de Nabil Njoya, une cour divisée

Les premiers mois sur le trône de Nabil Njoya, couronné à 28 ans, avaient pourtant été marqués par un engouement populaire, signe d’un capital sympathie considérable. Fort de ce soutien, le jeune monarque s’est attelé depuis lors à imposer sa marque sur la gestion des affaires royales, sans jamais craindre de bousculer certains caciques ou certaines habitudes de la cour. Mais l’état de grâce a-t-il pris fin ? Les habitués de la cour ont notamment peu apprécié la nomination du grand-père maternel du nouveau sultan, que ce dernier a fait « Mamba Mfon » (« Grand oncle »), et encore moins le retrait des clés du musée du palais au demi-frère Arouna Mbombo Njoya, qui assurait la direction du lieu depuis son ouverture.

Celui-ci a été remplacé par Oumarou Nchare, qui n’appartient pourtant pas à la famille royale. Un affront, selon les détracteurs de Nabil Njoya. Mais la controverse la plus importante est celle née entre le sultan et sa cohéritière, Rabiatou Mamboune Mbombo Njoya. Selon nos informations, les relations avec cette dernière se sont tendues en raison de son rapprochement avec Nji Komidor Njimoluh Hamidou, ambassadeur du Cameroun en Algérie et notable à la cour de Foumban, et surtout en rupture de ban avec le nouveau sultan. Nabil Njoya a-t-il craint que cet ancien conseiller de son père profite de sa relation avec Rabiatou Mamboune Mbombo Njoya pour reprendre pied au palais ?

De fait, les deux camps ne se voient plus et ne se parlent plus depuis plusieurs mois. Signe des tensions en cours, ni Rabiatou Mamboune Mbombo Njoya, ni sa mère n’ont pris part à la cérémonie de jugement du sultan, moment le plus important du dernier Nguon. Et la situation se serait envenimée jusqu’à aboutir aux violences enregistrées le 14 décembre. Absent au moment de l’incident, Nabil Njoya a, depuis, regagné son palais. Le jeune monarque n’a cependant pas jugé utile de condamner publiquement la violence de ses gardes ou de prendre des mesures disciplinaires à leur encontre.

Des plaintes à venir contre le sultan

Ces derniers n’en sont pourtant pas à leur premier fait d’armes. En août dernier déjà, les membres de la garde rapprochée de Nabil Njoya s’étaient illustrés en empoignant publiquement le chef de la communauté voisine, les Tikars. Le crime de ce chef traditionnel de deuxième degré – un de moins que celui de Foumban –, était d’avoir désigné le sultan, son cadet, par l’expression « mon fils ». Peu importe que, selon l’histoire, le peuple bamoun soit effectivement des descendants des Tikars : les membres de la garde royale n’ont pas supporté le supposé affront et ont vigoureusement dépossédé l’infortuné de ses attributs royaux.

Nabil Njoya, présent au moment des faits, n’avait, déjà, pas jugé bon de contenir sa garde. Choquées par ce geste, les élites tikars étaient allées jusqu’à dénoncer cet incident dans une pétition adressée à la présidence de la République. Mais Yaoundé s’est jusque-là gardé de réagir, sans doute pour ne pas froisser le sultan et patron du stratégique département du Noun, dans la frondeuse région de l’Ouest. Nabil Njoya avait finalement tenté de calmer le jeu en accusant de mystérieuses « personnes tapies dans l’ombre, qui veulent voir Bamouns et Tikars en guerre », et en lançant un appel à « la cohésion sociale et au vivre-ensemble ».

Cet appel pourrait cependant ne pas être entendu, y compris au sein de la famille de l’intéressé. Après l’incident du 14 décembre dernier au palais de Foumban, les victimes des sbires du sultan ont été conduites à l’hôpital régional de Bafoussam, dont elles sont aujourd’hui toutes sorties. Néanmoins, celles-ci ont annoncé qu’elles allaient déposer plainte contre les auteurs des violences au sein de la garde royale, mais aussi contre le sultan lui-même. Trois ans après son accession au trône, le pouvoir de Nabil Njoya apparaît donc déjà menacé de l’intérieur. Le jeune monarque de l’Ouest saura-t-il redresser la barre ?

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