Par Maurice Kamto
DÉCLARATION DU MOUVEMENT POUR LA RENAISSANCE DU CAMEROUN A L’OCCASION DES 40 ANS DE M. PAUL BIYA A LA MAGISTRATURE SUPREME DU PAYS
Au moment où certains s’apprêtent à célébrer avec frénésie le 40e anniversaire de l’accession de M. Paul BIYA à la magistrature suprême de notre pays, il est utile de rappeler, pour nos compatriotes qui se situent dans la tranche d’âge de 0 à 40 voire à 45 ans, le contexte de son avènement, et de revisiter l’itinéraire suivi, qui éclaire la dérive progressive ayant conduit la Cameroun dans les tourments où il se trouve aujourd’hui.
Le jeudi, 04 novembre 1982, le peuple camerounais apprenait la démission d’Ahmadou AHIDJO, premier Président de la République du Cameroun, par un message délivré sur les antennes de la radiodiffusion nationale. Le Président AHIDJO transmet le pouvoir à son successeur constitutionnel, M. Paul Biya, alors Premier Ministre, dès le 06 novembre 1982, après 24 ans au pouvoir. C’est donc par une passerelle juridique, à la constitutionalité contestable, qu’Ahmadou AHIDJO a offert le pouvoir sur un plateau en or et en dehors de toute élection, à M. Paul BIYA, dont il avait préparé le chemin en le nommant, entre autres, Secrétaire général de la Présidence de la République, Premier Ministre en 1975, puis en 1979 avec droit de succession.
Pour le peuple camerounais, l’accession au pouvoir de cet homme de 49 ans, réservé, au profil de technocrate ouvrait une ère nouvelle chargée d’espoir et de rêves. Comme beaucoup d’autres Camerounais, j’explosai littéralement de joie à l’annonce de son avènement, et avec d’autres compatriotes de notre cité universitaire à 6000 km de notre pays, on passa la nuit à imaginer le pays nouveau à la construction duquel on se hâtait pour contribuer.
Les perspectives étaient radieuses. Un homme jeune et lettré, qu’on croyait ouvert à la modernité prenait les rennes d’un des pays les plus dynamiques et d’un des peuples les plus fiers d’Afrique. Ahmadou AHIDJO avait laissé un pays rayonnant économiquement et diplomatiquement, avec les caisses de l’Etat pleines et un niveau industriel et social enviable et envié en Afrique, qui nous plaçait parmi les pays à revenu intermédiaire, donc appelé à sortir du sous-développement en une génération.
Quarante ans plus tard, la question que l’on se pose tous, ouvertement pour certains et sous cape pour d’autres, est : Que nous est-il arrivé, à la fois comme pays et comme peuple, avec ce régime dit du « Renouveau » ?
Nous nous garderons de dresser ici un bilan économique et social de ce régime, nous réservant de la faire en période électorale où ce genre d’exercice aide les électeurs à faire leur choix, face à une offre alternative.
Il nous suffira de rappeler, dans le contexte de l’évènement qui a suscité la présente déclaration, que dès sa prise de pouvoir, le nouveau Président, porté par la ferveur de tout un peuple, a promis la rigueur dans la gestion, la moralisation des comportements, et, plus tard, a souhaité être considéré comme celui qui aura laissé à son pays la démocratie et la prospérité.
En 1982, M. Paul BIYA hérite d’un pays gouverné sous l’emprise d’un parti unique, en réalité un parti-État. Après son accession au pouvoir, M BIYA ne se pressera pas, loin s’en faut, de revenir au multipartisme qui anima la vie politique avant et après l’indépendance, jusqu’en 1966. Bien au contraire, lorsque souffle ce qu’on appela le ‘’vent de l’Est’’ au début des années 90, ses partisans manifestent à travers le pays contre le multipartisme « précipité ».
Sous la pression internationale, il finira par instaurer le multipartisme, non sans avoir au préalable jeté en prison des citoyens dont le crime était d’avoir constitué des partis politiques. Ce qui était une curiosité dans une démocratie auto déclarée, d’autant plus que la création de ces partis était conforme à la Constitution alors en vigueur.
Après les premières élections législatives multipartites de 1992, perdues par le parti au pouvoir, le RDPC, M. BIYA va verrouiller le système électoral, acceptant du bout des lèvres la limitation du nombre des mandats présidentiels à deux mandats de sept ans, dans le cadre de la réforme constitutionnelle de 1996. Ce verrou sera enlevé en 2008 à la faveur d’une révision de la Constitution, vivement contestée avec à la clé des dizaines de morts. Pour autant, il ne reviendra pas au mandat de cinq ans, qui existait avant la Constitution de 1996.
En 1985, le président Paul BIYA sèmera les germes de l’instabilité politique au Cameroun en décidant unilatéralement de modifier la dénomination du pays, en remplaçant République Unie du Cameroun par République du Cameroun tout court. Cette décision malheureuse sera au centre des contestations de nos compatriotes des régions anglophones, lesquelles conduiront, à partir de 2016, à des revendications sécessionnistes. La décentralisation, pourtant adoptée par la réforme constitutionnelle de 1996 comme réponse aux revendications fédéralistes de ces compatriotes, et dont l’application aurait pu être une réponse acceptable pour bon nombre d’entre eux était restée lettre morte. Le Cameroun, considéré comme un ilot de paix, va basculer dans une guerre fratricide, longtemps niée par le gouvernement.
Les solutions pour une sortie de crise proposées par le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun et d’autres institutions, y compris religieuses, seront ignorées, le pouvoir en place ayant opté pour un simulacre baptisé pompeusement Grand Dialogue National (GDN) en novembre 2019, dont les résultats pour la paix se font encore attendre.
Les institutions prévues par la révision constitutionnelle de 1996 se sont péniblement mises en place, notamment le Sénat, dont la pertinence est de plus en plus contestée dans la forme actuelle de l’Etat, et qui apparait comme un instrument budgétivore servant au Président à récompenser par des nominations ses soutiens politiques.
A ce jour, la Haute Cour de Justice prévue par la Loi Fondamentale et compétente pour juger les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions par le Président de la République, le Premier Ministre et les membres du gouvernement, n’a toujours pas été mise en place, et pour cause.
S’agissant des droits et libertés individuelles et collectives, les acquis de 1990 ont été progressivement érodés ou purement et simplement abandonnés, entraînant notamment un piétinement arrogant des droits fondamentaux des citoyens et des libertés publiques.
A titre d’illustration : en janvier et juin 2019, puis en septembre 2020, des milliers de militants politiques, en particulier du MRC, sont arrêtés, traduits devant les tribunaux militaires, et pour certains, condamnés à de lourdes peines de prison pour leurs opinions politiques. On a voulu traumatiser les Camerounais en semant la terreur d’Etat dans la cité. Le semblant de démocratie rétablie au début des années 1990 s’est transformé en dictature ouvertement assumée.
Après sa défaite électorale de 1992, d’autant insupportable qu’elle était inattendue, le régime-RDPC a déployé un arsenal législatif et institutionnel pour la fraude électorale et s’assurer, avec le concours des divers organes de l’Etat, une victoire administrative qu’il ne peut obtenir par les urnes. Il s’est arcbouté sur un code électoral défectueux, surtout après une nouvelle défaite à l’élection présidentielle de 2018 ; c’est ainsi qu’il a rejeté jusqu’à présent tous les appels et propositions pour une réforme consensuelle du système électoral qui permettrait au pays d’éviter des crises électorales et de garantir au pouvoir et autres élus une légitimité démocratique et populaire nécessaire pour mener des politiques audacieuses. Le régime-RDPC et son chef ont donc taillé un code électoral à leur mesure, c’est leur assurance-vie politique. Ils n’organisent les élections qu’en se déclarant d’avance vainqueurs, les autres candidats ou partis politiques, qu’ils soient des candidats réels ou fabriqués, devant se contenter du rôle d’accompagnateurs.
Mais le scrutin historique de 2018 et tous les évènements qui l’ont entouré ont ouvert les yeux des Camerounais.
L’insécurité a fait son lit, non seulement avec les attaques terroristes de la secte Boko Haram, mais bien plus encore avec la guerre fratricide dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest et la montée de différentes formes de criminalité organisée, dont le Cameroun était plutôt épargné jusque-là.
Le vivre-ensemble est devenu un slogan creux destiné à masquer les barrières tribales que le pouvoir en place essaye d’ériger entre les Camerounais qui, heureusement, ne sont pas dupes, et restent déterminés à vivre dans la fraternité et la concorde.
La diplomatie camerounaise jadis rayonnante en Afrique et dans le monde, est aujourd’hui moribonde. Dépourvue de vision, d’objectifs clairs et de la moindre stratégie, souvent oubliée entre les mains de diplomates nommés presque à vie à des postes d’ambassadeur, elle vogue au gré des vents et de circonstances.
La corruption systématique et généralisée a ruiné les finances publiques, appauvri le pays et plongé la majorité des ménages dans la misère. Derrière la façade de la lutte contre ce fléau, règne une impunité qui opère comme une incitation au détournement de la fortune publique. Sinon, comment expliquer les lenteurs, voire le silence de l’Etat face à des cas de corruption avérés comme dans la construction des infrastructures de la CAN 2019-2022, l’affaire GLENCORE, l’affaire DIKOLO, l’affaire des FONDS de la COVID-19 pour ne citer que quelques cas emblématiques récents ?
Comment laisser prospérer de telles situations dans un pays où le SMIG reste à moins de 37.000 FCFA, où il n’y a pas eu d’augmentation des salaires dans la Fonction publique depuis des années alors qu’ils sont parmi les plus bas par rapport aux pays de niveau comparable, où l’accès à l’éducation et aux soins de santé reste hors de portée pour un grand nombre de Camerounais, où le phénomène de l’inflation, « dit de la vie chère », bouleverse les ménages et accentue la paupérisation des populations déjà rongés par le misère ?
Le « Renouveau » était un rêve sans contenu pour le Cameroun, il a conduit notre beau pays à la ruine. Peut-être son porte fanion n’y croyait-il pas lui-même. Car on ne peut attribuer ce désastre national au seul fait de la tentative de coup d’Etat manqué du 6 avril 1984. Certes, ce fut une attaque grave et inacceptable aux institutions de la République. Toutefois, non seulement il fut tenu en échec, mais le Président BIYA qui en était la cible principale devrait avoir surmonté ce traumatisme, ne serait qu’après une décennie. Dans le cas contraire on voit mal pourquoi il aurait tout mis en œuvre pour conserver le pouvoir plus de trois décennies après. S’il l’a fait, c’est probablement qu’il croyait pouvoir encore apporter quelque chose à son pays. Il a sans doute fait du mieux qu’il pouvait. Mais il doit avoir la lucidité de constater qu’il n’a pas pu apporter au Cameroun la démocratie et la prospérité. On peut donc conclure avec lui qu’il a échoué par rapport aux objectifs qu’il s’était fixé lui-même.
Pire, son Renouveau aura été une régression nationale, qui a œuvré à la division des Camerounais, installé un système inextricable de prédation et de détournement des fonds publics, détruit la morale publique, le patriotisme et le sens civique, plongé de façon délibérée le pays entier dans le chaos urbain, cassé l’ascenseur social et crée la culture du mépris des pauvres et de ceux qui pensent différemment.
C’est ce pays-là qu’ensemble nous devons faire renaître demain des cendres de sa gloire passée et le projeter dans le monde de demain, certes redoutable mais aux possibilités illimitées, grâce à la science et la technologie et l’enracinement dans ce que nous sommes par rapport au reste du monde. C’est à cela que le MRC et moi-même convions depuis dix ans la jeunesse camerounaise, dont il n’y a pas lieu de s’appesantir ici, à nouveau, sur le dynamisme, la créativité et le talent exceptionnel.
Que vienne la Renaissance nationale avec tous les Camerounais et pour tous les Camerounais !
Yaoundé, le 05 novembre 2022
Le Président national