Avec MONDAFRIQUE

En 41 ans, ils sont entre autres religieux, avocats, journalistes et étudiants à avoir perdu la vie dans des circonstances troubles. Les nombreuses enquêtes judiciaires ouvertes n’ont jamais pu révéler les réels mobiles de ces morts violentes et barbares laissant ainsi le doute planer. Même si les familles gardent le silence parfois par peur des  menaces, elles continuent de porter le deuil.

De la période allant de 1982 à 2023, du sang a été versé au Cameroun de manière barbare et violente. Un tableau macabre qui affiche une cinquantaine de cas répertoriés dans le cadre de cette enquête. Ont perdu la vie dans d’atroces souffrances, journalistes, banquiers, étudiants, religieux, commerçants, avocats, hommes de culture et universitaires. On liste aussi des veuves d’hommes politiques et des enfants.

Malgré le temps qui est passé, la seule évocation de ces crimes crapuleux contribue à créer des remous autour des familles. Les différentes sources d’information interrogées jugent nécessaires de se terrer dans un mutisme suspect. Personne ne souhaite s’exprimer, même les avocats de certaines familles des victimes refusent de dire mot, prétextant le « secret professionnel ».

Les familles quant à elles, semblent avoir disparu avec leurs morts, car elles restent introuvables. Quelques proches retrouvés, malgré toutes les assurances données sur la protection de leur identité, choisissent de garder le silence. 

L’écrivain Arol Ketchiemen, auteur de : « Rivière de sang, enquête sur les morts non élucidées », témoigne « qu’il y a quand même certaines familles courageuses qui se battent depuis quelques années pour réclamer justice et très souvent, finissent par capituler à cause des pressions diverses. L’une d‘entre elles, après avoir été menacée, s’est résignée ».

Selon Cyrille Rolande Bechon, de l’Ong Nouveaux Droits de l’Homme, « il y a des cas où les familles des victimes ont complètement abandonné parce qu’elles ont compris les réalités mafieuses du Cameroun. Certaines ont tout laissé tomber parce que financièrement épuisées par les tracasseries judiciaires. Certaines familles ont peur pour leur sécurité quand une autorité est citée dans leur affaire. Elles choisissent donc de se taire surtout celles qui connaissent la brutalité du régime en place », explique-t-elle. La directrice exécutive poursuit qu’il y a des cas où les coupables ont été trouvés et emprisonnés sans jamais statuer sur les réparations ou sur la situation des victimes.

Pour le Pr Claude Abé, sociologue, ce silence « complice » des familles, peut s’expliquer par le fait que les crimes ont cela de particulier qu’ils traumatisent les familles et parfois ce traumatisme de la cellule familiale, prend également en charge toute la société entière. Selon cet universitaire, quand on voit les familles qui après de nombreuses années n’arrivent pas à parler, cela peut se traduire par le fait qu’elles se disent : « nous avons déjà été victimes une fois, nous ne voulons plus le subir ».   Il ajoute : « la société camerounaise a une grosse part de responsabilité là-dedans on ne peut pas comprendre qu’une société soit aussi apeurée qu’elle oublie très facilement des gens qui ont compté pour elle ».

Toujours pour expliquer ce silence qu’il qualifie d’inquiétant, le Pr Claude Abé affirme : « on peut se dire que ceux qui ont éliminé des gens ont des complicités même après l’élimination parce qu’en réalité, si une société encourage un travail de mutisme, ça devient comme un silence structurel, organisé qui fait que ça expose davantage les individus qui pourraient défendre les intérêts des populations. Ça semble être une stratégie politique qui vise à faire taire les leaders qui peuvent être des gens bruyants et qui peuvent dénoncer un certain nombre de choses »conclut-il.

Menaces

Même des journalistes ayant assuré la couverture de ces faits macabres ont subi des menaces.  Xavier Messè, actuel directeur de la publication du journal « Le Calame », se souvient qu’en tant que directeur des rédactions du Groupe l’Anecdote, en pleine investigation sur la mort de Mgr Jean Marie Benoît Balla en 2017, va recevoir des menaces via des appels téléphoniques et des messages électroniques. Peu après,  le journaliste est contraint d’abandonner ses recherches sur instruction de sa hiérarchie.

Répartition par profession des assassinats non élucidés au Cameroun de 1982 à 2023

Dans la même affaire, le journaliste Léger Ntiga, directeur des rédactions du journal Essingan, confie également subir des menaces. Il faut rappeler que Mgr Bala, évêque du diocèse de Bafia, dans le Mbam et Inoubou, région du Centre, entre 2003 à 2017 a disparu dans la soirée du mardi 30 mai 2017. Sa voiture de marque Toyota Land Cruiser Prado immatriculée CE 9503V de couleur blanche est retrouvée le lendemain sur le pont d’Ebebda, dans la Lékié, région du Centre. A l’intérieur étaient déposées ses pièces personnelles et un bout de papier contenant l’effrayant message « Je suis dans l’eau ». Six ans après, le mystère continue même si les premières conclusions de l’enquête judiciaire ont révélé le 4 juillet 2017 dans un communiqué du procureur général près la Cour d’appel du Centre, Jean Fils Ntamack, que la noyade était la cause la plus probable de la mort de cet homme de Dieu.

Violences

Tout à côté de la mort de Mgr Jean-Marie Benoît Bala, le sang de plusieurs autres victimes a coulé dans des situations toutes aussi troubles et peut-être moins tristement célèbres. Même si les émotions sont retombées, le doute continue de planer et les interrogations persistent sur les raisons de ces morts que nombreux considèrent aujourd’hui comme crimes non élucidés. « On parle de crime non élucidé lorsque la justice n’a pas pu résoudre l’affaire en désignant les responsables », explique Dr Abdel Nasser Issa Pave, juriste criminologue.

À sa suite, Me Thierry Henri Atangana, expert criminel assermenté, ajoute qu’il s’agit premièrement des crimes en cours d’enquête et deuxièmement, des affaires classées. Mieux encore, elles peuvent être celles qui le sont définitivement, soient qui sont proscrites juridiquement ou tout simplement classées sans suite. Dans ce processus de définition, Dr Nasser poursuit que les crimes non élucidés sont ceux pour lesquels, les circonstances ne permettent pas de mener une enquête soit encore que lesdites circonstances ne mènent à aucune piste (responsable) probante. « Dans un cas comme dans l’autre, il est impossible de désigner les auteurs de ces infractions », souligne-il. 

Loin de ces avis d’experts, Xavier Messè, pense que les crimes non-élucidés sont ceux dont les résultats d’enquêtes sont entourés d’une certaine opacité. Avis corroboré par Arol Ketchiemen, qui croit savoir que pour se prononcer sur un crime non élucidé, il faut attendre sur le long terme, c’est-à-dire patienter jusqu’à ce que les conclusions de l’enquête soient disponibles.

Souvent accompagnés d’une extrême violence, ces morts selon Léger Ntiga, n’ont souvent curieusement rien à voir avec la version officielle. Elles seraient donc entachées de mobiles que les autorités ne veulent pas révéler. Dans ce registre, on a le cas de Me Mbopda décédé le 5 avril 1990. L’avocat a été assassiné par un gardien de la paix, Louis Emandion, en service au Groupement mobile d’interventions (Gmi) de la ville de Bafoussam. Le procès a duré deux ans et le 17 février 1992, la chambre criminelle du Tribunal de grande instance de Bafoussam rend son verdict. Le gardien de la paix est condamné à vie sauf que le mobile de son forfait est resté non élucidé.

Pour Léger Ntiga, les crimes non élucidés se caractérisent par les causes officielles de la mort souvent qui ne concordent pas avec les signes visibles sur la dépouille. Ce qui se vérifie dans l’affaire du journaliste Germain Cyrille Ngota Ngota connu sous l’appellation de Bibi Ngota, décédé le 23 avril 2010 à la Prison centrale de Kondengui à Yaoundé. Le ministre de la communication de l’époque, Issa Tchiroma Bakary a publiquement confessé au cours d’une conférence de presse donnée à Yaoundé le 23 avril 2010, que ce journaliste et directeur de publication du journal « Cameroun Express » est décédé des suites d’infections opportunistes subséquentes au Vih.

Des conclusions qu’il dit tenir des rapports du responsable de l’infirmerie de ce pénitencier. Or, la génitrice de ce journaliste madame veuve Ngoulou née Edima Georgette a assuré dans une interview accordée le 27 avril 2010 au site Camer.be que son fils avait été « torturé ».  Informations que ne corrobore pas l’enquête officielle qui va  plutôt révéler que Bibi Ngota n’a pas été victime de mauvais traitements. Le Dr Um Um Bitanga, médecin légiste, affirme qu’il existe des signes extérieurs qui renvoient à des genres particuliers de mort.  « Mais c’est l’autopsie qui permet de confirmer la cause de la mort. L’autopsie permet un examen macroscopique, puis éventuellement microscopique des organes ainsi que des examens biochimiques et toxicologiques », précise- t-il.

Opacité

Pourquoi les enquêtes autour de ces morts ne prospèrent pas ? Xavier Messè invoque l’implication de l’Etat qui peut se traduire par l’ouverture des enquêtes dont les résultats ne sont jamais connus, une façon perçue par l’auteur de « Rivière de sang, enquête sur les morts non élucidées » dans son interview à Naija Tv comme une façon d’enterrer une affaire. D’ailleurs Edmond Locard, professeur de médecine légale, fondateur du premier laboratoire mondial de police scientifique en 1910 à Lyon en France déclarait : « dans l’enquête criminelle, le temps qui passe, c’est la vérité qui s’enfuit. » Une volonté de dissimuler les preuves qui a été suspectée dans l’affaire Martinez Zogo encore en cours.

Des personnalités au sommet de l’Etat ont été citées dans l’assassinat de cet animateur radio mais plus rien n’a filtré.

Un nuage a recouvert l’opération du test d’Adn pratiqué sur la dépouille de ce chef de chaîne d’Amplitude FM dont le corps en état de putréfaction avancé a été découvert le dimanche 22 janvier 2023. Un test d’Adn qui selon le cardiologue Dr Aimé Bonny permet en plus, d’avoir l’identité des assassins. Il écrivait que le blocage de ce test était une aubaine pour les assassins de cet animateur qui n’ont rien à gagner que ce test soit pratiqué.

Au-delà de ces enquêtes qui ne prospèrent pas, on a aussi des personnes innocentes qui se retrouvent condamnées juste pour brouiller les pistes. Le 21 août 2006, Narcisse Olivier Djomo Pokam est tué, puis défenestré du 8è étage de l’hôtel Hilton de Yaoundé. Dans cette affaire, des noms de certains pontes du régime sont cités.  Mais curieusement, Taboue Fotso, bagagiste ; Pokoupong Félix, chef de la sécurité ; Siméon Onambélé Atangana, agent d’entretien ; Michel Ngui et Célestin Tchuenkam, plombiers, tous employés de l’hôtel présentés comme les principaux suspects, seront envoyés en prison.

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