Par Le courrier du cameroun avec Alain Patrice NGANANG

Faire ce que l’on appelle en anglais un ‘background check’ doit donc impérativement inclure une exclusion des fonctionnaires de toute force du changement, ou alors l’établissement effective de la preuve qu’ils ont démissionné de leurs fonctions. Eto’o ne l’a pas fait, et a été tourné en bateau par eux. Pire, il n’a pas été capable de l’humilité financière qui demande de se séparer de l’État – sa vie de pacha le lui en a empêché. Mais sans doute sa ruine financière aussi.

LE PLUS GRAND PIEGE AU CHANGEMENT A YAOUNDE

Quiconque suit ce qui se passe à la FECAFOOT s’est sans doute rendu compte de l’évidence mathématique des actions des gens et de leurs réactions – c’est-à-dire des gens qui étaient autour de Samuel Eto’o, Pagou, Mpilla, surtout. Mais aussi, du fait que la police, ou alors Atanga Nji si vous voulez, n’ait même pas eu besoin d’intervenir. Tout a eu lieu de manière naturelle, comme le sang qui coule dans les veines, et, au matin, tous ceux que Samuel Eto’o avait nommé, ont de leur propre main écrit leur lettre de démission et celle-ci a été postée sur les réseaux sociaux. Ils ont ainsi disparu de la circulation sans lui dire, et on n’entendra plus parler d’eux. Pourquoi est-ce comme ça dans un pays qu’on nous dit pourtant chaotique, irrationnel, chacun devrait se demander ? Qu’est-ce qui rend cette réaction de tous ceux qui étaient autour de Samuel Eto’o aussi évidente, aussi naturelle, dans un pays dans lequel rien n’est évident ? Eh bien, pour deux raisons :

1) Ce sont tous des fonctionnaires, c’est-à-dire qu’ils ont tous un numéro de matricule qui les lie à la fonction publique par le salaire, et donc, leur tutelle c’est le ministère, c’est donc l’État, a la tête duquel se trouve Paul Biya. Ses ‘hautes instructions’ sont donc des directives aux fonctionnaires qui, rappelons-le, n’ont pas le droit de grève, ni d’ailleurs le droit d’appartenir à un syndicat.

2) Yaoundé est une ville de fonctionnaires, et la fonction publique y est la seule institution qui emploie de manière directe ou indirecte les gens, ce qui veut dire que tout le monde à Yaoundé est de manière directe ou indirecte, liée à elle, des marchés aux chantiers, des familles aux boutiquiers, car la ville ne vit que quand le bon de caisse des fonctionnaires est tombé, vu que Yaoundé n’a aucune industrie autre que les brasseries, qui au fond ne sont pas une industrie.

Voilà la situation de Yaoundé, et de ses habitants, et de sa scène publique – car, si la FECAFOOT est aux mains des fonctionnaires, il en est de même des médias, que ce soient les journaux qui paraissent à Yaoundé, que ce soient les télévisions, que ce soient les radios – tous, sinon la majorité qui y travaillent sont des fonctionnaires, c’est-à-dire des gens au matricule, et qui n’y sont que pour des revenus additionnels, pour le gombo donc. Cela s’applique aux partis politiques qui sont installés à Yaoundé, le RDPC bien sûr, car son seul et unique vivier ce sont les fonctionnaires, mais aussi le MRC, car Maurice Kamto est évidemment un fonctionnaire, et est entouré de fonctionnaires qui ne sont actifs dans son parti que de manière secondaire, eux qui en moments de crise, seraient immédiatement, comme les fonctionnaires autour d’Eto’o, sous les ordres de circulaires, de directives, ou alors de ‘hautes instructions’ de Paul Biya, le premier fonctionnaire. Leur démission de son parti, sinon sa démission à lui-même au besoin, serait tout aussi naturelle que celle des fonctionnaires qui étaient autour de Samuel Eto’o.

La question c’est : comment impulser le changement dans une ville, centre politique du pays, où les fonctionnaires occupent toute la scène publique aux devants et en sous-marin, car manifestement Samuel Eto’o en nommant Mpilla, Pagou et Tinkeu, ne savait pas qu’ils sont des fonctionnaires. Mais le plus important : comment impulser le changement quand devant toute secousse, la population de la ville se rabat sur les allogènes, et bien spécifiquement sur les Bamiléké pour les accuser de tous les tords ? Quand le réflexe de la ville et de ses habitants autochtone (les Beti), ou allochtones (ici les Bassa), est de puiser dans la vieille tradition bamiphobe qui a toujours trouvé dans les Bamiléké, les malheurs du Cameroun ? C’est un réflexe qui date de 1956, bien évidemment, avec les premiers pogroms anti-Bamiléké, et de 1959, avec la trahison et le ralliement de Mayi Matip ; car les Bamiléké ont cette particularité d’avoir été historiquement et d’être encore exclus de la fonction publique dont je viens de décrire la domination de la scène publique à Yaoundé. Parce qu’ils ont été exclus, ils sont donc historiquement soupçonnés d’être ceux qui pourraient mettre en branle le changement, et du coup, ils sont ceux dont les associations indépendantes de l’État sont le plus facilement phagocytés par les fonctionnaires qui pullulent la scène publique en sous-marin, ou livrées au pilori de l’État comme le sont les tontines et le furent les ‘tontinards en 2019. Ma conviction est, et a toujours été simple : le leadership, je parle ici de l’équipe, du changement ne peut pas être composée de fonctionnaires, car ce serait perte pure de temps. Ils sont tous redevables de l’État, dont ils ont du reste le matricule, et aux circulaires et directives duquel ils doivent répondre automatiquement. Faire ce que l’on appelle en anglais un ‘background check’ doit donc impérativement inclure une exclusion des fonctionnaires de toute force du changement, ou alors l’établissement effective de la preuve qu’ils ont démissionné de leurs fonctions. Eto’o ne l’a pas fait, et a été tourné en bateau par eux. Pire, il n’a pas été capable de l’humilité financière qui demande de se séparer de l’État – sa vie de pacha le lui en a empêché. Mais sans doute sa ruine financière aussi.

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