Par Yves Junior NGANGUE

Bon après midi, Président Abba Aboubakar, comment allez vous ?

 Pas totalement bien. Car en effet, j’avais fait déjouer la déstabilisation du Cameroun en 2011 en contrepartie je n’ai rien reçu. Même pas une simple reconnaissance verbale. 

N’êtes vous pas excessif…

 Je persiste et signe que je n’ai reçu la moindre reconnaissance, si oui qu’on m’apporte la preuve du contraire. En 2011, disais je, j’avais eu plusieurs séances de travail sur le dossier de la déstabilisation du Cameroun – qui était alors en préparation – avec l’ancien secrétaire d’État à la gendarmerie Jean Baptiste Bokam qui vient de nous quitter, paix à son âme. Pareillement avec le délégué général à la sûreté nationale ( Dgsn) Martin Mbarga Nguele qui avait personnellement dépêché deux de ses collaborateurs à mon domicile. La première fois, c’était un commissaire divisionnaire dont j’ignore le nom, et la seconde fois, c’était son propre secrétaire particulier ; qui avait été missionné pour récupérer un document. À cette époque là, j’ai collaboré avec l’essentiel des services secrets du Cameroun, pour que ce pays ne sombre pas. Avec du recul, je comprends que j’avais eu tort. 

Mais la république, ne vous a jamais dit merci ? 

 Pire même que ça! Il me souvient que lorsque j’étais allé rencontrer l’ex ministre de l’administration territoriale Marafa Hamidou Yaya, ce dernier m’avait plutôt fait recevoir par son directeur des affaires politiques de l’époque, M. Alexandre Marie Yomo, actuellement directeur général du BUNEC (bureau national de l’état civil). Curieusement, les informations ultra sensibles que je leur avais communiqué lors de notre séance de travail, se sont retrouvées sur les réseaux sociaux le lendemain. C’était implicitement une façon de m’exposer voire de me livrer. 

N’avez vous jamais reçu la moindre reconnaissance de la part du président Biya? 

Jamais, aucune reconnaissance. Bien que ayant quitté la présidence de mon parti pour rallier le Rdpc, je suis abandonné à moi-même. D’abord en 2011, j’ai emprunté 3 millions de francs Cfa pour battre la campagne du président Paul Biya. À l’époque, M. Jean Baptiste Bokam de regretté mémoire  m’avait ajouté 700.000 FCFA. En 2018, puisque entre-temps, j’avais quitté la tête de mon parti, mon épouse avait été cooptée dans le cadre du G20, à ce titre elle avait reçu la somme de 3 millions de francs Cfa au comité central du RDPC. Je lui avais d’ailleurs ajouté 1,012500 FCFA pour supporter ses activités de campagne. Malgré tous les efforts multiformes consentis, J’avais voulu être sénateur en 2018, pour le compte de la circonscription électorale du Djerem dans la région de l’Adamaoua, mon dossier a purement et simplement été mis de côté. Idem pour la députation de 2020, où j”ai été recalé aux primaires dans le Rdpc ; alors que mon parti politique avait trois conseillers municipaux issus des municipales de 2013. 

En tant que présidente de votre ex parti, la révolution camerounaise du peuple uni (RCPU) qu’est-ce que votre épouse a t’elle reçu du fameux G20…

 Rien !  En dehors des 3 millions de francs Cfa de frais de campagne. Or, j’en connais dans cette plateforme politique dénommée G20, qui s’en sont tirés avec 50 millions de francs, des strapontins ministériels, des sièges de sénateurs, de membre de la Conac ou la présidence du conseil d’administration d’une société publique. Pourtant, si je n’avais pas été chauvin, ce pays serait probablement en ce moment en guerre. Permettez-moi que je revienne en arrière. En février 2011, j’avais été arrêté par les éléments de la direction de la surveillance du territoire (DST) en compagnie de certains camarades leaders politiques et responsables syndicaux. Certes, l’objectif visé était l’appel à une grande mobilisation pour revendiquer le départ du président Biya du pouvoir. À cette époque, nos revendications portaient sur les dysfonctionnements des institutions du fait de la non implémentation, des institutions prévues dans la constitution du 18 Janvier 1996, en l’occurrence : le conseil constitutionnel, le sénat et les conseils régionaux. À cette période précise, nous visions une transition politique au Cameroun. Dès lors, que Paul Biya avait commencé à mettre sur pied le sénat en 2013, et les autres institutions, j’avais estimé qu’il était temps de regagner le Rdpc. Cependant, les velléités de déstabilisation du Cameroun sont restées d’actualité. Si j’avais cédé aux sirènes du chaos, par le canal d’une rébellion armée qui allait pénétrer le pays par l’Est, nous aurons à ce jour connu le pire.

À vous entendre donc parler, vous regrettez donc d’avoir rendu des services au régime de Yaoundé ? 

 Ma collaboration avec ce régime est un marché de dupes. Je ne trahi pas un secret en martelant que je n’ai rien gagné. J’ai fait et je continue de faire des mains et des pieds dans ma région d’origine, pour empêcher que les rebelles armés qui sont à la frontière centrafricaine ne pénètrent pas sur notre territoire ;  je le fais en sensibilisant discrètement nos populations, en les invitant  à faire preuve de  vigilance et à collaborer avec nos forces de défense et de sécurité. En retour, je ne reçois  que du  mépris et de l’indifférence. 

Pouvez-vous de nouveau prendre le maquis, entrer en dissidence…

En démocratie on ne parle pas de maquis, c’est un terme que je répugne beaucoup parce qu’il date d’une autre époque.  

Avant l’élection des bureaux à l’assemblée nationale et au sénat vendredi dernier, on a observé une certaine paralysie au sein des deux chambres… 

 La paralysie à laquelle vous faites allusion était consubstantielle à l’état de santé de certains hommes chargés d’animer, l’une des deux chambres. 

C’est très grave, dans un contexte normal les institutions ne devraient-elles pas passer avant les hommes ? On a l’impression que c’est l’inverse qui s’est produit…

 Il faut des hommes, mais pas n’importe lesquels. C’est au président de la république de voir. De mon point de vue, il n’aurait pas l’intention de modifier les grands équilibres. Sur le principe, je peux me tromper. 

La loi dispose que les bureaux du parlement sont élus à l’ouverture de la session de Mars, il y a eu un curieux glissement…

 La loi est muette par rapport à la date exacte. Implicitement, ce qui n’est pas formellement interdit est permis, c’est également un principe connu de tous. Donc, l’élection des bureaux peut se faire au début comme à la fin. 

Après la réélection de Niat Njifenji Marcel et Cavaye Yeguié Djibril, il y a des éclats de voix ; j’ajouterais même la clameur populaire, ces deux hommes sont apparemment fatigués…

 Le président Biya entretient une relation générationnelle avec ces deux hommes. Il ne peut gérer qu’avec eux. À l’observation, on est quand même surpris de constater que bien que plus âgé que ces collaborateurs, ils apparaissent bien plus fatigués que lui. 

À quoi sert véritablement le sénat, quelques-uns pensent que cette chambre haute n’a pas sa raison d’être…

Sur le principe, je m’inscris en faux contre la suppression du sénat qui est la chambre des collectivités territoriales décentralisées par excellence. Il joue un rôle prépondérant dans le processus de mise sur pied de la décentralisation. Évitons de jeter le bébé avec l’eau du bain. On ne peut pas d’un côté critiquer les aléas de l’hyper centralisme et de l’autre réclamer la suppression du sénat. Il faut peut-être penser à changer les hommes qui l’animent. En définitive, ne perdons pas de vue, que le sénat est le fruit d’un consensus politique, la tripartite de 1991. Compte tenu que je suis de ceux qui se sont battus pour sa mise sur pied, ma réponse coule de source.

 Après l’interview que nous vous avons accordé il y a quelques semaines, le débat sur la transition meuble l’espace public…

(Rires) c’est un sujet extrêmement délicat. L’idée d’une coalition portant sur une transition politique au Cameroun est une absurdité. Je n’ai pas parlé de la transition sous ce prisme . 

Mais Président Abba Aboubakar, le Cameroun tout entier semble paralysé beaucoup pensent que la transition est l’unique planche de salut du pays. Nous avons un parlement qui ne fonctionne pas. Zéro remaniement ministériel, zéro conseil des ministres. C’est le blocage général…

Parler de transition politique du vivant de Paul Biya, c’est mettre la charrue avant les boeufs. Je vous avais dit, lors de notre dernière interview que nous devons l’accompagner sans toutefois lui souhaiter la mort. En effet, aucune perspective d’alternance par les urnes au Cameroun n’est possible ni envisageable. Je l’avais également répété. 

Depuis trois ans, on parle d’un remaniement ministériel qui ne vient pas…

 Un remaniement ministériel pour quoi faire ? Ça relève du pouvoir discrétionnaire et des prérogatives constitutionnelles du chef de l’État…

Mais beaucoup pensent qu’il serait lui-même bloqué, disons plutôt dépassé par les évènements…

Quels événements ? 

Et les conseils de ministres alors, dans certains pays, il y en a au moins un, hebdomadairement…

 C’est un autre faux débat. Le Cameroun n’a pas les mêmes réalités politique, économique, sociale, sociologique et même stratégique que ces pays. De mon point de vue, les institutions fonctionnent normalement ; les salaires des fonctionnaires sont régulièrement payés. L’État s’acquitte également de sa dette intérieure et extérieure.

Revenons sur le débat lié à la transition… Même si vous la considérez comme un sujet tabou, du vivant de Paul Biya, à quoi elle sert…

À mettre les choses à plat, pour préparer des élections véritablement démocratiques, inclusives et consensuelles. L’héritage politique de Paul Biya est très lourd à porter. 

Tout remettre à plat, qu’est-ce à dire…

Il faut  modifier la constitution et le corpus électoral ; en y incluant des dispositions telles que l’instauration d’une élection présidentielle majoritaire à deux tours, la réduction du mandat présidentiel de 7 ans à 5 ans, renouvelable une seule fois voire

  un redécoupage territorial prenant en compte l’adéquation entre le nombre d’élus et les populations. Tout ceci, précédé par la tenue des états généraux de la république. 

En quoi votre transition est-elle différente du projet porté par l’homme politique Professeur Olivier Bile…

Les objectifs peuvent être les mêmes, mais pas le timing ni l’approche. Dans notre cas, elle arrivera d’elle-même de manière irréversible et incontournable. 

Que répondez-vous à ceux qui s’en prennent au ministre de l’administration territoriale Paul Atanga Nji, pour avoir interdit ces mouvements…

 Le ministre de l’administration territoriale Paul Atanga Nji est dans son rôle. Il est le régulateur du fonctionnement des associations de tout ordre, politique ou pas. 

L’ex secrétaire général de la présidence de la république Titus Edzoa dit vouloir diriger la transition, qu’en pensez-vous ?

 Titus Edzoa a été condamné par la justice camerounaise pour des faits de détournements des deniers publics. À ma connaissance, il n’a jamais été amnistié. Donc il est incontestablement hors-jeu, pour gérer une transition politique au Cameroun. 

 Dites nous quelques mots, sur la bataille qui oppose Robert Kona à Cabral Libii…

 Ils se sont livrés à de mauvais deals politiques…

Mauvais deals politiques dans quel sens ?

Kona Robert n’a pas été clair vis à vis de Cabral Libii et vice versa. J’entends parler des promesses de villas et de véhicules apparemment non tenues. Je ne vais pas entrer dans la cuisine interne d’autres partis politiques. 

Les partisans de l’honorable Cabral Libii pointent un doigt accusateur sur le ministre Paul Atanga Nji, qui voudrait faire exclure le président actuel du Pcrn du scrutin de 2025…

Si c’est fondé. Je répondrais en affirmant que Cabral Libii à son avenir politique devant lui. Il peut être recalé aujourd’hui et gagner demain. 

Dites-nous quelques mots, sur la coalition de l’honorable Jean Michel Nintcheu qui entend faire du professeur Maurice Kamto, le candidat unique de l’opposition à la présidentielle d’octobre 2025…

C’est un choix personnel de ce député. Qu’il arrête de parler au nom du peuple, chacun étant libre de ses choix. 

Certains observateurs ont traité le professeur Olivier Bile et l’honorable Jean Michel Nintcheu de tous les noms d’oiseaux, pour avoir tendu la main à Julius Ayuk Tabe…

C’est une grossière erreur, je crois qu’ils s’y sont très mal pris

N’a-t-on pas besoin de lui, pour le retour de la paix dans les régions anglophones ? 

Ce n’est pas encore le bon moment. Je n’en dirais pas plus. 

Dites-nous quelques mots, au moment où s’ouvre lundi, le procès de Martinez Zogo…

 Il est impératif que ce procès se tienne dans de très bonnes conditions, pour que ça permette de libérer les esprits et d’organiser les obsèques de ce compatriote. 

Soupçonné d’avoir perçu des pots de vin, un ancien juge d’instruction a été radié de la justice militaire ?

 À chaque médaille, son revers.

Avant de nous quitter, on parle de plus en plus de la tenue de la présidentielle avant les législatives et les municipales donc d’une inversion du calendrier électoral…

Tout est possible au Cameroun. Mais cela arrive ça créerait un coup incalculable à notre système démocratique. Une inversion du calendrier électoral pour piéger les opposants n’a pas de raison d’être. Il me vient toujours à l’idée, cette mémorable interview accordée en 1983 par le président Biya à Radio Monte Carlo. Je voudrais qu’on garde de moi, le souvenir de celui qui a apporté la prospérité et la démocratie à mon pays. Je pense sincèrement qu’il faut respecter  le calendrier électoral, pour conjurer tout désordre à venir. Ne perdons surtout pas de vue que  les bailleurs de fonds, bref la communauté internationale nous observe.

Propos recueillis par Yves Junior NGANGUE

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