Par Agnès NDEDI PENDA et RFI

Depuis 48h, la Nouvelle-Calédonie est en proie à des violences sans précédent depuis la guerre civile des années 1980. La réforme constitutionnelle sur l’ouverture du corps électoral, désormais adoptée par l’Assemblée nationale, est à l’origine de la contestation : les indépendantistes la refusent et craignent une « recolonisation » de l’archipel. Dans un communiqué, l’Élysée évoque un bilan de trois morts et un gendarme « très grièvement blessé » lors des émeutes.

Ce mercredi 15 mai, le président français Emmanuel Macron a décidé de « déclarer l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie » après des émeutes au cours desquelles trois personnes ont été tuées et un gendarme « très grièvement blessé », ont annoncé ses services dans un communiqué. « Toutes les violences sont intolérables et feront l’objet d’une réponse implacable pour assurer le retour de l’ordre républicain », a ajouté la présidence française à l’issue d’une réunion de crise du Conseil de défense et de sécurité nationale consacrée à la situation de cet archipel français du Pacifique Sud. « Le président de la République a rappelé la nécessité d’une reprise du dialogue politique », a-t-elle précisé.

La Nouvelle-Calédonie s’est réveillée, mercredi 15 mai, après une deuxième nuit consécutive d’émeutes, écrit notre correspondante à Nouméa, Charlotte Mannevy. Et la capitale Nouméa et sa banlieue se préparent d’ores et déjà à une nouvelle nuit éprouvante. Car la réforme constitutionnelle a été adoptée entre mardi et mercredi à l’Assemblée nationale. Sur place, la population comme les autorités craignent une poussée de violence et peut-être le basculement du reste de la Nouvelle-Calédonie, jusqu’ici épargnée par les émeutes, dans la violence.

La présidente de la province Sud, Sonia Backès, réclame d’ailleurs l’état d’urgence et l’intervention de l’armée aux côtés de la police et de la gendarmerie. « Sans une intervention massive, nous perdrons le contrôle de la Nouvelle-Calédonie », assure-t-elle.

Depuis le début des émeutes, qui ont déjà fait « des centaines » de blessés, dont plus de cent policiers et gendarmes, selon Gérald Darmanin, des dizaines d’entreprises et commerces ont été incendiés. Dans l’après-midi de mercredi, des émeutiers armés se sont dirigés vers les dépôts de carburants et de gaz, où a été envoyé le Raid. 

Chez les opposants à la réforme, les mots d’ordres sont communs. « Si le dégel passe, c’est une forme de recolonisation ! », s’exclame Malo. Elle a grandi en Nouvelle-Calédonie et tient à son identité. « La Calédonie, c’est un peuple riche en culture, dans ses coutumes. On vit de notre culture et de notre coutume tous les jours. Alors, je ne comprends pas pourquoi ce seraient des personnes qui sont complètement extérieures et qui n’ont rien à voir avec la Nouvelle-Calédonie qui seraient à même de décider à notre place ! », martèle-t-elle en référence à la réforme donnant droit de vote aux résidents de plus de 10 ans.

Pour Yolande, originaire de Nouvéa où réside toute sa famille, il faut garder en mémoire les luttes précédentes : « Nous, on est les enfants des accords [de Nouméa]. On a eu 40 ans de paix grâce à nos papas, nos 19 qui sont tombés en 1988. Ils ont lutté pour que l’on soit en paix, ils sont morts pour la libération de Kanaky. Aujourd’hui, on dit non au dégel du corps électoral. Nous, on veut notre indépendance, on veut notre souveraineté. ».

Yolande fait partie de cette génération qui a connu les violences terribles des années 1980, alors les souvenirs remontent : « On est en train de revivre ce que l’on a vécu en 1988. Nous, on a connu les bruits de fusils, les militaires qui sont venus dans nos maisons. Après tous ces accords, revivre cela maintenant, cela fait mal au cœur. »

Malgré l’instauration d’un couvre-feu dans l’agglomération de Nouméa mardi dès 18h locales (9h à Paris, 7h TU), les actes de vandalisme y ont repris de plus belle dès la nuit tombée. Deux personnes sont mortes durant ces violences, a annoncé le haut-commissaire de la République, Louis Le Franc, ce mercredi.

« Des trois blessés admis aux urgences, il y en a un qui est mort, victime d’un tir par balle. Pas d’un tir de la police ou de la gendarmerie, mais de quelqu’un qui a certainement voulu se défendre », a déclaré le représentant de l’État devant la presse, sans donner d’autres détails. Au terme de la nuit de mardi à mercredi, Louis Le Franc a également fait état de « graves troubles à l’ordre public […] toujours en cours », dont de « nombreux incendies et pillages de commerces et d’établissements publics ».  

Et ce, en plus des 140 interpellations depuis le début des violences, les plus graves depuis celles, meurtrières, des années 1980. « Plusieurs dizaines d’émeutiers ont été placés en garde à vue et seront présentés à la justice », a précisé le Haut-Commissariat de la République dans un communiqué.  

Les habitants organisent leur autodéfense 

Les pillages et les affrontements avec les forces de l’ordre se poursuivent même en pleine journée et ils touchent l’ensemble de la capitale, pas un seul quartier n’est épargné. Avec pour conséquence l’escalade et des habitants qui s’organisent. Ces derniers, pour protéger leurs familles et leurs biens, érigent des barricades pour bloquer l’accès aux quartiers résidentiels. Le problème, c’est que nombre d’entre eux sont armés.

« Nous nous sommes organisés spontanément », explique David, un habitant du quartier de Ouema qui a souhaité garder l’anonymat. « Hier en fin de journée, des gens ont essayé de faire entrer quatre barils d’essence. Nous filtrons la circulation la journée », a-t-il indiqué, alors que certains habitants se sont armés de clubs de golf ou de cannes de croquet.

À Tuband, un autre quartier de Nouméa, des habitants patrouillaient armés de bâtons ou de battes de base-ball, encagoulés ou casqués. « Les flics sont débordés alors, on essaye de se protéger et dès que ça chauffe, détaille Sébastien, 42 ans, habitant de la Vallée des Colons, près de Tuband. Nous prévenons les flics pour qu’ils viennent nous aider. On essaye de faire en sorte que chaque quartier ait sa milice », a-t-il expliqué.

Des renforts de forces de l’ordre envoyés depuis la métropole

Les appels au calme se sont multipliés. De la part des indépendantistes du Front de libération kanak socialiste (FLNKS), du président indépendantiste du gouvernement et même de la CCAT, la cellule de coordination des actions de terrain, celle-là même qui a lancé la mobilisation. Mais les émeutiers sont extrêmement jeunes et semblent incontrôlables.

Dans la crainte d’un enlisement, des éléments du GIGN, du Raid (son équivalent pour la police), quatre escadrons de gendarmes mobiles et deux sections de la CRS 8, une unité spécialisée dans la lutte contre les violences urbaines, ont été mobilisés. D’autres renforts étaient en cours d’acheminement dans l’archipel, selon Gérald Darmanin. Cinquante membres du GIGN vont être envoyés en Nouvelle-Calédonie d’ici à la fin de la semaine, a précisé une source proche du dossier, ce qui portera à une centaine les effectifs de l’unité d’élite de la gendarmerie dans l’archipel.

Après l’adoption du texte par l’Assemblée nationale, la réforme devra encore réunir les trois cinquièmes des voix des parlementaires réunis en Congrès à Versailles. Dans un courrier adressé mercredi aux représentants calédoniens condamnant des violences « indigne(s) » et appelant au « calme », Emmanuel Macron a précisé que le Congrès se réunirait « avant la fin juin », à moins qu’indépendantistes et loyalistes ne se mettent d’accord d’ici là sur un texte plus global.

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