Avec RFI
Au Cameroun, les grandes manœuvres commencent en vue de la présidentielle, prévue en octobre 2025. Du côté du pouvoir, on ne sait pas encore si Paul Biya, qui gouverne depuis plus de 41 ans, sera candidat à un nouveau mandat. Mais le professeur Titus Edzoa plaide pour une transition et se dit prêt à la diriger. Ancien médecin personnel de Paul Biya et ancien secrétaire général de la présidence, Titus Edzoa a payé cher sa volonté d’être candidat en 1997. Il a fait dix-sept ans de prison et vient de fêter les dix ans de sa libération.
RFI : Vous qui avez connu 17 années dans un cachot de 8m², est-ce que vous avez toujours des relations avec les personnalités politiques qui sont toujours en prison ?
Titus Edzoa : Oui, j’ai de leurs nouvelles et je ne cesse de les encourager parce que je sais ce que cela veut dire, et surtout beaucoup sont en prison pour leurs opinions. Donc pour le Cameroun, après tant d’années, c’est une honte. Parce que je ne conçois pas qu’on puisse être privé de sa liberté, tout simplement parce qu’on a une opinion différente de ceux qui sont au pouvoir.
Vous pensez à qui en particulier ?
Ils sont nombreux. Je vais donner quelques noms : Marafa [Marafa Hamidou Yaya], Mebara [Jean-Marie Atangana Mebara], Gilles Belinga [Gilles Roger Belinga], Vamoulké [Amadou Vamoulké], et bien d’autres.
Et les 41 militants du parti d’opposition MRC ?
Oui, ça va dans la même logique, parce que ce sont des comportements absolument abjects et on risque de les oublier, il faut qu’ils tiennent bon.
Parce que, quand vous étiez en prison, vous aviez peur d’être oublié ?
Non seulement peur, mais j’avais été oublié. Vous savez, 17 ans, dans des conditions terribles, c’est ça qui vous taraude, vous n’existez plus, et puis vous avez le temps aussi de penser à vous-même, mais aussi pour les autres. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai continué à faire de la politique, parce que pour moi la politique, c’est un instrument de service et non pas de jouissance, comme on le voit aujourd’hui dans notre pays.
Lors de la présidentielle de l’an prochain, le président Biya aura 92 ans, et pourtant ses partisans l’invitent à se représenter, qu’est-ce que vous en pensez ?
Oh, c’est toujours les mêmes farces, c’est-à-dire que je crois que, si ça se passe encore comme cela, c’est une mascarade de plus, puisqu’on a déjà vécu ça la fois passée.
Vous pensez à 2018 ?
Tout à fait. Vous savez, 2018, tout ce qui a été promis, rien n’a été fait. Les institutions sont bloquées, vous avez la guerre du nord-ouest et du sud-ouest, rien n’a été fait, bien au contraire. Sur cette guerre-là, on a plutôt privatisé la guerre et puis la mort se passe dans des conditions dramatiques, des deux côtés. Donc tout est en statu quo, et le pays se meurt.
Alors dans les cercles du pouvoir, certains poussent Paul Biya à se représenter une énième fois, mais d’autres l’incitent à préparer son fils, Franck, pour lui succéder, quel est à votre avis le scénario le plus probable ?
Je ne suis pas un devin. Je peux dire tout simplement que ni l’une, ni l’autre proposition n’est pas ce qu’attend vraiment le peuple Camerounais. Son fils, je lui avais donné un conseil, d’une façon publique, de se retirer de ces joutes, parce que, si jamais il acceptait, et s’il devenait candidat, ce serait pour lui quelque chose de très nocif, et ce serait pour le Cameroun un autre échec qu’on ajouterait aux échecs précédents.
Alors quelle est la solution pour vous ?
Alors, j’ai proposé une solution, celle de la transition. C’est-à-dire que les forces vives de notre pays se retrouvent et créent ce que j’appelle une période de transition. Et cette transition aura comme mission principale, fondamentalement, de remettre les institutions républicaines en place pour une refondation profonde. Ensuite, procéder à un audit, comptable et non comptable, de tous les secteurs du pays, et bien d’autres propositions qui feront l’objet de cette transition.
Et réformer le code électoral j’imagine ?
Tout à fait. C’est comme si on remettait tout à plat, c’est une période qui n’est pas une option, mais qui est devenue un passage obligatoire.
Une transition de combien de temps ?
Oh, trois, quatre ans… ça dépend. Mais ce serait une période vraiment très intense pour que le pays puisse se retrouver et pour repartir à zéro.
Et une transition dirigée par qui ?
Alors, pas nécessairement par les partis politiques. Bon, j’ai été touché pour diriger cette transition, je leur ai dit : « s’il en est ainsi, j’en prendrai la responsabilité, mais une fois terminé, je peux dire le « job », je quitterai la scène politique. »
Vous avez été contacté par des personnes qui sont actuellement dans le premier cercle du pouvoir ?
Par certains du premier cercle du pouvoir, dont je ne peux pas révéler les noms, et dans la société civile, et beaucoup de partis aussi y adhèrent, c’est une idée qui fait son chemin pour sortir notre pays de l’impasse.
Donc aujourd’hui vous dites que vous êtes disponible pour diriger une éventuelle transition ?
Tout à fait.
Interview menée par Christophe BOISBOUVIER