Avec Patrice NGANANG, Universitaire et écrivain

L’ambition de Paul Biya est de mourir au pouvoir. De préférence à Etoudi. Car alors il éviterait le sort qu’il a réservé à Ahmadou Ahidjo – l’homme que pendant longtemps il n’a jamais appelé de nom, et qui est encore enterré au Sénégal.

En réalité son destin, il se le représente comme atteignable au bout de persistance, parce que resté le plus longtemps aux bords du tombeau qu’il se destine. La marche inexorable de cet homme vers sa propre mort, est le théâtre de ces dernières années. Il sont nombreux les journaux, les magazines camerounais, qui choisissent ouvertement comme thème la ‘fin de règne.’ Chose extraordinaire, parce que le seul scénario qui soit permis, qui soit donc officiel, soit celui de la mort du tyran dans son palais. Atmosphère extraordinaire dans ce pays dont le président se donne le luxe de vivre au crépuscule des temps pendant près de vingt ans. Il faut le faire en effet, il faut le faire. Condamner un pays qui est au centre de l’Afrique, à vivre au rythme d’un deuil national à venir et qui, lui, a été refusé au premier président. C’est comme une véritable damnation – ce qui n’a pas été se vit dans une longueur infinie, dans un répété incalculable. La mort est au seuil d’Etoudi, dans un pays dont la population est des plus jeunes d’Afrique. C’est que le président du Cameroun, dont personne ne se souvient qu’il ait étalé son surplus de vie dans la capitale, dont le pouvoir magnifie l’absence et la fainéantise, lui l’homme reclus, lui l’homme sans œuvres, vit sa mort et frappe le pays de fièvre mortuaire. Ars bene moriendi.

L’enterrement de ces derniers jours, la mise au sol de la mère de la femme du président de la république, nous a rappelé combien les deuils à Etoudi sont au fond des mises-en-scène de ce deuil ultime que chacun attend : la mort de Paul Biya. Il y a eu la mort de sa première épouse, son veuvage donc ; il y a eu la mort de sa mère, et puis celle de son grand-frère. Il y a eu le démenti sur la mort de sa sœur. Il y a donc le tictac de la mort qui frappe toutes les fois. Il n’est pas de pays en Afrique dont la classe politique se soit aussi tacitement entendu sur le destin d’un homme : chacun se le représente en cadavre, avant de pouvoir se donner une vie, avant de pouvoir se donner une ambition. Dans un pays qui n’a plus d’opposition, nul jeune politique n’ose monter son ambition, parce que seule la mort du tyran permettrait à quiconque de se fabriquer une vie future. Extraordinaire que ce qui arrive au Cameroun ! Pris au piège d’un tombeau qui n’arrive pas encore, mais dont la forme est vécue par anticipation, le pays se meurt, littéralement. Il n’y a aucune scrupule à le paralyser pendant trois jours pour la grandeur du cadavre d’une dame que personne ne connaissait auparavant, qui n’avait jamais fait la Une d’aucun journal, dont le visage était aussi inconnu à chacun que celui de la vendeuse de beignets la plus inconnue du quartier New Bell. Il n’y a aucune scrupule à faire se clore la vie pour célébrer la mort d’une inconnue, dont l’impact sur la vie des citoyens, s’il y en avait un, aura été d’autant plus anéanti que son corps n’aura pas été montré dans la ville dont elle était le maire ! Célébration du néant dans un pays condamné au néant.

S’il n’y a pas de théâtre sans répétition, il n’y a pas de mise-en-scène sans décor. Et ici, le Tribunal spécial que Paul Biya a lui-même mis sur pied, voilà l’instrument qui rend sa mort au pouvoir nécessaire. Car comment échapperait-il à la guillotine qu’il a mis sur le cou de ses collaborateurs les plus proches ? L’homme qui n’a plus d’amis, parce que tous morts, qui de ses propres ministres a fait des prisonniers, parfois pour vingt-quatre heures, parfois pour vingt ans, de cet homme, qui pourra lire la lettre d’amnistie au cas où il perdait le pouvoir ? Quelle grâce sera-t-elle accordée à l’homme qui n’a montré aucun égard pour les cadavres les plus célèbres du Cameroun ? Car dans la terre de Bangou, dans ce lieu où le maire élu de cette ville perdue de l’Ouest n’a pas été enterrée, réside le crâne d’Ernest Ouandié. Il est des destins qui inscrivent des évènements dans le cycle extraordinairement mortuaire de l’histoire du Cameroun. Ce pays qui n’a jamais su quoi faire du corps de ses hommes historiques, se retrouve toujours jeté devant les cycles de son histoire qui est celle de nombreux, de trop nombreux morts sans sépulture, dont l’histoire est une succession d’ars male moriendi. Car où sont-elles donc, les âmes de Um Nyobè, de Moumié, et même, oui, d’Ahidjo, dont l’enterrement aura été si avorté ? Le destin mortuaire des leaders de notre pays, la condamnation de leur cadavre à l’errance, voilà ce à quoi le futur cadavre d’Etoudi veut échapper aujourd’hui. La mort plane à Etoudi pour permettre à Paul Biya d’échapper au destin qu’il a donné à ces nombreux morts de notre histoire. Son ambition est plutôt petite, très petite et simple: comme Tuco dans Le bon, la brute et le truand, creuser lui-même son tombeau, et s’y étendre.

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