Avec AFP

Le porte-parole du gouvernement a annoncé jeudi la mort du principal opposant au général Mahamat Idriss Déby Itno, son cousin Yaya Diallo Djerou. Il a été tué mercredi dans un assaut mené par l’armée contre le siège de son parti qui l’accusait d’avoir mené la veille une attaque contre les locaux des services de renseignements. Ses soutiens dénoncent “un assassinat” pour l’évincer de la présidentielle prévue dans deux mois.

Il était l’opposant le plus virulent à la junte au pouvoir. Les autorités tchadiennes ont annoncé jeudi 29 février la mort de Yaya Dillo Djerou lors d’un assaut mené par l’armée contre le siège de son parti, à deux mois d’une présidentielle pour laquelle il apparaissait comme le principal rival du président de transition, le général Mahamat Idriss Déby Itno, son cousin.

Yaya Dillo Djerou a “succombé à ses blessures” après avoir “lui-même tiré sur les forces de l’ordre”, a déclaré jeudi à la radio d’État le ministre de la communication, Abderaman Koulamallah.

Il est mort “là ou il s’était retranché, au siège de son parti”, a déclaré de son côté à l’AFP le porte-parole du gouvernement, affirmant que l’opposant n’avait “pas voulu se rendre”.

Dans un passage à la radio où il détaille les circonstances de l’assaut, Abderaman Koulamallah fait état de “quatre morts” parmi les forces de l’ordre et de “trois morts” du coté des militants du Parti socialiste sans frontière (PSF), qu’il décrit comme des “assaillants”.

Les soutiens de l’opposant ont de leur côté dénoncé un “assassinat” politique. Il “est mort assassiné par la Garde républicaine”, la garde présidentielle tchadienne, a jugé Evariste Gabnon, porte-parole du PSF. “Ça ne peut être qu’un assassinat programmé”, a renchéri Rakhis Ahmat, chef du Parti pour le renouveau démocratique du Tchad (PRDT).

N’Djamena sous haute tension

L’annonce de la mort de l’opposant à la junte est intervenue au lendemain d’une journée de forte tension au cœur de N’Djamena, au cours de laquelle des tirs de kalachnikovs et de grenades lacrymogènes ont résonné près du QG du parti de l’opposant, le PSF, où il s’était retranché et dont l’immeuble est couvert de nombreux impacts de balles. 

Des rumeurs persistantes faisaient déjà état de la mort de l’opposant mercredi dans la soirée. Aucun détail n’a été dévoilé dans l’immédiat sur les circonstances de son décès, qui intervient après la publication du calendrier sur l’élection présidentielle dont le premier tour est prévu le 6 mai.

L’assaut de l’armée est survenu trois ans, jour pour jour, après une attaque similaire par l’armée du QG de Yaya Dillo Djerou et de son parti, dans laquelle sa mère et l’un de ses fils avaient été tués.

Le corps de l’opposant a été remis à sa famille, pour des funérailles organisées jeudi dans l’après-midi, a-t-on appris auprès des proches du défunt. 

D’importants effectifs de l’armée quadrillent jeudi le centre de N’Djamena et encerclent toujours le siège du PSF.

Après une coupure d’internet dans la capitale face à l’afflux d’appels à venir “défendre” l’opposant, les militaires ont attaqué mercredi après-midi le siège du PSF, où les forces de l’ordre étaient venues arrêter un militant du parti d’opposition accusé par le gouvernement d’une “tentative d’assassinat” du président de la Cour suprême dix jours plus tôt.

“Mensonge” et “mis en scène”

Suite à sa mort, le gouvernement a accusé Yaya Dillo Djerou d’avoir mené une attaque, dans la nuit de mercredi à jeudi, contre le siège des tout-puissants services de renseignement, l’ANSE, en représailles à cette arrestation. Cette attaque, menée par Yaya Dillo Djerou selon le pouvoir, s’était soldée par “plusieurs morts”, toujours selon le gouvernement.

Quelques heures avant sa mort, le chef du PSF avait farouchement nié ces accusations auprès de l’AFP, dénonçant “un mensonge” et une “mise en scène” destinée à écarter sa candidature à la prochaine présidentielle.

Yaya Dillo Djerou, 49 ans, dénonçait régulièrement un scrutin truqué d’avance et taillé sur mesure pour Mahamat Déby. Il exigeait une refonte du calendrier électoral tout en affirmant qu’il sera candidat contre le jeune général.

Mahamat Déby, alors âgé 37 ans, avait été proclamé par l’armée chef de l’État le 20 avril 2021 à l’annonce de la mort de son père, le maréchal Idriss Déby Itno. Le patriarche dirigeait alors d’une main de fer ce vaste pays sahélien depuis plus de 30 ans.

À peine proclamé président à la tête d’une junte de 15 généraux, Mahamat Déby promettait de rendre le pouvoir aux civils par des élections après une transition de 18 mois. Mais 18 mois plus tard, il la prolongeait de deux ans, et ne cachait plus ses intentions de se présenter à la future présidentielle. L’opposition dénonçait une “succession dynastique” des Déby.

Risque de coup d’État

Dans un message audio transmis à l’AFP quelques heures avant sa mort, Yaya Dillo Djerou affirmait que “la junte” et le président de la Cour suprême avaient “mis en scène le saccage” du bureau du haut magistrat, dans lequel il n’avait même pas été blessé, pour justifier une invalidation de sa candidature à la présidentielle.

Le pouvoir du président Déby-père avait déjà cherché à faire arrêter l’opposant, notamment pour avoir “diffamé” la Première dame, qu’il accusait de détournements massifs d’argent public. 

L’ancien rebelle finalement devenu ministre de son oncle Idriss Déby dans les années 2000, avait réussi à s’échapper et à fuir le pays. Quelques jours plus tard, la Cour suprême invalidait sa candidature à la présidentielle d’avril 2021 contre le maréchal.

Yaya Dillo Djerou était revenu sous la présidence de son cousin Mahamat Déby en assurant “pardonner” les décès de sa mère et son fils.

Mais il est vite devenu l’un de ses plus farouches opposants et celui que le clan Déby, dont il fait partie, redoutait le plus, selon les politologues et l’opposition : parce qu’issu de la famille et de l’ethnie Zaghawa qui, bien que très minoritaire au Tchad, monopolise depuis plus de 33 ans les plus hautes positions dans l’appareil militaire et d’État.

Depuis que Mahamat a pris le pouvoir, le clan Déby et l’ethnie Zaghawa se fissurent chaque jour un peu plus, et même ouvertement, estiment experts de la région et diplomates qui y voient un risque de coup d’État. L’opposant à la junte pouvait entraîner derrière lui une frange importante de caciques zaghawas hostiles à Mahamat Déby, surtout parmi les officiers supérieurs, selon ces analystes. 

Dernière défection en date : le plus jeune frère du défunt maréchal Déby, l’oncle de Mahamat donc, le général Saleh Déby Itno, a ostensiblement rallié le PSF de Yaya Dillo récemment.

“Cela n’a fait qu’augmenter la tension” au sein du clan, du pouvoir et de l’armée, analysait mercredi pour l’AFP Evariste Ngarlem Toldé, politologue et recteur d’une université de N’Djamena.

Le Tchad, où l’armée française entretient encore un contingent, est le dernier partenaire privilégié de la France au Sahel, après le retrait contraint et forcé des militaires français du Mali en août 2022, du Burkina Faso en février 2023 et du Niger en décembre dernier.

Paris a indiqué vendredi suivre la situation “de très près” et avoir “adressé un message de vigilance” à ses ressortissants, selon le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères.

Avec AFP

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