Avec AFP

Le fondateur de WikiLeaks tente mardi d’obtenir de la justice britannique un dernier recours contre son extradition vers les États-Unis, qui veulent le juger pour “espionnage” après la publication à partir de 2010 de centaines de milliers de documents secrets américains. Défenseur de la liberté d’informer, Julian Assange s’est fait autant d’amis que d’ennemis tout au long d’une vie tumultueuse. Portrait.

Il risque 175 ans de prison. Poursuivi pour avoir publié, à partir de 2010, des centaines de milliers de documents confidentiels portant sur les activités militaires et diplomatiques américaines, Julian Assange, controversé lanceur d’alerte aujourd’hui âgé de 52 ans, pourrait être extradé vers les États-Unis. À moins que la justice britannique ne donne raison à son un ultime recours, étudié mardi 20 février.

Détenu depuis avril 2019 dans la prison de haute sécurité de Belmarsh, dans l’est de Londres, après être resté sept ans réfugié à l’ambassade d’Équateur, il est décrit par ses proches comme très diminué physiquement par ces 12 ans d’enfermement. Inquiète, sa défense alerte même sur un risque de suicide s’il est remis aux autorités américaines.

Tout a pourtant commencé bien loin des tumultes du pouvoir. Le futur hacker est né en 1971 à Townsville, une ville de la côte nord-est de l’Australie. Ses parents se séparent peu après sa naissance. Sa mère Christine est alors une artiste bohème. Quand il a deux ans, elle se marie avec un directeur de théâtre ambulant, Brett Assange, qui reconnaît alors Julian. Comme le rapporte le magazine MacLean, les camarades de classe du jeune garçon décrivent une famille “atypique” : “C’était très intéressant d’aller chez eux, il se passait toujours quelque chose.”

Julian est en effet ballotté au gré des représentations de sa mère, mais également de ses histoires d’amour. En 1979, elle se remarie avec un musicien, membre d’une secte, décrit par Assange comme un “manipulateur et violent psychopathe”. Pour lui échapper, Julian et sa mère déménagent régulièrement. Le jeune garçon fréquente ainsi plus d’une trentaine d’établissements scolaires durant son enfance. “Parfois, Assange allait à l’école, d’autres fois, non. Mais il était quand même éduqué dans tout un tas de domaines et il avait une passion pour les ordinateurs”, décrit le magazine MacLean.

Jeune pirate

L’enfant d’artistes plonge en effet très rapidement dans le monde de l’informatique. Ce qui lui vaudra d’ailleurs ses premiers démêlés avec la justice. À 16 ans, il intègre la communauté des hackers sous le pseudo de Mendax. Il fait alors partie d’un trio appelé “International Subversives” qui s’amuse à infiltrer des ordinateurs un peu partout dans le monde. De la Nasa au Pentagone, tout y passe, mais ces hackers ont un credo : ne pas faire de dégâts ni profiter des informations qu’ils obtiennent.

Ils sont pourtant repérés lorsqu’ils ciblent la compagnie de téléphone Nortel. Julian Assange, qui vient d’avoir 20 ans, et ses camarades sont arrêtés en mai 1991. Il écope finalement d’une amende de 2 300 dollars, mais le mal est fait. Il devient paranoïaque et redoute une nouvelle arrestation.

Dans le même temps, il fait face à des problèmes conjugaux. Sa femme s’enfuit avec leur fils en bas âge, Daniel. C’est alors qu’il entreprend une longue bataille juridique pour en récupérer la garde. Il est à nouveau psychologiquement ébranlé. Dans un entretien accordé au New Yorker, sa mère Christine explique que ses cheveux seraient alors devenus blancs en raison d’un “stress post-traumatique” et qu’il aurait développé une haine farouche des institutions gouvernementales.

Une personnalité mondiale aux relents conspirationnistes

Julian Assange n’en oublie pas pour autant sa première passion, l’informatique. En 1999, il lance un site Internet qui deviendra par la suite WikiLeaks. Mais ce n’est qu’en 2010 qu’il se fait connaître du grand public avec la publication de plus de 700 000 documents américains confidentiels. Son but : “libérer la presse” et “démasquer les secrets et abus d’État”.

Ceux qui ont côtoyé Assange évoquent son rapport aigu au conspirationnisme, auquel il réfléchit avant même la création de WikiLeaks. Il consacre même deux deux essais à ce sujet en 2006, “State and Terrorist Conspiracies” et “Conspiracy as Governance”. Il y explique notamment comment le peuple peut être manipulé, et comment il peut lutter avec internet contre les conspirations des puissants.

Un brin paranoïaque, selon plusieurs personnalités ayant travaillé avec lui, il est notamment décrit par Bill Keller, directeur de la rédaction du New York Times – avec qui il s’est brouillé –, comme “obsédé par les théories du complot”.

Si le nom de Julien Assange est synonyme de défense de la liberté d’informer, les autorités américaines le traitent en paria. En 2012, la machine judiciaire se met en branle. Pour échapper à une extradition vers la Suède, où il est accusé de viol, il finit par se réfugier à l’ambassade d’Équateur, à Londres. L’objectif est d’éviter une éventuelle extradition vers les États-Unis, où il encourt alors la peine de mort en raison de la publication des documents secrets américains. L’Équateur, présidé alors par la grande figure de la gauche sud-américaine Rafael Correa, lui répond favorablement et lui accorde l’asile.

Julian Assange a toujours nié ces accusations de viol, se disant victime d’un complot et laissant entendre que ses accusatrices travaillent pour les États-Unis. Il devra attendre 2019 avant que les poursuites ne soient définitivement abandonnées.

À l’ambassade équatorienne, reclus et papa

Le fondateur de WikiLeaks vit reclus à l’intérieur de l’ambassade durant sept ans. Il se compose un semblant de chez-soi dans une pièce de 18 mètres carrés comprenant un lit, une douche, un ordinateur et un micro-ondes. Cela ne l’empêche pas de recevoir ses nombreux admirateurs : du footballeur Éric Cantona au politicien britannique pro-Brexit Nigel Farage, en passant par la chanteuse Lady Gaga ou encore la comédienne Pamela Anderson, “qui lui apporte des sandwiches vegan”.

Surtout, il rencontre en 2011 une nouvelle avocate, Stella Morris, engagée pour rejoindre l’équipe juridique chargée de lutter contre son extradition. Celle qui plus tard deviendra sa femme, lui donne deux petits garçons, tous deux nés alors que leur père vit en vase clos.

Stella Morris, l'épouse de Julian Assange aux côtés de leurs deux fils Max et Gabriel, le 23 mars 2022 à l'occasion de leur mariage.
Stella Morris, l’épouse de Julian Assange aux côtés de leurs deux fils Max et Gabriel, le 23 mars 2022 à l’occasion de leur mariage. © Dylan Martinez, AP

En 2016, alors que son fondateur est encore coincé entre quatre murs, l’aventure WikiLeaks continue. Le site déclenche une nouvelle tempête, en pleine campagne présidentielle aux États-Unis, en publiant des milliers de mails volés dans le camp démocrate et vite devenus embarrassants pour la candidate Hillary Clinton. Les services de renseignements américains ont depuis établi que les mails avaient été piratés par des hackers russes dans le cadre d’une campagne de Moscou pour peser sur l’élection américaine.

Icône pour certains, “terroriste high-tech” pour d’autres

Ces révélations ont quelque peu terni l’image de l’activiste Assange. En 2011 déjà, les cinq journaux associés à WikiLeaks (dont The New York Times, The Guardian et Le Monde) avaient condamné la méthode de la plateforme, qui rendait publics des télégrammes du département d’État américain non expurgés. Ils avaient estimé que les documents étaient susceptibles de “mettre certaines sources en danger”. La critique a également été formulée par le lanceur d’alerte Edward Snowden.

Depuis, seul un noyau dur composé de quelques célébrités, comme l’acteur américain Martin Sheen et l’actrice Pamela Anderson, lui reste fidèle. En France, à l’annonce de son arrestation, plusieurs politiques lui ont apporté leur soutien et demandé à ce que la France lui accorde sa protection, à l’image de Jean-Luc Mélenchon, François Asselineau ou encore Florian Philippot.

Le soutien de Jean-Luc Mélenchon

Le 19 février 2024, Julian Assange a obtenu le prix éthique Anticor, l’association française anticorruption saluant “un combattant de la liberté”. “Il s’est battu pour nous, pour notre droit de savoir. Il s’est battu contre la raison d’État. Il s’est battu pour mettre en place un système de renseignement au service de la vérité et des citoyens.”

Mais si certains le voient comme une icône, une sorte de “Robin des bois” du côté du peuple, d’autres le considèrent comme une menace, voire un agent au service de puissances étrangères, à l’instar du vice-président américain Joe Biden qui, dix ans avant son élection à la présidence des États-Unis, le qualifie de “terroriste high-tech”. “Selon le vice-président nord-américain, la vérité sur les États-Unis, c’est du terrorisme”, rétorque alors Julian Assange.

Dans le camp de ses détracteurs, il s’agit depuis des années de briser son image de “cyber warrior”. En avril 2019, Theresa May, alors Première ministre britannique, insiste sur le fait que “personne n’est au-dessus des lois”. Pour son chef de la diplomatie, Jeremy Hunt, Julian Assange “a fui la vérité pendant des années” et il “n’est pas un héros”.

“Personne n’est au-dessus des lois”, selon le chef de la diplomatie britannique Jeremy Hunt

Fin 2022, alors que les juges britanniques viennent d’autoriser formellement son extradition vers les États-Unis, les cinq journaux associés à WikiLeaks qui avaient jadis condamné les méthodes de la plateforme appellent finalement le gouvernement américain à abandonner les poursuites contre Julian Assange, car “publier n’est pas un délit”.

Si la Haute Cour de Londres devait rejeter son recours, Julian Assange ne pourrait plus se tourner que vers la Cour européenne des droits de l’Homme pour ne pas finir ses jours dans une prison américaine.

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