Interview réalisée par Yves Junior NGANGUE

Il avait été gardé au secret dans les services spéciaux du Cameroun (Dgre, Dst, renseignements généraux, et cetera et cetera) en 2011,  pour atteinte à la sûreté de l’Etat. Soupçonné de vouloir déstabiliser les institutions de la république, on prêtait à Abba Aboubakar des accointances avec quelques puissances étrangères qui s’apprêtaient à lever une rébellion dans le septentrion. Homme politique, membre influent de la société civile, l’invité de la rédaction s’est livré à Le courrier du cameroun dans un entretien exclusif où sont tour à tour abordé, des problématiques telles que : la hausse des prix des produits pétroliers, l’inflation, la présidentielle d’octobre 2025, l’opposition et surtout, certains sujets tabous tels que l’après Biya ou encore l’hypothèse d’une transition.

Président Abba Aboubakar, comment allez-vous, depuis que vous vous êtes « assagi » vous passez quasiment inaperçu…

Merci monsieur le journaliste pour être venu à ma rencontre. Merci également pour l’opportunité que vous m’offrez, pour que je puisse donner mon modeste  point de vue, sur quelques sujets de première importance, dans la vie et le devenir du Cameroun.

On vous a à un moment donné vu militer dans les rangs du Rdpc…

Je suis entré dans ce parti sans y être reçu. D’autant plus que quand on milite dans un parti politique,  on doit servir à quelque chose. Je déplore le fait que, les camarades de ma base militante qui est le département du Ndjerem , région de l’Adamaoua n’ont jamais voulu me considérer comme l’un des leurs.

Président Abba, nous devons préciser dans le cadre de cette interview que vous avez été victime de menaces de mort, après avoir éventré un complot visant à déstabiliser le Cameroun en 2011…

Effectivement, certaines puissances étrangères ont voulu m’instrumentaliser à travers Boko Haram. Tout ce qui arrive aujourd’hui était planifié depuis au moins deux décennies, la crise anglophone par exemple, est entretenue par des puissances impérialistes. Il était question que je coordonne les opérations de déstabilisation à l’Est par le biais des rebelles armés venant de la république centrafricaine. Souvenez vous, qu’ils avaient une fois fait des incursions dans la ville de Garoua Boulai, en pillant et tuant. Ces attaques ont fait long feu, parce que je m’étais désolidarisé de cette initiative. Depuis lors, ils ont changé de modus opérandis au point de devenir des preneurs d’otages dans l’Adamaoua.

Il y a une semaine, le gouvernement a procédé à la hausse des tarifs des produits pétroliers, cette décision était-elle opportune ?

On ne peut pas pas qualifier la décision du gouvernement d’ inopportune. Il a sûrement pesé le pour et le contre.

En surfant probablement sur la passivité des camerounais

Je ne vois pas les choses de la même manière…

Est-ce que cette baisse ne pouvait pas être évitée ?

Il faut le dire pour le déplorer. Notre pays fonctionne sans aucune prévisibilité, prévoir ce n’est pas le fort de nos gouvernants actuels. Nous sommes pratiquement dans l’improvisation permanente , dans la navigation à vue. La hausse des prix produits pétroliers est la conséquence d’une mauvaise gestion de notre système économique. La subvention du carburant tant claironnée par le gouvernement au 21 ème siècle est en soi même une incongruité. Prenons par exemple, le dossier de la Sonara, qu’est-ce qui a été fait en amont pour pallier des sinistres comme l’incendie. Qu’est-ce qui est fait, pour que nous n’assistons plus à ce type de situations? J’ai l’impression que le Cameroun n’utilise pas correctement son énorme potentiel en matière de ressources humaines.

Votre frère de l’Adamaoua, le magistrat Harouna Bako vient d’être désigné Directeur général de la Sonara, qu’est-ce qui vous anime après cette nomination ?

Rien (Rires). Quand vous parlez de la nomination d’un magistrat, à la tête d’une raffinerie, vous vous attendez à quels résultats ? Je pense à mon avis que le Cameroun, a des ingénieurs qualifiés dans le secteur de la pétrochimie qui peuvent faire le job.

Revenons sur la hausse des prix des produits pétroliers et parlons maintenant des effets induits, les camerounais crient pratiquement leur exaspération. Nous vivons dans un contexte où la pauvreté est rampante…

Je pense pour ma part que ce n’est qu’une épreuve parmi tant d’autres endurées ces dernières décennies. Les camerounais sont de nature résilients, ils vont révéler ce défi.

Est ce que la résilience à laquelle vous faites allusion n’est pas la preuve que le régime du renouveau a lamentablement échoué ?

Je ne vois pas les choses de la même façon. En 42 ans de règne, il y a eu des avancées et des échecs. S’il faut juger Paul Biya sous le prisme des données démographiques, rappelons que nous sommes passés de moins de 10 millions d’habitants à presque 25 millions, ça impacte obligatoirement sur le produit intérieur brut, par habitant. Il ne faut pas perdre de vue que le renouveau a doté le Cameroun de plusieurs infrastructures routières. Même s’il y a encore beaucoup de choses à faire. La construction de nombreux barrages hydroélectriques permettront dans un proche avenir à résorber le déficit énergétique.

Mais ça n’en n’a pas l’air au regard des délestages récurrents qui rythment le quotidien des camerounais des grandes villes et de l’arrière-pays…

Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain, les barrages hydroélectriques ont été construits. Le ministre de l’eau et de l’énergie rassure qu’avec l’entrée en fonction du barrage Nachtigal, les délestages ne seront plus qu’un lointain souvenir. Attendons donc de voir !

L’ancien président François Hollande a récemment demandé à Paul Biya de libérer , l’ex ministre d’État Marafa Hamidou Yaya pour des besoins de santé. En tant que personnalité politique du grand nord, qu’en pensez-vous ?

Cette démarche me paraît bancale. Je dirais même qu’elle relève de la pure fiction. Ça n’a de mon point de vue, aucune chance d’aboutir.

M. Hollande l’avait déjà fait avec l’homme d’affaires Michel Thierry Atangana et l’avocate Lydienne Yen Eyoum qui étaient également embastillés dans le cadre de cette même opération dite de salubrité publique…

Dans un contexte où il y a séparation des pouvoirs, il n’appartient pas à l’exécutif d’interférer dans des questions qui ne relèvent pas de son domaine de compétences.

Il y a quelques années , le groupe de travail de l’ONU avait ouvertement requis la libération immédiate de Marafa Hamidou Yaya, mais également son dédommagement…

Marafa est-il, la seule personnalité incarcérée  dans le cadre de cette affaire ?

Vous apportez justement de l’eau au moulin de ceux qui pensent que cet ancien secrétaire général de la présidence de la république est un prisonnier politique, puisque jusqu’à preuve de contraire, de nombreux protagonistes des affaires Albatros et BBJ2 ont été libérés et “exfiltrés “, Inoni Ephraim vit désormais à Paris, même l’ex Dg de la camair Yves Michel Fotso est hors de nos frontières…

Ont-ils été formellement blanchis par la justice ? Sinon, Inoni Ephraim et Yves Michel Fotso auxquels vous faites allusion sont des évadés de prison, pas plus pas moins.

Parlons pour le moment d’alternance. Une alternance pacifique par les urnes est-elle possible au Cameroun en l’état actuel ?

Tout de suite je dirais non. Nous avons longtemps travaillé sur le sujet. La possibilité de voir une alternance pacifique au Cameroun par les urnes est nulle, j’ajouterais même utopique. J’invite nos hommes politiques à lire attentivement le code électoral. Tout est taillé sur mesure pour que Paul Biya reste au pouvoir advitam aeternam. Le système électoral actuel verrouille systématiquement toute possibilité d’alternance.

Voulez-vous donc insinuez que Paul Biya remportera toutes les élections auxquelles, il prendra part?

En l’état actuel, aucun candidat quel qu’il soit ne peut y parvenir par la voie des urnes. Avec le conseil constitutionnel qui est là et cet organe chargé de l’organisation matérielle des élections qui est Elecam, dans sa composition actuelle.

Une candidature unique de l’opposition serait donc absolument inutile…

Si. Ça coule de source. Quel que soit le candidat qui sera face à Paul Biya ne sera jamais déclaré vainqueur.

Que pensez-vous de ceux qui pensent que Maurice Kamto ferait un bon candidat unique de l’opposition ?

Ça n’engage que ceux qui y croient. Tout est verrouillé et Maurice Kamto n’a aucune chance de l’emporter.

Pensez-vous que Paul Biya sera de nouveau candidat à l’élection présidentielle d’octobre 2025?

Il le sera, ça ne souffre d’aucune ambiguïté. Paul Biya sera candidat à l’élection présidentielle de 2025.

S’il vous était demandé de juger l’opposition camerounaise…

En réalité, l’opposition évolue sur un terrain miné. Ça me fait penser à Alfred de Vigny, dans son célèbre ouvrage les destinées. Au Cameroun, nous pataugeons dans une vaste farce électorale où tout semble écrit à l’avance.

Quelques-uns accusent le Président actuel de vouloir léguer le pouvoir à son fils

Ça ne passera pas…

Franck Biya s’est récemment acquitté de ses cotisations au sein du Rdpc, certains observateurs pensent que ce n’est pas anodin…

Si Franck Biya est déclaré candidat de ce parti aux prochaines présidentielles, on court vers une implosion du Rdpc…

Vous donnez donc implicitement raison à ceux qui pensent que l’après Biya s’annonce  apocalyptique,  quelques-uns parlent d’une rwandarisation du Cameroun…

Croyez-moi, ce pays-ci  ne sombrera jamais dans une guerre civile. Je suis très introduit dans le système sécuritaire actuel. Je vous rassure que nos frères du métier des armes sont plus lotis, sur le plan politique que les hommes politiques eux-mêmes.

Mais l’armée camerounaise semble  divisée, tribalisée et je dirais même segmentée…

C’est une fausse impression… (Un moment pensif), je voudrais vous faire une confidence. Avant 2030, le Cameroun connaîtra deux présidents de la république, après Paul Biya. Le premier sera, un président de transition et le second sera élu démocratiquement, au terme d’une élection libre, crédible, inclusive et impartiale. Nous y travaillons déjà, dans le cadre d’un tink tank, avec des leaders de la société civile et des politiques.

Comment envisagez vous la transition à laquelle vous faites allusion ?

La transition sera structurée  autour d’un regroupement dénommé Union de transition pour la réforme des institutions (Utric). Elle sera régie par une charte.

Sur le continent, nous connaissons  des transitions qui durent le temps de deux mandats… ce n’est pas une panacée

Nous avons convenu qu’elle sera de 18 mois, c’est à dire 1 an six mois. Pour le moment, souffrez que je vous fasse l’économie de certains détails liés à cette charte.

Et la fameuse transition, qui en sera le président ?

Le moment venu à ma connaissance, cette transition sera gérée par un officier supérieur à la retraite ou en fonction. Un gouvernement d’union nationale constituée de toutes les forces vives (Opposition, société civile, et cetera)de la nation verra le jour. Toutes les institutions seront totalement réformées, c’est un travail de longue haleine qui se fera avec l’accompagnement de la communauté internationale. Je voudrais donc à travers cette interview rassurer les camerounais. En les invitant à être patients et résilients. Nous devons accompagner le président actuel et lui rendre hommage pour les services rendus, sans toutefois lui souhaiter la mort.

Interview réalisée par Yves Junior Ngangue

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