Avec AFP
Annoncé depuis plusieurs semaines, le remaniement du gouvernement tardait, lundi, à se concrétiser. Une situation qui devient habituelle avec Emmanuel Macron, qui doit notamment composer avec deux difficultés : trouver un Premier ministre qui ne lui fera pas d’ombre, mais aussi des ministres compétents parmi un vivier réduit de personnalités politiques.
Le remaniement est imminent et, comme souvent avec Emmanuel Macron, il se fait attendre. Cela fait désormais plusieurs jours, voire plusieurs semaines, que l’avenir d’Élisabeth Borne à Matignon est incertain. Et comme il y a six mois, impossible de dire, à seulement quelques heures ou quelques instants d’une éventuelle annonce, si la Première ministre sera reconduite ou éconduite.
Depuis qu’il a été élu président de la République en 2017, Emmanuel Macron a fini par habituer les Français à ces longs moments de flottement, durant lesquels presque chaque membre du gouvernement se demande de quoi son avenir sera fait. Avec le plus souvent, en définitive, peu de changements.
Les raisons expliquant les apparentes tergiversations du chef de l’État tiennent d’abord à une difficulté qu’il s’impose lui-même : ne surtout pas nommer une personnalité susceptible de lui faire de l’ombre. Une habitude prise dès son arrivée à l’Élysée, lorsque Emmanuel Macron nomme comme Premier ministre Édouard Philippe, alors maire du Havre et très peu connu du grand public, plutôt qu’une figure politique comme le président du MoDem François Bayrou, dont le rôle dans son élection fut pourtant décisif.
Mais comme Édouard Philippe était tout de même parvenu à se faire un nom, jusqu’à devenir plus populaire qu’Emmanuel Macron – en juin 2020, un sondage BVA lui donne 54 % d’opinion favorable contre seulement 38 % pour le président –, le chef de l’État s’assure désormais de nommer des chefs de gouvernement dénués de tout charisme et, surtout, présentant un profil de haut fonctionnaire prêt à obéir.
C’est ainsi que Jean Castex, ancien membre du cabinet du président Nicolas Sarkozy, a pu succéder à Édouard Philippe en juillet 2020. Et qu’Élisabeth Borne, ancienne membre du cabinet de Ségolène Royal devenue par la suite ministre, a été choisie en mai 2022.
Lecornu, Denormandie ou Attal à Matignon ?
Cette fois-ci, les noms de Sébastien Lecornu, Julien Denormandie et Gabriel Attal circulent avec insistance. Le premier est l’actuel ministre des Armées. Issu du parti Les Républicains, sa nomination marquerait la confirmation – si cela était encore nécessaire – d’un second quinquennat très marqué à droite. Âgé de 37 ans, Sébastien Lecornu deviendrait alors le plus jeune Premier ministre de l’histoire de la Ve République.
Le deuxième, aujourd’hui âgé de 43 ans, est un “marcheur” de la première heure. Ancien membre du cabinet d’Emmanuel Macron lorsque ce dernier était ministre de l’Économie, ancien ministre de l’Agriculture, il est devenu au fil des ans un très proche du président, au point d’être déjà dans la course pour Matignon en 2022. Élisabeth Borne lui ayant été préférée, Julien Denormandie avait alors choisi de quitter la vie politique. Sa nomination aurait notamment pour objectif de symboliser une forme de retour aux sources pour le président.
Enfin, Gabriel Attal est l’actuel ministre de l’Éducation. Âgé de 34 ans, lui aussi deviendrait le plus jeune Premier ministre de l’histoire de la Ve République, après avoir été également ministre des Comptes publics, porte-parole du gouvernement et secrétaire d’État à la Jeunesse. Ancien membre du cabinet de la ministre socialiste de la Santé Marisol Touraine lors du quinquennat de François Hollande, il fait partie de l’aile gauche de Renaissance. Sa nomination symboliserait elle aussi l’affichage d’une volonté de maintenir le “en même temps” originel.
Tous trois ont en tout cas un point commun : peu connus des Français, hormis peut-être Gabriel Attal, ils ne devraient pas faire de l’ombre à Emmanuel Macron, contrairement à d’autres candidats pour Matignon comme Gérald Darmanin ou Bruno Le Maire. Si Gabriel Attal possède toutefois davantage de charisme que les deux autres candidats, il doit en revanche tout à Emmanuel Macron et ne devrait pas s’opposer à ses décisions.
Un faible vivier politique
Le second problème d’Emmanuel Macron est lié au vivier politique dans lequel il peut puiser. Arrivé au pouvoir sans l’assise d’un parti établi de longue date, avec de nombreux élus locaux et de nombreuses personnalités, le chef de l’État se retrouve systématiquement confronté, lors de chaque remaniement ministériel depuis 2017, au même dilemme : qui pour entrer au gouvernement ?
Hormis quelques coups médiatiques – Éric Dupond-Moretti (Justice), Roselyne Bachelot (Culture), Pap Ndiaye (Éducation) –, les remaniements d’Emmanuel Macron ont souvent consisté à garder plus ou moins les mêmes têtes. Lors de la nomination de Jean Castex en juillet 2020, douze ministres sont ainsi reconduits au gouvernement ; lorsqu’Élisabeth Borne lui succède en mai 2022, quinze ministres conservent cette fois-ci une place dans l’équipe gouvernementale ; enfin, lors du dernier remaniement en juillet 2023, ce sont carrément trente-trois membres du gouvernement qui s’y maintiennent.
Parmi les ministres champions de longévité, et même si la plupart ont changé de portefeuille, citons Élisabeth Borne, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin – tous trois présents depuis le premier gouvernement d’Édouard Philippe –, mais aussi Sébastien Lecornu (arrivé au gouvernement en juin 2017), Olivier Dussopt (novembre 2017), Gabriel Attal (octobre 2018), Agnès Pannier-Runacher (octobre 2018) ou encore Franck Riester (octobre 2018).
Pour le reste et pour, malgré tout, apporter un peu de sang neuf, Emmanuel Macron est contraint de faire avec les moyens du bord. Il y a d’abord la méthode classique consistant à récompenser des députés ayant prouvé leur valeur et/ou leur fidélité. Ce fut le cas d’Olivier Véran, Amélie de Montchalin, Olivia Grégoire, Sarah El Haïry, Stanislas Guérini, Aurore Bergé ou de Prisca Thévenot.
De nombreux conseillers promus ministres
Il y a aussi eu les nominations – moins classiques – des conseillers et conseillères du président de la République : Clément Beaune (ancien conseilleur Europe à l’Élysée), Rima Abdul-Malak (ancienne conseillère culture à l’Élysée), Cédric O (ancien conseiller économie numérique à l’Élysée) ou encore Sibeth Ndiaye (ancienne conseillère presse à l’Élysée).
Problème : à mesure que les remaniements se multiplient, le vivier s’amenuise. Et en ce début d’année 2024, les potentiels entrants issus de l’Assemblée nationale, notamment, sont peu nombreux. Citons tout de même le patron du groupe Renaissance Sylvain Maillard, mais aussi Maud Bregeon, Pierre Cazeneuve, Marc Ferracci, Karl Olive ou Violette Spillebout.
Enfin, pour ajouter à ses difficultés pour composer un gouvernement, Emmanuel Macron doit également tenir compte de la parité et des équilibres politiques entre les différents partis constituant la majorité présidentielle – Renaissance, MoDem, Horizons.
Ces contraintes font que les remaniements d’Emmanuel Macron paraissent le plus souvent cosmétiques. Comme si, finalement, la même équipe gouvernementale était aux manettes depuis 2017, poursuivant inlassablement la même politique. Tout le contraire, en somme, de l’effet recherché d’ordinaire par un remaniement d’ampleur visant à accréditer l’idée d’un virage et d’un nouveau récit politique.