Avec Yves Plumey Bobo (Jeune Afrique)

Patron du protocole d’État, Simon Pierre Bikélé s’est imposé au fil des années comme un élément incontournable du système Biya. Portrait.

En ce début d’année 2024, une période très particulière s’ouvre au sein du palais d’Etoudi, siège la présidence de la République du Cameroun : celle des vœux du chef de l’État aux différents corps de la nation. Une succession de cérémonies et de rencontres qui devra être réglée à la minute près, les invités se cantonnant à certaines salles, le chef de l’État lui-même se plaçant à un endroit bien précis pour recevoir les hommages et offrir ses salutations.

Homme du président

Cette année encore, un homme en sera le chef d’orchestre : Simon Pierre Bikélé, chef du protocole du président. Un homme aussi discret qu’influent, très rarement sorti de l’ombre. Les Camerounais les plus avertis ont toutefois pu découvrir son rôle central en 2019, alors que plusieurs fichiers ont fuité au sujet d’un déplacement de Paul Biya et de son épouse en Suisse, à Genève, où le couple a ses habitudes depuis de longues années. Au mois de février 2019, un premier document mentionnant le plan de vol du président est divulgué sur la toile. Or, quelques semaines plus tôt, des activistes de la diaspora, frustrés du déroulement de l’élection présidentielle de 2018, avaient proféré de sérieuses menaces vis-à-vis du chef de l’État et dévoilé leur intention de troubler son séjour suisse. La diffusion du document « confidentiel » et « top secret » n’a donc rien d’anodine. Paul Biya ne recule pas et souhaite maintenir son voyage en terres helvètes. Le 4 avril, Simon Pierre Bikélé, chef du protocole d’État à la présidence, écrit donc à l’ambassadeur du Cameroun en Suisse, afin d’obtenir des autorités du canton de Genève l’autorisation de déployer sur leur territoire des éléments de la sécurité rapprochée du président. Cependant, deux jours plus tard, ce message « urgent » et « confidentiel » se retrouve à son tour sur les réseaux sociaux. Cette fois, le document donne des détails sur leur nombre, sur les armes en leur possession, sur leurs dates et lieux de naissance, les numéros de leurs passeports… Des photos des gardes de Paul Biya circulent également, ainsi que des clichés de leurs familles. Le voyage, prévu le 7 avril, est reporté sine die. Qui donc, au sein de l’entourage présidentiel, est responsable des fuites ? Ferdinand Ngoh Ngoh, secretaire général à la présidence de la République, instruit une enquête. Des responsables de la Direction de la sécurité présidentielle et du protocole sont auditionnés. Certaines rumeurs accusent Simon Pierre Bikélé, lequel prend l’affaire en main. Il convoque une réunion et met en garde quiconque au sein de ses services divulguerait un document au grand public. Contrairement aux bruits de couloir annonçant son limogeage, il sauve sa peau. Mieux, chacun voit en son maintien le signe de la confiance renouvelée du couple présidentiel.

Ascension fulgurante

Comment Simon Pierre Bikélé, qui a grandi dans les milieux les plus modestes, a-t-il pu se hisser aussi haut dans la hiérarchie d’Etoudi ? Après des études secondaires à Yaoundé, ce natif de l’arrondissement de Sa’a, dans la Lékié (région du Centre), est admis à l’Institut des relations internationales du Cameroun (IRIC), où il se spécialise dans la diplomatie. Il n’en sort qu’après avoir obtenu un doctorat de troisième cycle. Durant ses années universitaires, le jeune étudiant se fait connaître par son éloquence lors des débats et conférences liés à la politique. Il attire alors l’attention de certains de ses enseignants et commence, par la même occasion, à côtoyer de hauts commis de l’État. Reconnu comme l’un des meilleurs de sa promotion, il est recruté dès sa sortie de l’école par le ministère des Affaires étrangères (Minrex), où il passera cinq ans. En 1998, le jeune diplomate est mis à la disposition du cabinet civil de la présidence, où il officie comme attaché durant deux années avant d’être nommé par un décret présidentiel au poste d’adjoint au chef du protocole. Enfin, le 16 mars 2009, il gravit le dernier échelon et est choisi pour devenir chef du protocole d’État. À seulement 45 ans, il remplace l’un de ses mentors, Dominique Awono Essama, autre fils de l’arrondissement de Sa’a, nommé ambassadeur en Italie. Depuis, l’homme que son entourage décrit comme « humble et bienveillant » affirme jouer sa partition « en équipe », favorisant la « rigueur », « l’écoute des autres », « l’humilité » et « l’ouverture d’esprit », selon ses confidences livrées au quotidien gouvernemental Cameroon Tribune au lendemain de sa prise de fonction. Surtout, il s’est forgé un inestimable carnet d’adresses.


Incontournable

Au sein de la présidence, Simon Pierre Bikélé est aujourd’hui l’une des rares personnalités à faire l’unanimité dans un contexte marqué par une guerre des clans. Il est à la fois proche de Ferdinand Ngoh Ngoh, secrétaire général à la présidence de la République, et de Samuel Mvondo Ayolo, directeur du cabinet civil de Paul Biya. Il discute aussi avec l’adjoint de ce dernier, Oswald Baboké, ou encore avec Adolphe Moudiki, patron de la Société nationale d’hydrocarbures (SNH). Surtout, les salles d’attentes de ses services ne désemplissent pas. Chefs traditionnels et responsables d’entreprises publiques et privés s’y pressent, pour tenter d’arracher une audience auprès de personnalités de la présidence. Et s’il ne lui revient pas forcément d’accorder tel ou tel rendez-vous, Simon Pierre Bikélé est aujourd’hui incontournable. En outre, il organise tous les déplacements de Paul et Chantal Biya – il garde aussi un œil sur les affaires privées de la première dame dans la région de l’Est – et figure régulièrement dans l’équipe qui accompagne ce dernier à l’étranger, en France, à Taïwan, ou encore en Russie. Un statut qui l’a parfois placé sous le feu des critiques, comme en 2013 lors d’un déplacement du président en Europe. À l’époque, le tout-puissant directeur du cabinet civil, feu Martin Belinga Eboutou, lui avait publiquement reproché de n’avoir pas su permettre à Paul Biya de saluer les militants du parti au pouvoir venus le saluer lors de son départ de l’aéroport de Yaoundé. Peu après, c’est Edgar Alain Mebe Ngo’o, ministre délégué à la Défense, qui se plaignait – écrivant même directement à Paul Biya – du peu de considération accordé aux hauts gradés lors d’un événement à l’intérieur du pays. De même, en 2022, on lui reprochera d’avoir écarté Samuel Eto’o, président de la Fédération camerounaise de football, des cérémonies officielles de la finale de la Coupe du Cameroun. Et ce pour satisfaire un de ses proches, le ministre des Sports, Narcisse Mouelle Kombi, alors en délicatesse avec l’ancien attaquant vedette des Lions indomptables.

Zèle présidentiel

La rançon du succès ? Y compris en dehors du palais d’Etoudi, le patron du protocole de Paul Biya s’est parfois retrouvé au cœur de controverses. Parallèlement à ses fonctions, il s’est ainsi investi dans l’immobilier et dispose notamment à Yaoundé d’une luxueuse villa dans le quartier Olembé, et d’immeubles dont l’un dans le quartier Tropicana. Des affaires qui lui ont valu d’être exposé. En 2020, alors qu’il a chargé un expert immobilier, Alfred Ndame Mbappé Moussinga, de diriger des travaux de construction, celui-ci lui réclame un paiement supplémentaire de 19, 9 millions de francs. Un montant jugé excessif par Simon Pierre Bikélé, qui traîne l’expert devant le tribunal de première instance de Yaoundé et l’accuse de tentative d’escroquerie. Un procès que remporte le patron du protocole. L’expert adresse alors une correspondance à Chantal Biya, dans laquelle il accuse Bikélé d’avoir « usé de son pouvoir » pour « influencer » les magistrats. La lettre se retrouve, une nouvelle fois, sur les réseaux sociaux et l’affaire retourne devant les tribunaux, où Simon Pierre Bikélé gagne une nouvelle fois. Chantal Biya, quant à elle, n’a pas réagi, conservant sa confiance au chef du protocole. Homme prudent, ce dernier sait que la confiance du chef de l’État et de son épouse est sa meilleure protection et prend donc soin de se positionner comme un défenseur zélé de Paul Biya – non sans s’attirer à l’occasion les foudres de l’opposition. Il a ainsi contribué, en collaboration avec le controversé ministre de l’Administration territoriale, Paul Atanga Nji, à l’interdiction faite aux militants du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) de défiler lors des dernières célébrations de la fête de l’Unité, en mai 2023. L’objectif : soustraire au regard du chef de l’État les inévitables banderoles et slogans concoctés par ces indélicats opposants. Fort de ce zèle présidentiel, Simon Pierre Bikélé est-il dès lors intouchable ? En ce mois de janvier 2024, alors que tout Yaoundé se presse aux portes d’Etoudi pour apercevoir l’éternel Paul Biya, l’ancien diplomate reste quoi qu’il en soit le gardien du temple.

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