Par Agnès NDEDI PENDA et Le MONDE AFRIQUE

L’ex-footballeur international devenu président de la Fecafoot est mis en cause par son ex-directeur de campagne qui dresse le bilan de mi-mandat entre égotisme, soupçons de corruption et ruptures abusives de contrats.

Le journaliste camerounais Jean-Bruno Tagne n’a pas choisi par hasard la date du 13 décembre pour publier L’Arnaque (Les Editions du Schabel). Celle-ci coïncide, à deux jours près, avec le deuxième anniversaire de l’élection de Samuel Eto’o à la présidence de la Fédération camerounaise de football (Fecafoot), le 11 décembre 2021, face à Seidou Mbomba Njoya, le président sortant. Le titre est évocateur, le sous-titre également : Il voulait redonner au football camerounais toute sa grandeur, laissant supposer que l’ancien attaquant international n’a pas tenu toutes ses promesses de campagne.

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La critique est d’autant plus forte qu’elle émane d’un auteur qui connaît bien Samuel Eto’o. Jean-Bruno Tagne a été son directeur de campagne, « à titre bénévole », pour mener sa conquête de la Fecafoot. « J’avais publié deux livres en 2010 (Programmés pour échouer) et en 2014 (La Tragédie des Lions indomptables), où je ne l’avais pas épargné. Mais, à ma grande surprise, il m’avait proposé de diriger sa campagne. J’y ai vu un homme enthousiaste avec un projet pour sortir notre football de la crise. Or le président a trahi les promesses du candidat. Son bilan à mi-mandat est mauvais », dit-il aujourd’hui.

Jean-Bruno Tagne reconnaît cependant quelques réussites à mettre au crédit de l’ex-buteur de la sélection nationale : le bon fonctionnement des championnats professionnels, la résolution des problèmes de primes qui polluaient la vie des sélections nationales ou la remise au goût du jour du Ballon d’Or camerounais. Pour le reste, Jean-Bruno Tagne fait un constat très critique, sur plus de 260 pages, des deux premières années du mandat d’un Samuel Eto’o plus connu pour son habileté devant les buts que pour sa modestie.

« Des décisions qui vont coûter cher »

« Sportivement, écrit l’auteur, les résultats des sélections ne sont pas très bons. Il avait annoncé que les Lions remporteraient la Coupe du monde au Qatar et cela s’est fini par une élimination au premier tour. Il a pris des décisions qui vont coûter cher à la Fecafoot, en limogeant après la CAN 2022 le Portugais Antonio Conceiçao, qui était sous contrat, pour le remplacer par Rigobert Song. » La Fecafoot a été condamnée le 3 novembre par le Tribunal fédéral suisse à verser 1,6 million d’euros à son ancien sélectionneur.

Par ailleurs, « Eto’o a décidé de rompre en 2022 le contrat qui liait l’instance à l’équipementier Le Coq Sportif, et cela pourrait également coûter cher si l’on s’en tient aux premières décisions de la justice française », indique le journaliste qui revient aussi sur les soupçons de matches truqués qui pèsent sur le dirigeant. La diffusion en juillet d’une conversation enregistrée avec Valentine Nkwain, le président de Victoria United (division 2), avait semé le trouble. « Si le président de la Fecafoot est mêlé à cette histoire, et a promis de s’arranger pour l’accession de ce club en ligue 1, c’est extrêmement grave », prévient Jean-Bruno Tagne.

L’auteur fustige le management de Samuel Eto’o : « Il a un ego surdimensionné. C’est une personnalité clivante. Il se croit tout permis, décide de tout, tout seul, est essentiellement entouré de personnes qui l’idolâtrent, ne le contredisent jamais. » Un chapitre, intitulé « Les prisonniers du président », évoque les cas de Liliane Mbog Binyet et de Parfait Siki, respectivement ancienne directrice marketing et ex-secrétaire général de la Fecafoot, placés en détention suite à une plainte de leur patron.

La première a été incarcérée plusieurs jours pour « malversation financière ». Le second a passé six mois à la prison de Kondengui à Yaoundé, dont il est sorti le 27 avril. « J’ai été visé par une plainte du président de la fédération pour avoir emporté des documents appartenant à l’instance après ma démission, déclare Parfait Siki. J’avais été nommé par son prédécesseur et j’appartenais donc à l’autre camp. Samuel Eto’o règne par la terreur, il cherche à écarter tous ses opposants au sein de la fédération et veut montrer qu’il a le bras long. Son ego écrase tout. »

« On ne redresse pas un bossu »

Joseph Antoine Bell, l’ancien gardien de but des Lions indomptables et dont les relations avec Samuel Eto’o sont désormais inexistantes après avoir été notoirement tendues, n’a pas encore lu le livre, mais en a eu quelques échos. « Ce que Jean-Bruno Tagne raconte de l’intérieur se voit de l’extérieur… Eto’o n’a pas besoin de complot pour lui nuire, il fait ça très bien tout seul. On ne redresse pas un bossu ! Il est lancé comme un train qui va finir par dérailler, avec les tristes conséquences que cela aura pour le football camerounais. »

Depuis la publication du livre, ni Samuel Eto’o ni la fédération n’ont officiellement réagi. « Nous étions accaparés par la préparation du Ballon d’or, par les préparatifs de la sélection avant la Coupe d’Afrique des nations (CAN). Il faut prendre le temps de le lire, et ensuite, il sera décidé de réagir ou non », a répondu au Monde Afrique Jean-Marie Nkoussa, le chef du département communication de la fédération. Pierre Crépin Nyamsi, candidat à l’élection en 2021 avant de se retirer au profit de l’ex-buteur du FC Barcelone et de l’Inter Milan, se montre en revanche plus prolixe.

Ce docteur en sciences de l’information et de la communication propose une perception radicalement différente de celle exposée par Jean-Bruno Tagne. « Le bilan de Samuel est satisfaisant. Il a décidé de limoger Antonio Conceiçao et de le remplacer par Rigobert Song, et cela n’a rien de choquant qu’un nouveau président choisisse avec qui il veut travailler. Il a dénoncé le contrat avec Le Coq Sportif car ce partenariat n’était pas bon pour l’instance. Son management ? Mais avez-vous entendu ses collaborateurs se plaindre ? Il a redonné de l’importance aux footballeurs et la fédération a vu arriver de nouveaux annonceurs », estime l’universitaire, qui voit en Samuel Eto’o « un perfectionniste qui veut le meilleur pour le football de son pays. J’aurais préféré que Jean-Bruno Tagne attende la fin du mandat pour faire un vrai bilan. » L’auteur confie justement qu’il publiera à ce sujet un nouveau livre dans deux ans.

Alexis Billebault

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