Par correspondance

Dans une tribune libre parvenue à notre rédaction, l’auteur de” Paul Biya chroniques de la fin” qualifie le grand argentier de l’Etat de joueur d’Abbia des Biya et tutti quanti…

le joueur d’abbia des Biya

Monsieur,

Lorsque vous me voyez tenu devant votre porte, ressaisissez-vous prestement et comprenez que la République s’est déportée à votre chevet. En tant que philosophe en effet, je suis le Totem de la République, c’est-à-dire le sens le plus noble de l’engagement social et politique, l’idée la plus aboutie de l’intérêt général, l’expression la plus marquée de l’esprit de sacrifice, la plus profonde et la plus contraignante réquisition du vrai et du juste, la dimension la plus incisive de la respectabilité, l’incarnation exigeante du dévouement de soi envers les valeurs les plus nobles et les plus fascinantes autour desquelles toute citée policée se construit : la justice, la solidarité, la liberté et le progrès social et économique pour la patrie. Je suis la République et vous me devez écoute et déférence en tant que l’un de mes serviteurs. 

Je viens à votre chevet en ce sens que je prends la température de votre gestion et je vous informe du niveau de votre convalescence ou du degré de fièvre que vous ressentez quand vos mains périssables touchent aux coffres-forts de la République dont vous êtes le Grand Argentier. Il y a deux ans, je m’étais rapproché de vous pour vous proposer un projet éditorial portant sur « L’éthique du Fonctionnaire des Finances », parce que des informations m’étaient parvenues sur votre gestion controversée des lignes de crédit 94 et 65 au Ministère de l’économie, du plan et de l’aménagement du territoire. Je me proposais donc de faire des séminaires et propositions déontologiques et politico-philosophiques pour aider à prévenir ces accès palustres dans le corps de la Fortune publique.

Malheureusement, vos collaborateurs à qui vous aviez envoyé le dossier m’ont répondu : « Tu fais la philosophie non ? Tu vas donc manger ta philosophie là ; ta femme va mettre tes livres là dans la marmite et elle va les cuisiner. Le ministre sait pourquoi il nous a transmis ton dossier ». J’en avais conclu que ces engueuleurs inexperts souffraient d’étourdissements dus à la rencontre traumatisante avec le nocturne travailleur du jour que je suis et, donc, qu’ils ne comprenaient plus rien aux usages de la République. Seul un pouvoir clivant et « échouant » peut s’autoriser de traiter un Penseur exigeant de mendiant. J’ai ignoré leur affront ; je vous ai tous oubliés pour un temps.      

Mais avec le scandale de l’enrichissement aussi scandaleux qu’immoral d’Amougou Belinga, après l’assassinat de martinez Zogo et la double tentative d’assassinat dont j’ai été victime, après le déclenchement de la guerre des clans qui fait rage à Yaoundé et dont vous êtes un acteur central, après l’Appel à la solidarité des Ekang lancé par une jeune frère journaliste talentueux, le garçon de courses et homme de main fidèle d’Amougou Belinga, j’ai voulu commencer à pratiquer cette salutaire solidarité clanique. J’ai décidé de venir à vous, la fontaine des largesses d’État aux mafiosi, en me disant, dans mon for intérieur, que je ne saurais mourir sans toucher aussi au milliard. Je vous ai donc écrit, résolu : « Je souhaiterais par conséquent obtenir une aide financière ou matérielle (en tôles et accessoires) de votre part, fruit de votre générosité réputée, ou une avance sur solde à mon profit, advenant que vous rencontriez vous-même des difficultés financières. » Votre collaborateur m’a répondu : « Nous sommes fâché contre toi. Tu t’attaques au ministre d’État, Jacques Fame Ndongo pourquoi, au lieu de t’attaquer à Nganou Djoumessi ? » La solidarité-discrimination bulu quoi…

Monsieur le Bulu,

Je me serais tu, comme il y a deux ans, lorsque vous aviez ignoré ma demande de financement du projet éditorial « L’éthique du fonctionnaire des Finances ». Mais à cause d’un concours de circonstances bizarre, au sortir de cette humiliation, pendant que je réfléchissais sur cette mission-condition que m’avait confiée votre plus proche collaborateur, j’ai croisé votre convoi qui se garait à l’entrée principale du ministère des finances et je vous ai observé sans être vu, invisible comme un Esprit… Vous émergiez de la rutilante « cylindrée » comme un déluge fatidique. Vous étiez plein, parfumé et sécurisé comme un billet neuf sort d’un coffre-fort rempli. J’ai observé votre entrée solennelle dans le grand hall et j’ai été impressionné par le flegme, le pas assuré et la démarche imposante qui, à distance, zigouillait la faim, les incertitudes et les petits soucis de la vie. On aurait dit un billet craquant d’un milliard de francs dansant au vent.

Alors je me suis souvenu que vous êtes un Enfant de la forêt, comme moi, je crois. Vous savez l’adage de chez nous qui enseigne ceci : « Blâmons les ignames, mais blâmons aussi les hérissons ! » Je dois donc vous blâmer, vous particulièrement, non point à cause du classement de mon dossier sans suite ; ce qui est un non-événement de la part de votre régime (et, d’ailleurs, vous savez que je suis « sans confiance » avec les méchants non-repentis), mais parce que, comme il est convenu de le dire dans notre aire géographique, il me faut marteler que « le serpent qui pourrit jusqu’à la queue maintenant ci, c’est à cause de vous, … aussi » !

J’avais écouté une de vos interventions devant la représentation nationale. Devant les députés, vous dénonciez les dénonciations à caractère tribales de certains critiques de l’action gouvernementale qui vous reprochaient de faire une part trop belle aux ressortissants « Beti » dans la répartition des crédits issus des lignes 94, 65 et autres, et surtout aux crédits exorbitants accordés à Amougou Belinga. Vous leur objectiez, en substance, que ce que les ressortissants d’une certaine région, sous-entendue la région de l’Ouest, recevaient de la part de l’État des crédits incomparablement plus costauds que les « sommes négligeables » versées à Amougou Belinga. On est tenté de vous croire, d’autant plus que ceux-ci sont demeurés silencieux, à juste titre. Ne dit-on pas que la bouche qui mange ne parle pas ? L’exception à cette loi de la gourmandise est incarnée par le Zomelo’o des Zomelo’o…

Mais pourquoi cette opacité dans la gestion desdites lignes ? Pourquoi complaisance envers ces compatriotes des Montagnes ? Cette préférence revendiquée d’octroi de faveurs exorbitants aux ressortissants d’une région précise est-elle le signe de l’équité républicaine, la manifestation d’une gestion équilibrée et rationnelle des ressources financières de l’État ?

J’ai de gros doute sur le niveau de pénétration de ces valeurs et exigences républicaines dans votre gestion de notre argent. Aussi suis-je fondé à m’interroger dialectiquement : les faveurs économiques évaluées en centaines de milliards octroyées en quantité aux ressortissants de l’Ouest ne seraient-elles pas la preuve du détournement de fonds masqué par les membres du clan des super-Bulu au pouvoir, des malversations de fonds publics qui se transforment miraculeusement en rétrocommissions et prête-noms pour couvrir les tueries économiques perpétrées depuis une quarantaine d’année dans notre pays pour faire pourrir les « fruits de la croissance » et alimenter les distilleries de la misère qui sécurisent votre longévité au pouvoir ?

Monsieur,

Et si tout ceci n’était qu’une farce de très mauvais goût, une stratégie démoniaque pour tuer, à petit feu, les valeureux habitants de la forêt qui pourraient faire ombrage à votre cupidité vorace et à votre rapetissement entretenu ? Au final, les capitalistes sauvages Bamiléké ne seraient que très peu responsables de cette terrible tragédie, de cet immense massacre de notre présent et de notre avenir. C’est vous, les super-Bulu, c’est-à-dire les Bulu tribalistes au pouvoir et leur affidés opportunistes, cupides et cyniques qui avez décidé de décimer le peuple Bulu, Bëti, bref tous les Seigneurs de la forêt, en les rendant alcooliques, désœuvrés, déracinés et paupérisés, en complicité avec les industriels du King Arthur et du Kitoko ! Vous avez libéralisé le marché de l’alcool et de la drogue, pour que le conquérant peuple de la forêt soit conquis et que tous les autres tribus réunis ne s’opposent pas à votre spoliation des ressources nationales, à votre satanisme et à vos crimes en coaction.

Car autrement, quel principe gouvernerait une redistribution si scandaleuse de l’argent public ? Parmi les Beti-Bulu, il n’y avait qu’Amougou Belinga qui ait bénéficié de la nature le don des affaires ! Pourquoi l’homme d’affaires Zogo Andela, l’Éton de la Lékié, avait-il vu sa vie détruite, dépossédé de ses milliards par l’un des vôtres ? pourquoi celui à qui Martinez Zogo avait rendu visite la veille de son assassinat croupit-il en prison depuis des décennies alors que l’État du Cameroun a été condamné sur son cas ? La réponse à cette interrogation coule de source. On sait que c’est l’État, le gouvernement et assimilés qui devraient impulser une dynamique économique, en mobilisant les compatriotes afin qu’ils sortent des sentiers battus en prenant en main leur quotidien et leur destin pour produire des biens de consommation localement. C’est à vous que revient d’organiser le pays et d’inspirer la révolution intellectuelle, économique, scientifique, politique, industrielle et culturelle requise en ce moment crucial.

Or, ce à quoi nous assistons est aux antipodes de cette vision. Nous vivons un ensauvagement systématique et généralisé qui, en amplifiant le désordre, le favoritisme, la haine, les divisions et le pillage des ressources nationales, détourne les citoyens de l’essentiel et les contraint, de force, à renoncer à créer, à ne plus distinguer le mal, le beau et le vrai, à arrêter de penser, à limiter les fonctions d’imaginer et de goût qui pouvaient les conduire à voir neuf et à « entendre dangereusement », à supprimer l’espérance en eux, en un mot, à s’oublier et à s’animaliser dans le déni, la délation, l’automystification, la méchanceté gratuite, la peur et le renoncement.

Ceux qui ont gouverné ce pays depuis les indépendances, surtout depuis 1982, sont profondément, essentiellement, ontologiquement anti-républicains, anti-camerounais. Pour la plupart, ce sont des prévaricateurs improductifs et incompétents, des prédateurs économiques insatiables qui n’ont que faire du « bien du pays », du vain mot de développement, de l’industrialisation et de tout ce bavardage qui les dérange dans leur entreprise dionysiaque de mastication, de digestion, de défécation et de pénétration des trous dont la nature interdit l’entrée… Ils s’assument malgré tout et en tout temps : ce sont de fiers et assumés jouisseurs !

Pendant ce (long) temps, ils bloquent le progrès et dissuadent l’investissement en asphyxiant et détournant les circuits de production à leur profit individuel et pour le compte de leurs intérêts égoïstes.

Nous sommes dans un processus quasi mystique de captation de progrès et d’assassinat de l’avenir d’un Peuple devenu amorphe et complice de son anéantissement. Le secteur privé, la société civile, l’université, bref, tous les segments de la société sont tenus en laisse, gangrénés par le satanisme et la criminalité entretenue par les décideurs publics repus et hilares.

Monsieur le Ministre,

Vos désespérants discours d’espoir permettent de se demande si l’espoir est encore permis dans ce pays. Le système inique et criminel que vous incarnez empêche désormais la vie sur tous les plans. Avec vous, avec tous ces milliards jetés à travers les fenêtres des maisons closes, rien ne doit survivre à votre débordement de narcissisme, d’incompétence et de méchanceté … Comme votre grand-frère de Président, vous aviez tout entre les mains pour imposer comme des figures majeures du 21e siècle, mais vous vous êtes laissés aller dans la facilité, le manque d’ambitions saines, le refus non-assumé d’aspirer à la vraie grandeur, les petitesses risibles et autres bas calculs politiques qui ont fini par vous combler de néant.

Le pays est livré au hasard. Vous jouez à l’abbia avec le Cameroun. Vous vous vantiez depuis plus de quarante ans que vous maîtrisez l’abbia, ce jeu de hasard très populaire dans la forêt tropical camerounaise où le joueur, en fonction de sa fortune, misait toutes sortes de biens : pipe, cache-sexe, calebasses de vin de palme, cheptels, plantations, femmes, enfants, etc. Votre groupe a déjà des millions d’autres compatriotes tout aussi valeureux les uns que les autres. Vous venez de miser Amougou Belinga, Martinez Zogo. Les autres ont raflé la mise. Eux, ils refusent de miser et exigent que vous misiez encore et encore. Il y a plusieurs fraudes et de nombreux litiges non tranchés. Qui coordonne le bon déroulement du jeu ? Quand va-t-il intervenir ? À quand l’issue de cette partie maudite ? Comment s’organiser devant une si criminelle imposture ? Comment se soigner et guérir de cette malchance et de cette folie tueuse qui nous surplombent et qui nous pénètrent comme un gaz mortel nation sorti tout droit des bas-fonds irrespirables du Lac Nyos… ?

Monsieur le Joueur d’abbia,

À quand la fin de votre abbia ? Nous avons déjà trop joué ou regardé jouer. Vos amusements ensanglantés ne sont plus drôles. Le Peuple est exténué de vos difficultueux plaisirs.

Nous ne voulons pas de cette plénitude existentielle fugace, factice et péremptoire qui nous vole notre humanité et déciment la fortune publique.

Nous, le Peuple, nous nous contentons désormais des miettes de vie qui tombent sous les sens, en attendant…

Vive la fraternité Ekang !

Fridolin NKÉ

Expert en Discernement

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