Par Yves Plumey Bobo (Jeune Afrique)

Alors que des solutions étaient envisagées entre Cabral Libii, président du PCRN, et son fondateur, Robert Kona, qui l’accuse d’avoir usurpé son parti, l’entrée en jeu de Paul Atanga Nji, ministre de l’Administration territoriale, a interrompu les négociations. Et Cabral Libii crie au « complot ».

Le Parti camerounais pour la réconciliation nationale (PCRN) de Cabral Libii n’est toujours pas sorti de crise. Robert Kona, fondateur du parti, avait déposé une plainte contre celui que l’on surnomme le « Macron camerounais » devant le tribunal de première instance du Mayo-Kani, à Kaélé (Extrême-Nord), en novembre, l’accusant d’avoir usurpé sa formation politique. Ladite accusation a débouché sur une crise interne, qui avait conduit à l’interdiction du congrès du parti, prévu du 9 au 10 décembre.

« Tournant déplorable »

Afin de clarifier la situation, Robert Kona a convoqué le 14 décembre une conférence de presse à l’hôtel Djeuga Palace à Yaoundé, au cours de laquelle les membres fondateurs et élus du parti ont exprimé leur « profonde préoccupation face à une série d’événements alarmants au sein » du PCRN. Ils ont même tout bonnement accusé Cabral Libii d’abus de confiance.

Ils estiment ainsi que, le 11 mai 2019, celui-ci « a transformé une réunion en premier congrès ordinaire illégal ». Ce qui marque « un tournant déplorable dans l’histoire de notre parti », a poursuivi Robert Kona, qui estime que c’est cette assemblée qui a « abouti à l’élection illégale de Cabral Libii et à l’élection de personnes absentes lors de cette réunion, au vu du procès-verbal préconçu par Cabral Libii ».

Les participants à la conférence de presse ont donc réitéré à l’attention de l’opinion publique leur intention d’assigner l’homme politique et sept autres membres ayant participé à cette réunion du 11 mai 2019 devant le tribunal de première instance de Mayo-Kani à Kaélé, le 4 janvier 2024. Ils demandent aussi la suspension du congrès de décembre 2023, qui, selon eux, est « prématurée » et « irresponsable ».

Une ascension sur la base d’une « usurpation »

Dans un mémorandum signé par une centaine de militants puis transmis à Jeune Afrique à la suite de la conférence, les militants frondeurs estiment « qu’il est indéniable que l’ascension de Cabral Libii à la présidence du PCRN a permis au parti de sortir de l’ombre ». Cependant, cette émergence ne « doit pas occulter la réalité : c’est la fondation administrative et légale solide du PCRN, établie bien avant son avènement, qui a rendu possible son ascension », écrivent-ils.

Malheureusement, regrettent les pourfendeurs du Macron camerounais, « cette ascension s’est faite sur la base d’un abus de confiance caractérisé, lors d’une réunion transformée en congrès de Guidiguis le 11 mai 2019 ». Cette « usurpation », poursuivent-ils, ne saurait être occultée, car, à travers de tels agissements, il ressort que le PCRN dans son état actuel semble être davantage une « plateforme pour des ambitions personnelles qu’une entité au service d’un projet collectif ». « Cela ne peut plus durer », ont-ils martelé.

En conclusion, « nous, fondateurs, avec le soutien de nos élus et membres, déclarons l’organisation de primaires ouvertes au sein du parti en juillet 2024 ». Ces primaires viseront à investir un candidat pour représenter le PCRN aux prochaines élections présidentielles. Et, tout en encourageant tous les élus actuels à participer démocratiquement à cet exercice, ils ont déclaré que « le contrôle actuel du parti leur est retiré ».

Cette conférence de presse intervient quelques jours après la mise en œuvre par le bureau politique national d’une mesure dont l’objectif, selon un communiqué signé par Cabral Libii, est que « le dialogue et la réconciliation prévalent au sein du parti ». Après trois tentatives infructueuses, il avait été mis en place une nouvelle mission de dialogue et de médiation, composée d’élus, de membres du bureau politique, de vice-présidents et de secrétaires nationaux. Celle-ci a tenu une réunion avec Robert Kona, le 4 décembre à Yaoundé, avant que le dialogue ne soit interrompu à la mi-journée. Le 9 décembre, les discussions avaient pu reprendre et il avait été convenu d’une rencontre à Yaoundé pour le lendemain. Selon Cabral Libii, « des pistes de solutions [avaient] été explorées, mais sans qu’une issue définitive ne soit trouvée ».

Que s’est-il donc passé pour que Robert Kona reprenne l’offensive le 14 décembre ? Une rencontre est au cœur des spéculations : le 5 décembre, le fondateur du PCRN a en effet tenu à accepter l’invitation à une discussion avec Paul Atanga Nji, ministre de l’Administration territoriale (Minat). Il n’en fallait donc pas plus pour que Cabral Libii et son état-major concluent que la « rupture unilatérale » des négociations par Robert Kona avait été la conséquence de l’intervention du membre du gouvernement. C’est en tout cas ce qu’a insinué la députée du PCRN Rolande Ngo Issi, dans une sortie télévisée : « C’est le ministre de l’Administration territoriale, Paul Atanga Nji, qui est derrière Kona et qui est en train de le manipuler. » Elle affirme en outre que « [Robert Kona] est aux petits soins du Minat, qui lui a déjà trouvé un logement […] et un véhicule ».

Pour Rolande Ngo Issi, cette conférence de presse du 14 décembre, organisée selon elle par Paul Atanga Nji lui-même, est le signe même de l’influence du pouvoir de Yaoundé sur les activités du parti qu’il tente de détruire. Une version que Robert Kona dément formellement. Pour lui, ces accusations sonnent comme une « injure », qui ne fait qu’ajouter à sa motivation de rompre tout dialogue avec Cabral Libii.

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