Avec AFP

La Cour de justice de la République (CJR) a relaxé mercredi le ministre de la Justice, qui souhaite désormais “tourner la page”. Éric Dupond-Moretti était accusé d’avoir abusé de ses fonctions de ministre pour régler des comptes liés à son passé d’avocat, ce qu’il contestait. L’accusation avait requis un an de prison avec sursis.

Relaxe pour le ministre de la Justice. Après un procès inédit, la Cour de justice de la République (CJR) a relaxé, mercredi 29 novembre, le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, qui sauve ainsi sa place au gouvernement.

“Je veux tourner la page, même si c’était quelque chose de douloureux, et je veux reprendre le cour ordinaire de mon travail”, a déclaré le ministre, invité du journal télévisé de France 2.

“J’ai accepté pendant trois ans de me faire injurier. Je n’ai jamais répondu. Et pourquoi je n’ai pas répondu ? […] Pour préserver la fonction ministérielle. Et j’ai bien fait de le faire”, a-t-il ajouté. “C’est bien que je n’aie pas été contraint à la démission, parce que je suis innocent ce soir. Et je voudrais que l’on s’en souvienne”, a-t-il aussi affirmé.

Le chef de l’État, Emmanuel Macron, n’a pas souhaité commenter cette décision. Il a toutefois reçu son ministre dans la foulée du prononcé de la décision de la CJR “afin de passer en revue les chantiers en cours et à venir pour continuer d’améliorer le service public de la Justice”, a précisé l’Élysée.

La Première ministre Élisabeth Borne, en revanche, s’est réjouie de la décision de la CJR. “Le garde des Sceaux va pouvoir continuer à mener son action au sein de l’équipe gouvernementale, au service des Français. Je m’en réjouis”, a-t-elle écrit sur X.

Les juges de la CJR, en majorité des parlementaires, n’ont pas suivi les réquisitions du procureur général de la Cour de cassation Rémy Heitz, qui avait réclamé un an de prison avec sursis à la fin de ce procès inédit d’un ministre de la Justice en exercice.

“C’est ce que l’on espérait, c’est ce que le droit dictait. C’est évidemment une satisfaction, une émotion énorme […]. La Cour de justice de la République a jugé que le ministre de la Justice était innocent”, a réagi devant la presse Me Jacqueline Laffont, l’une des avocats d’Éric Dupond-Moretti, qui a quitté le tribunal sans faire de commentaire mais qui sera mercredi soir sur le plateau du 20 h de France 2.

L’accusation “étudie en détail” la décision avant de se prononcer sur un éventuel pourvoi en cassation, a-t-on appris de source proche du dossier. La plus haute juridiction de l’ordre judiciaire ne se prononce pas sur le fond du dossier, mais examine simplement le respect des règles de droit. Si la décision était cassée, un nouveau procès pourrait être ordonné.

La cour a considéré dans ses motivations que “l’élément matériel” de la prise illégale d’intérêts était bien constitué, mais pas l’élément intentionnel.

“À aucun moment”, le ministre “n’avait exprimé […] une animosité, un mépris ou un désir de vengeance” envers les quatre magistrats qu’il avait critiqués quand il était avocat, et contre lesquels il avait ouvert une enquête administrative en tant que garde des Sceaux, a déclaré le président de la CJR Dominique Pauthe, qui avait appelé le ministre à la barre avant de commencer à lire les motivations de la décision. La cour a également estimé qu’il n’avait pas été “averti” du conflit d’intérêts.

Pendant la lecture de la décision, qui a duré moins d’une demi-heure, Éric Dupond-Moretti, en costume sombre, est resté droit devant le pupitre, les bras croisés derrière le dos.

“Un désaveu pour la démocratie et l’esprit de justice”

Pour Me Christophe Clerc, avocat du syndicat de la Magistrature, “la reconnaissance des conflits d’intérêt” a été actée.

De son côté, Me Jérome Karsenti, avocat de l’association Anticor, a jugé qu’il n’y avait pas “de surprise avec la Cour de justice de la République : c’est la clémence vis-à-vis de nos élus.” “C’est un désaveu pour la démocratie et l’esprit de justice”, a-t-il ajouté.

Le garde des Sceaux, resté en poste pendant ses dix jours de procès sans manquer une seule audience, était arrivé au palais de Justice un peu avant 15 h.

La décision de la CJR était déjà actée, mais tenue secrète : les juges s’étaient réunis dans la foulée du procès, le 16 novembre, pour délibérer. Avant de la lire en audience publique, les trois magistrats professionnels et douze parlementaires de tous bords qui composent la cour se sont réunis une dernière fois dans la matinée, pour valider la rédaction de l’arrêt.

L’accusation avait requis un an de prison avec sursis, disant sa “conviction” qu’Éric Dupond-Moretti s’était bien rendu coupable de prise illégale d’intérêts en ouvrant, en tant que ministre, des enquêtes administratives visant quatre magistrats qu’il avait critiqués quand il était avocat – déclenchant une plainte inédite des syndicats de la magistrature.

Le ministre n’est “coupable de rien”, avait répondu sa défense en plaidant la relaxe. Mais une condamnation, même “la plus basse”, même “la plus ridicule”, “suffirait” à entraîner sa “démission”, avaient soutenu ses avocats. À l’approche de cette échéance décisive pour son avenir politique, Éric Dupond-Moretti était “serein”, satisfait d’avoir “pu s’expliquer”, assurait son entourage. “Pour la première fois” depuis le début de ses ennuis judiciaires quelques mois après sa nomination surprise à l’été 2020, “il s’est défendu, et a été défendu”.

La première fois qu’un ministre de la Justice en exercice est jugé

Après ce procès inédit – c’est la première fois qu’un ministre de la Justice en exercice est jugé –, Éric Dupond-Moretti a renfilé le costume de ministre comme si de rien n’était, enchaînant réunions et déplacements. Et malgré l’approche de la décision, son cabinet avait déjà préparé son agenda pour la fin de semaine… quitte à devoir tout annuler si le ministre avait été reconnu coupable.

Mardi après-midi, pour sa dernière séance de questions au gouvernement à l’Assemblée nationale avant la décision de la CJR, Éric Dupond-Moretti n’avait en tout cas pas choisi de se faire discret. En réponse à une question d’une députée du Rassemblement national, il s’est lancé dans une violente charge contre “l’indécente démagogie” du parti qu’il a appelé à “chasser de ses rangs” les “identitaires, nazillons, racistes et antisémites”. 

Furieux, les députés RN ont alors quitté l’hémicycle et Marine Le Pen a annoncé “une plainte” contre le ministre. Au cours de son procès, Éric Dupond-Moretti s’était montré égal à lui-même, ne laissant rien passer et faisant subir aux témoins à charge un fond sonore de grommellements, de soupirs exaspérés et d’exclamations indignées. “Pardon, je suis un peu bouillonnant”, s’était excusé auprès de la cour l’ex-ténor du barreau.

Devant la CJR, il n’a cessé de jurer avoir laissé “loin derrière lui” ses vieux différends avec les magistrats, n’ayant plus qu’un unique but, “réussir son ministère”. Le reste, avait-il martelé, “je m’en fous”.

Avec AFP et Reuters

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