Par Angelina MULAGWE et BBC

À mesure qu’on s’éloigne de la présidentielle de 2018, contestée par le candidat arrivé deuxième, et qu’on se rapproche de celle de 2025, de nombreux changements interviennent dans la scène politique. Ceux-ci pourraient être déterminants pour l’issue du scrutin à venir.

Cabral Libii, un congrès sous fond de plainte

Le candidat arrivé troisième lors de la dernière présidentielle n’a certainement pas les journées tranquilles avec l’enchaînement des événements de ces derniers jours.

Le Parti camerounais pour la réconciliation nationale (PCRN) qu’il dirige depuis juillet 2019 s’apprêtait à organiser un congrès du 15 au 17 décembre prochain, en vue « d’affiner les préparatifs des combats électoraux avenirs », a confié Cabral Libii à la presse.

Mais, l’ambition n’a pas prospéré, le parti a été notifié d’un rétropédalage du sous-préfet du deuxième arrondissement de la ville balnéaire de Kibri dans le sud du pays où les assises devaient se tenir, revenant sur sa décision et interdisant la rencontre qu’il avait autorisée quelques jours plutôt.

Raison évoquée par l’autorité administrative, ce sont des « dissensions internes à ce parti, susceptibles de troubler gravement l’ordre public », peut-on lire sur le document.

En lien certainement avec la crise interne que traverse la formation politique depuis un moment. L’actuel président du parti, Cabral Libii, doit comparaître le 4 janvier prochain, devant le tribunal de première instance de Kaélé dans l’Extrême-Nord du pays.

La citation à comparaître émise par le juge, vient à la suite d’une plainte de Robert Kona, l’un des fondateurs du PCRN, qui le dirigeait jusqu’en juillet 2019, avant de passer le témoin à Cabral Libii et d’en devenir président d’honneur, et premier conseiller de M. Libii.

Seulement, entre lui et l’actuel président, ce n’est vraisemblablement plus le grand amour « Il ne me prend plus au téléphone, il prend ses décisions seul sans me consulter, c’est une dérive autoritaire » lance Robert Kona, joint par BBC Afrique.

Pourtant « les textes disent qu’il doit me consulter avant toute prise de décisions», explique-t-il, avant de conclure « je veux qu’il me remette le parti ».

Des déclarations que rejette Cabral Libii, qui semble plutôt plus préoccupé par les raisons de l’interdiction de son congrès, qui dit-il « avait déjà enregistré plus de 1500 participants volontaires ».

Selon lui, « il n’y avait pourtant aucune inquiétude à se faire, étant donné que les accusations de dérives autoritaires évoquées n’émanent que d’une seule personne », explique-t-il au téléphone.

« La personne dont vous parlez, je ne comprends pas ses réelles motivations. Tantôt, je suis autoritaire, tantôt, je ne lui rends pas compte, tantôt, je ne le consulte pas. En-tout-cas, je suis serein, je me présenterai au tribunal, et donnerai des arguments qui montrent que je ne suis pas fautif », explique-t-il.

Cabral Libii, 43 ans, a déjà connu une première rupture de ban avec une formation politique avec laquelle il était partenaire. Il s’agit du parti Univers, qui a présenté sa candidature pour la présidentielle de 2018.

Président du mouvement « 11 millions d’inscrits », qui l’a révélé au grand public, il s’est allié à « Univers », pour pouvoir participer à l’élection, conformément au code électoral qui ne donne la possibilité de candidater, qu’aux personnes présentées par des partis politiques ayant déjà des élus (députés ou conseillers municipaux), à défaut de recourir aux parrainages ; une deuxième option qui s’avère difficile dans le contexte camerounais.

Mais quelques mois après la présidentielle, le candidat arrivé troisième s’est brouillé avec le président du parti « Univers », qui lui demandait des comptes de la gestions des finances liées à la présidentielle qui venait de s’achever.

Il faudra donc rester attentif à l’issue du procès de Kaélé qui oppose M. Libii au fondateur du PCRN, car, le parti est une bonne garantie de participation à la présidentielle prochaine pour le député du Nyong Ekélé.

Étant donné que cette formation politique a participé aux dernières législatives et municipales et a engrangé 5 sièges à l’Assemblée nationale, 7 communes, et plus de 200 conseillers municipaux.

Un verdict en sa défaveur, pourrait mettre celui qu’on appelait le «Macron camerounais » en ballotage défavorable, pour une éventuelle participation à l’élection présidentielle.

Maurice Kamto espère les locales avant la présidentielle

Maurice Kamto est arrivé deuxième à la présidentielle 2018, dont il a revendiqué la victoire face au président Paul Biya, au pouvoir depuis 1982.

Seulement, l’opposant, ancien ministre délégué à la justice, aujourd’hui âgé de 69 ans risque de ne pas être candidat à la présidentielle de 2025. La raison ? Son parti, le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) a boycotté les législatives et municipales de 2020, dénonçant « un hold-up électoral » en préparation.

Cette absence aux dernières législatives compromet fortement ses chances de participer à la prochaine présidentielle, étant donné que le MRC qu’il dirige n’a aucun élu sur l’ensemble du territoire.

Reste à savoir s’il optera pour une alliance avec un autre parti politique, ou s’il choisira l’option des parrainages.

Mais depuis, l’opposant tente de rassurer quant à sa participation à la présidentielle, et exige la tenue de nouvelles législatives et municipales, avant la présidentielle.

Les députés et conseillers municipaux et députés ayant été élus en février 2020 pour un mandat de 5 ans, cette option positionnerait les scrutins autour du mois de février 2025.

Il faut tout de même tenir compte du fait que dans l’histoire du Cameroun depuis le retour du multipartisme en 1991, le pays n’a jamais tenu des élections législatives municipales et présidentielles la même année, à l’exception des législatives de 1997, tenues séparément des municipales.

Les deux derniers scrutins couplés législatives et municipales ont été reportés. En 2012, c’était pour donner du temps à Elécam, l’organe en charge des élections dans le pays, récemment mis en place de se consolider et de réunir les moyens matériels et financiers.

En 2018, l’élection a été reportée pour un an en juillet, mais ne s’est finalement tenue qu’en février 2020, sur la sollicitation de la présidence de la République, expliquant aux députés que “la tenue au cours de l’année 2018 des élections présidentielle, législatives et municipales sensiblement aux mêmes périodes rend difficile leur organisation matérielle, à cause du chevauchement des opérations électorales.”

En attendant, le Mouvement Pour la Renaissance du Cameroun entend organiser une convention les 9 et 10 décembre prochain au palais des congrès de Yaoundé.

Evènement pour lequel le parti attend toujours l’autorisation de l’autorité administrative compétente (le sous-préfet du deuxième arrondissement de Yaoundé Ndlr) depuis le dépôt d’une déclaration de manifestation à son bureau, renseigne Maitre Christopher Ndong, secrétaire général du MRC.

Président de la commission électorale lors de ce congrès, il a déjà « validé et invalidé des candidatures pour la présidence du parti et les a envoyées à Maurice Kamto » confie-t-il, avant de poursuivre « lorsqu’il me fera un retour après son avis, je publierai la liste ».

Maurice Kamto est lui-même candidat, selon la presse locale, même si le concerné ne s’est pas encore prononcé officiellement sur la question.

L’éventualité de sa candidature a souvent été contestée au sein du parti. Deux virulents opposants à cette candidature ont été exclus du parti au cours des 6 derniers mois.

Notamment Me Michèle Ndoki, qui a appelé clairement Maurice Kamto à « exécuter le plan (alternance au sein du parti Ndrl) de départ » et de ne pas se présenter, et dénoncé les « vagues de démissions au sein du parti. »

L’avocate de 50 ans a été exclue en juillet dernier pour « refus de se conformer à la ligne politique et à la discipline du parti », selon la décision du parti.

Pour elle, c’était la suite logique des événements, puisque « l’objectif de mon exclusion était d’empêcher ma candidature… Je suis exclue parce que j’ai décidé de m’insurger contre la récupération du parti au service d’un homme, et de ses ambitions », a-t-elle confié à une télévision privée camerounaise, en réaction à son exclusion définitive de la formation politique.

Outre ces exclusions, plusieurs militants du parti ont démissionné, et plusieurs de ses militants de premier rang, comme le trésorier du parti, l’universitaire Alain Fogue, ou encore le porte-parole de M. Kamto sont écroués pour 7 ans.

Arrêtés avec des dizaines d’autres militants, ils ont été condamnés pour « rébellion et tentative d’insurrection » après avoir tenté d’organiser une marche pacifique en 2020, contre le gouvernement.

Franck Biya, RDPC 2025, après ou jamais ?

C’est l’élément nouveau au sein du parti au pouvoir. Franck Biya, fils aîné du président camerounais, a récemment pris la carte du parti que dirige son père depuis sa création en 1985.

À 52 ans, on lui prête depuis quelques années, des ambitions présidentielles, même si lui-même n’a jamais pipé sur le sujet.

Mais les soupçons vont bon train, depuis que les Camerounais voient cet homme d’affaires opérant dans le secteur de l’exploitation forestière faire des apparitions publiques soit en tuniques du parti, soit lors des événements sociaux comme ce fut le cas il y a quelques mois lors de l’éboulement de terrain de Mbankollo à Yaoundé .

Lorsqu’à l’occasion du 38e anniversaire du RDPC, le 6 novembre dernier, Franck Biya a prononcé un discours dans lequel il faisait allusion à son père comme « leader naturel du parti » et a sollicité le droit de réserve sur les sujets politiques.

Son acquisition de la carte de membre du parti, fait-il de lui un probable candidat à la présidentielle au nom du parti au pouvoir ?

Pour le moment, on ne peut pas trop s’avancer, il faudra certainement attendre le congrès du parti, qui n’a pas été organisé depuis 2011.

C’est dans cette instance que le président du parti, seul habileté à représenter “le parti du flambeau” lors d’une présidentielle est désigné, et actuellement, c’est Paul Biya, qui est à ce poste depuis la création du parti il y a 38 ans.

Compte-t-il le laisser ? Pour le moment, il maintient le suspense.

Interrogé en 2022 sur ses ambitions pour 2025, lors de la visite de son homologue français Emmanuel Macron à Yaoundé, le dirigeant de 90 ans a répondu « quand ce mandat (en cours) arrivera à expiration, vous serez informés si je reste (au palais Ndlr) ou si je m’en vais au village ».

SDF, une première sans Fru Ndi

Le Social Democratic Front ira, s’il le souhaite, à des élections pour la première fois sans son fondateur, Ni John Fru Ndi, décédé en juin dernier et récemment inhumé.

Le député Joshua Osih qui a récemment pris la tête du parti l’avait déjà représenté en 2018 lors de la dernière présidentielle, où il est arrivé 4ème, avec 3,35 % de voix.

Le parti, autre fois parmi les ténors de la scène politique, n’a de cesse de son nombre d’élus et ses scores à la présidentielle dégringoler.

Après avoir donné des sueurs froides au régime Biya en 1992 en perdant la présidentielle avec une différence de moins de 20 mille voix pour son candidat, Ni John Fru Ndi, face au président sortant, Paul Biya, le SDF n’a plus jamais réussi à aller au-delà des 20% des suffrages à la présidentielle, et est parti de 43 députés en 1997 à seulement 5 pour la législature en cours.

Le parti vit depuis des années au rythme des exclusions de militants qui tentent de ne pas se conformer aux règles du parti.

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