Par Franck FOUTE, Jeune Afrique

Le président de l’Assemblée nationale camerounaise s’oppose depuis des semaines au doyen des députés anglophones. Malgré les tentatives de réconciliation, l’accalmie n’est toujours pas en vue.

LE MATCH DE LA SEMAINE. C’était censé être une réunion de réconciliation. Le 23 novembre dernier, le président de l’Assemblée nationale, Cavayé Yéguié Djibril, a rassemblé l’ensemble des députés anglophones de la région du Nord-Ouest à son cabinet. L’objectif : dissiper l’énorme brouillard qui s’est formé depuis plusieurs semaines entre les membres de sa garde rapprochée et le groupe d’élus. Depuis plusieurs semaines, les deux clans sont en effet à couteaux tirés.

Tollé et pétition

La brouille a éclaté au grand jour à la suite de propos polémiques prononcés par celui qui était alors encore directeur de cabinet du patron des députés, Boukar Abdourahim. Ce dernier avait publiquement affirmé avoir « arraché des mains d’un anglophone de Mbengwi, dans le Nord-Ouest, le poste de conseiller technique », pour le donner à un ressortissant de son village d’origine, Tokombéré, dans l’Extrême-Nord.

Ces déclarations, traduites comme le signe du clientélisme au sein de la chambre basse du parlement, avaient déclenché un tollé et une condamnation générale à travers le pays. Et si Cavayé Yéguié Djibril ne s’est jamais désolidarisé des propos de son directeur de cabinet d’alors, les députés anglophones emmenés par leur doyen Njigum Musa Mbutoh ont immédiatement réagi en rédigeant le 5 septembre une pétition pour s’en offusquer.

Njigum Musa et ses pairs y dénonçaient la sous-représentation des députés anglophones dans diverses instances de l’Assemblée nationale. Et, tout en condamnant ses propos « stigmatisants », les mécontents demandaient à Cavayé Yéguié Djibril de prendre une « sanction exemplaire » contre Boukar Abdourahim. Malade et pris dans un feuilleton autour de son évacuation sanitaire, le président de l’Assemblée n’avait pas semblé accorder une attention particulière à la fronde des élus du Nord-Ouest. Seulement, l’affaire est remontée au plus haut sommet de l’État.

Njigum Musa, pilier anglophone du RDPC

Préoccupé par les troubles grandissants autour de l’hémicycle, le directeur du cabinet civil du chef de l’État Paul Biya, Samuel Mvondo Ayolo, a pris le dossier à bras le corps. Il faut dire que, pour l’exécutif, Njigum Musa Mbutoh n’est pas n’importe qui. Né à Ndop, dans la région du Nord-Ouest, ce député du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) se trouve être l’un des principaux porte-voix de l’État unitaire dans une partie anglophone sujette à un conflit armé sur fond de revendications sécessionnistes.

Cet ingénieur informaticien de 73 ans en est à sa troisième mandature et s’est affirmé comme un des piliers du parti au pouvoir dans le Ngoketunja, fief de l’opposition et des séparatistes ambazoniens. Au début de la crise dite anglophone en 2016-2017, de nombreux élus anglophones ont été harcelés par des combattants les pressant de quitter les institutions de la République. Victimes de menaces, voire d’enlèvements, certains ont cédé, quittant le monde politique et parfois même le pays. Mais pas Njigum Musa.

Celui-ci a rempilé lors des dernières élections en 2020, permettant à sa formation politique de garder pied dans cette zone de crise. La présidence camerounaise a donc peu goûté que Njigum Musa et les élus anglophones menacent de boycotter la session de l’Assemblée en cours en cas de non-satisfaction de leurs exigences. Le président de l’Assemblée nationale a donc été enjoint de se débarrasser de son encombrant directeur de cabinet.

Cavayé Yéguié Djibril, bien que peu disposé à accepter, a finalement cédé en signant la note limogeant son collaborateur, à la joie des élus anglophones. Sauf que, depuis l’annonce de son limogeage, Boukar Abdourahim a refusé de reconnaitre l’authenticité du texte annonçant sa mise à l’écart. Depuis lors, il poursuit donc – avec le soutien tacite de son chef et dans une atmosphère ubuesque – ses activités au cabinet, ne se privant pas d’ajouter un niveau supplémentaire à la crise.

Boukar Abdourahim fait de la résistance

Dans les couloirs de l’Assemblée nationale, les rumeurs vont donc de nouveau bon train. On parle d’un boycott de la plénière d’allocution du Premier ministre Joseph Dion Ngute et encore de la séance de vote du budget… Cavayé Yéguié Djibril cherche désormais à y mettre un terme. Ne souhaitant pas céder à ce qu’il considère comme un diktat de la présidence, il continue de soutenir Boukar Abdourahim, mais a écrit une lettre à l’attention des députés anglophones afin de trouver une solution de sortie de crise, les appelant à se réunir avec lui le 23 novembre.

« Je suis député depuis 32 ans mes chers frères (50 en réalité, NDLR), a lancé le PAN lors de la rencontre, avec une tonalité particulièrement conciliante. Si vous avez un problème, venez voir votre chef. N’allez pas sur les réseaux sociaux. Vous êtes les représentants du peuple pour unir les populations. Vous avez les mêmes droits et les mêmes devoirs que l’ensemble de la représentation. Tout ce que vous demandez, si l’Assemblée peut le faire, elle le fera. Toutes vos doléances vont être prises en compte ».

Fin de la brouille ? Pas forcément car, ce même 23 octobre, Boukar Abdourahim – pourtant officiellement remplacé par Abba Kabbir Kamsouloum – a pris part à la rencontre. Ce qui n’a pas été du goût des élus, qui réclament justement sa tête ! Bien que satisfaits que le président de l’Assemblée nationale ait « condamné le discours de haine qui [les avait] mis en branle », Njigum Musa et ses pairs ont rendu public un communiqué dans lequel ils ont « réaffirmé leur engagement à défendre leur pétition ». L’accalmie entre le clan Cavayé et celui de Njingum Musa devra encore attendre.

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