Avec AFP
Le ministre chinois de la Défense, Li Shangfu, n’a plus été vu en public depuis plus de deux semaines. La disparition de ce proche de Xi Jinping intervient deux mois après celle du ministre des Affaires étrangères, et d’influents généraux de l’armée chinoise. Pour les uns, c’est une nouvelle affaire de corruption, tandis que d’autres y voient un signe d’intenses batailles politiques.
Mais où est donc Li Shangfu ? Le ministre chinois de la Défense n’a plus donné signe de vie depuis plus de deux semaines, note le quotidien britannique Financial Times dans un article publié vendredi 15 septembre.
La dernière apparition publique de ce général remonte au troisième forum sino-africain sur la Paix et la Sécurité qui s’est tenu à Pékin le 29 août. Et il n’a plus quitté la Chine depuis un voyage à Moscou et à Minsk, en Biélorussie, à la mi-août.
L’armée chinoise dans le viseur de Xi Jinping
Pékin se tait sur cette disparition. Seul indice officiel : les autorités vietnamiennes ont affirmé que son ministère avait annulé la semaine dernière un déplacement de Li Shangfu à Hanoï pour “raison de santé”.
Mais selon Washington, la vérité est ailleurs. Le ministre serait visé par une enquête pour corruption, ce qui aurait poussé les autorités à l’écarter discrètement de son poste six mois seulement après sa nomination par Xi Jinping en personne, ont assuré plusieurs responsables américains sous couvert d’anonymat au Financial Times.
Pékin semble en effet avoir entrepris un nettoyage d’été dans les rangs de l’armée populaire de libération (PLA). “On a l’impression qu’il y a une vaste enquête pour corruption dans l’armée en cours”, remarque Carlotta Rinaudo, spécialiste de la Chine pour l’International Team for the Study of Security (ITSS) Verona.
En juillet, Xi Jinping en personne avait annoncé le renvoi de deux responsables de la Force des missiles de la PLA, une branche de l’armée chargée du développement des très stratégiques missiles balistiques.
Début septembre, le président de la cour militaire de l’armée a été limogé à son tour. Aucune raison officielle n’a été donnée par le gouvernement pour cette “réorganisation surprise“.
Avec l’armée chinoise, la corruption est cependant toujours le suspect numéro 1. “Depuis l’ouverture économique de la Chine au monde dans les années 1980, l’armée traîne une réputation de corruption endémique avec de puissants généraux qui se sentent intouchables et monnayent leur influence”, souligne Marc Lanteigne, sinologue à l’université arctique de Norvège.
Dès son arrivée au pouvoir en 2012, Xi Jinping avait fait de la lutte contre la corruption dans les rangs de l’armée une priorité absolue. “C’est une obsession pour lui. Il ne faut pas oublier qu’il a commencé sa carrière comme Mishu (秘书) – terme chinois qui désigne des secrétaires personnels – d’un général de l’armée ce qui lui a permis de se rendre compte très tôt de la réalité de la corruption”, souligne Carlotta Rinaudo, de l’ITSS.
“Personne n’est à l’abri”
Les récents “coups de filet” – y compris la disparition du ministre – pourraient à cet égard illustrer la dernière manifestation en date de cette opération mains propres du président chinois.
Le fait que Xi Jinping n’ait pas hésité à se séparer d’un ministre qu’il a lui-même nommé en mars 2023 et qui “compte parmi les loyalistes du président”, comme le souligne Marc Lanteigne, prouverait la détermination du président. “Personne n’est à l’abri”, résume Carlotta Rinaudo.
Selon l’experte, le profil de Li Shangfu cadrerait bien, en outre, avec une affaire de corruption de grande ampleur dans l’armée. “En 2017, il travaillait au sein du département de développement de l’équipement militaire qui a la réputation d’être très corrompu car on y brasse énormément d’argent”, souligne Carlotta Rinaudo.
La thèse d’une grande offensive anti-corruption en cours correspond cependant assez mal au modus operandi traditionnel en la matière. Le président chinois ne s’est jamais montré discret dans sa lutte contre la corruption dans l’armée. “C’est une de ses fiertés et il aime le montrer”, relève Marc Lanteigne.
Il est possible que Xi Jinping ait opté pour le silence car il ne veut pas trop braquer les projecteurs médiatiques sur une affaire qui éclabousse un homme – son ministre de la Défense – censé être l’un de ses proches. “Ce n’est pas du meilleur effet quant à sa capacité à choisir correctement ses collaborateurs”, reconnaît le sinologue Marc Lanteigne.
Mais le sort de Li Shangfu rappelle aussi un autre épisode récent au sommet de l’État. En juillet, l’ex-ministre des Affaires étrangères, Qin Gang, avait également disparu pendant plus d’un mois. Il a finalement été officiellement limogé fin juillet… sans donner de raison officielle à cette décision. Depuis lors l’ex-ministre n’a toujours pas réapparu.
“On a l’impression qu’il y a un début de manœuvre politique à l’œuvre”, note Marc Lanteigne. Après la vague de disparitions de milliardaires et chefs d’entreprise de ces dernières années, ce serait au tour des hauts responsables politiques.
Dans cette hypothèse, ces limogeages silencieux “sont le reflet d’intenses batailles entre ministères au sein du gouvernement”, estime Marc Lanteigne. Une cacophonie en coulisse qui cadre mal avec l’image d’un contrôle quasi-absolu que Xi Jinping exercerait sur son administration.
Un pouvoir fébrile ?
Mais justement, la situation politique s’est tendue en Chine “depuis la fin de la controversée politique sanitaire du ‘zéro covid’ qui avait entraîné d’importantes manifestations contre le gouvernement”, rappelle Marc Lanteigne. Un épisode qui a pu laisser des traces, et les limogeages sont “une manière pour Xi Jinping de réaffirmer son contrôle”, analyse le sinologue de l’université de l’Arctique. “Il prouve qu’il est toujours aussi fort en se débarrassant même d’un proche”, ajoute Carlotta Rinaudo, de l’ITSS.
À l’international, ces disparitions en série donnent davantage une impression de fébrilité que de force, reconnaissent les experts interrogés par France 24. L’ambassadeur américain au Japon, Rahm Emanuel, s’est même amusé de la situation la comparant au roman “Les Dix petits nègres” d’Agatha Christie [nouvellement baptisé “Ils étaient dix”] où les personnages disparaissent les uns après les autres.
“Ce sont quand même les deux principaux ministres censés représenter la Chine sur la scène internationale – les Affaires étrangères et la Défense – qui ont disparu !”, s’exclame Marc Lanteigne. D’un point de vue diplomatique, “on ne sait plus trop à quelle parole se fier, si les ministres peuvent ainsi disparaître du jour au lendemain”, ajoute Carlotta Rinaudo.
La probable mise à l’écart du ministre de la Défense pourrait cependant se révéler bénéfique in fine pour Pékin. En effet, Li Shangfu est depuis 2018 sur la liste des personnalités visées par des sanctions américaines pour avoir vendu de l’équipement militaire à des entités russes également sanctionnées par Washington. Autrement dit : “Dans le contexte actuel des tensions sino-américaines, il n’était pas le meilleur interlocuteur pour apaiser les relations avec Washington”, en déduit Carlotta Rinaudo.
Il était aussi un “faucon ayant multiplié les déclarations très agressives sur les revendications chinoises en mer de Chine et sur les relations avec l’Occident”, ajoute Marc Lanteigne. Pour cet expert, la nomination du successeur de Li Shangfu sera un très bon indicateur de l’état d’esprit de Xi Jinping. Si le poste devait revenir à un modéré, ce serait le signe que Pékin souhaite améliorer ses relations avec Washington.