Avec AFP

L’ex-président américain Donald Trump et ses soutiens se sont empressés de faire circuler le “mug shot”, qui a été fait de lui, jeudi. Cette photo d’identité judiciaire aurait signé l’arrêt de mort politique de n’importe quel autre politicien. Mais Donald Trump est un animal politique aussi transgressif qu’unique. Et il le prouve à nouveau.

Un “mug shot” pour la postérité. Donald Trump s’est empressé de diffuser aussi largement que possible, jeudi 24 août, la photo d’identité judiciaire prise lorsqu’il s’est présenté au poste de police, dans le cadre de l’enquête sur les soupçons de manipulation des résultats de l’élection de 2020 dans l’État clé de Géorgie..

C’est la première fois qu’un ex-président américain – également candidat potentiel pour l’élection présidentielle de 2024 – a droit à un tel cliché. Sans l’ombre d’un sourire aux lèvres, les sourcils froncés et le regard fixe à mi-chemin entre la colère et l’expression de défi, cette photo du 45e président des États-Unis va “sans nul doute rentrer dans les livres d’Histoire”, ont estimé à l’unisson tous les politologues experts des États-Unis interrogés par France 24. 

Argument de vente pour une levée de fonds

De quoi nourrir l’égo d’un homme qui aime à souligner qu’il est le premier à tout et n’importe quoi à la moindre occasion. Mais ce n’est pas (seulement) par vanité que Donald Trump a publié ce portrait sur X (anciennement Twitter) pour marquer son grand retour sur ce réseau social détenu par Elon Musk. 

Il ne s’est, en effet, pas contenté de l’utiliser sur X. Son équipe de campagne a aussi commencé à vendre des T-shirt arborant cette photo, et d’autres memorabilia seraient en préparation, assure le New York Times

Le “mug shot“ sert même de pièce centrale à un nouvel appel de fonds, que le candidat Donald Trump a lancé. “C’est l’outil parfait pour activer la frange la plus radicale de sa base électorale, toujours prête à le soutenir financièrement pour faire face à ses problèmes judiciaires”, rappelle Thomas Gift, directeur du Centre d’études de la politique des États-Unis à l’University College de Londres.

Pour cet expert, le “mug shot” représente avant tout un argument de vente pour le VRP Donald Trump qui doit payer ses factures d’avocat. 

L’ex-président estime aussi que ce “mug shot” peut servir sa stratégie politique, alors même que ce cliché rappelle qu’on a affaire à un homme “visé par 91 chefs d’accusation dont certains sont identiques à ceux qui étaient reprochés aux parrains de la mafia dans les années 1930”, souligne Richard Hargy, spécialiste britannique de la politique américaine. “Pour n’importe quel autre homme politique, un tel ‘mug shot’ signerait la fin d’une carrière. Pour Donald Trump c’est un tremplin”, assure la chaîne américaine CNN.

En fait, dans le cas de l’ex-président, “c’est un cadeau qu’on lui fait car c’est l’illustration du récit qu’il n’a cessé de répéter aux électeurs : il est la victime d’une chasse aux sorcières politiquement motivée. Cette image sert à le représenter en martyr ciblé par des procureurs excessivement zélés”, résume Thomas Gift.

Une colère soigneusement orchestrée

Mais un martyr prêt au combat. “Je suis sûr qu’il a répété des dizaines de fois devant un miroir la pose qu’il a prise pour la photo. Elle est tellement travaillée”, veut croire Richard Hargy. 

Pour cet expert, Donald Trump cherche à projeter “l’image d’un homme intimidant, ce qu’il a toujours mis en avant comme étant une qualité”. La colère qui transparait aussi est “une pose censée indiquer qu’il est prêt à la confrontation et ne craint pas l’ennemi”, ajoute Anurag Mishra, spécialiste de la politique américaine à l’International Team for the Study of Security (ITSS) Verona.

Ce “mug shot” renforce aussi “la crédibilité de Donald Trump comme candidat anti-système aux yeux de sa base électorale”, estime René Lindstädt, spécialiste de la politique américaine à l’université de Birmingham. Ces derniers, souvent nourris au conspirationnisme, estiment être engagés dans un combat inégal contre les puissants et “ils veulent un candidat qui serait capable de contourner les règles imposées par le gouvernement”, ajoute René Lindstädt. 

L’ex-président espère que cette photo fera ses affaires politiques aussi au-delà de ses plus loyaux électeurs. Une présidentielle se gagne, en effet, en ratissant plus large que sa base électorale traditionnelle. “Un premier test intéressant sera de connaître l’effet de ce ‘mug shot’ sur les électeurs républicains plus modérés”, estime René Lindstädt. 

Ce cliché peut être la casserole judiciaire de trop pour certains d’entre eux. Mais les experts interrogés estiment que la majorité de républicains modérés rejoindront le train de l’anti-trumpisme, uniquement si les autres candidats à la primaire républicaine ou les médias conservateurs utilisent cette photo pour critiquer Donald Trump. Mais, pour l’instant, ce n’est pas le cas. 

Dilemme pour les démocrates

L’ex-président peut aussi se servir de cette image pour convaincre les républicains indécis en suggérant qu’elle démontre qu’il “est le candidat à droite le plus attaqué par le pouvoir démocrate car c’est lui qui leur fait le plus peur”, estime Anurag Mishra. 

Quid des électeurs indépendants – qui jouent souvent un rôle crucial lors de l’élection présidentielle – si Donald Trump devient effectivement le candidat du parti républicain ? Le risque est qu’une partie d’entre eux voient en cette photo “l’acharnement d’un pouvoir contre un homme qui représente la fonction présidentielle” à laquelle un grand nombre d’Américains sont attachés, prévient Anurag Mishra. De quoi rendre Donald Trump plus sympathique à leurs yeux. 

Mais ce mug-shot “ne devrait pas avoir un effet réellement significatif sur les électeurs indépendants”, veut croire Richard Hargy. Tout dépend en fait de la manière dont le parti démocrate va l’utiliser en cas de face-à-face avec Donald Trump. La tentation de l’exploiter au maximum peut être forte car ce ‘mug shot’ “est un rappel constant que Donald Trump n’est pas seulement un politicien mais aussi un homme accusé de crimes graves”, souligne Richard Hargy. À cet égard, ce peut être un outil efficace pour mobiliser les électeurs démocrates tentés par l’abstention. Mais, il peut aussi convaincre certains électeurs que les démocrates sont bel et bien en train de s’acharner contre Donald Trump.

Pour le parti républicain ce “mug shot” représente un nouvel exemple du “processus d’auto-destruction entrepris par ce mouvement”, estime René Lindstädt. Car s’il désigne et soutient – comme cela semble probable – Donald Trump comme leur candidat, “les conservateurs pourront faire une croix définitive sur l’image de parti du droit et de l’ordre qui a été l’un des principaux arguments de vente de républicains depuis des décennies”, conclut cet expert. Même s’ils crient tous en cœur à la “chasse aux sorcières”, il n’en reste pas moins que leur champion aura un “mug shot” en bonne place dans son casier judiciaire.

Le 24 août, Donald Trump et 18 autres personnes ont été inculpés pour leurs tentatives présumées illicites d’obtenir l’inversion du résultat de l’élection de 2020, remportée dans cet État clé par l’actuel président démocrate, Joe Biden. Ils sont poursuivis en vertu d’une loi sur la délinquance en bande organisée, qui prévoit des peines de cinq à vingt ans de prison.

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