Avec AFP

Samedi 26 août, le président sortant Ali Bongo se représente pour un troisième mandat à la tête du Gabon. Après quatorze ans au pouvoir, il affronte 13 candidatures, dont celle d’Albert Ondo Ossa, un professeur de 69 ans désigné candidat commun des principaux partis d’opposition. En ayant remanié les règles de la compétition électorale ces derniers mois, le président sortant est le grand favori à sa propre succession.

Après un AVC en octobre 2018, qui l’avait laissé à moitié paralysé, puis une tentative de coup d’État en janvier 2019, beaucoup estimaient que les jours d’Ali Bongo à la tête du Gabon étaient comptés. Si une raideur dans la jambe et le bras droit l’empêche de se mouvoir aisément, le président gabonais, qui a succédé à son père en 2009, mène pourtant une campagne tambour battant pour remporter un troisième mandat.

Le visage du chef de l’État, âgé de 64 ans, est omniprésent à Libreville sur des affiches de campagne en quatre par trois barrées du slogan “Ali pour tous”. Avec des moyens considérables, il multiplie les apparitions aux quatre coins de ce petit pays d’Afrique centrale riche en pétrole, en bois et en manganèse.

Un système électoral taillé sur mesure

Fort du soutien du tout-puissant PDG (Parti Démocratique Gabonais) fondé par son père Omar Bongo lors de ses quarante-et-un ans de règne, le président sortant affiche une confiance inébranlable. Et pour cause, Ali Bongo a fait adopter au cours des derniers mois une série de réformes qui semblent taillées sur mesure pour permettre sa réélection.

Bulletin de vote unique pour élire le président et les députés, limitation du nombre d’observateurs dans les bureaux de vote, rétablissement du scrutin à un tour, gagnable donc à la majorité relative… Face à 13 candidats, on voit donc mal comment le président gabonais ne parviendrait pas à l’emporter.

Antoine Glaser, journaliste et observateur de la vie politique africaine depuis les indépendances, rappelle que “le président sortant détient l’intégralité du pouvoir politique et financier et ce serait exceptionnel qu’il soit déboulonné. Il faut quand même rappeler qu’à la dernière élection il y a eu un os, et ça a été prouvé. Dans sa région natale du Haut-Ogooué, on (la mission des observateurs de l’UE, NDLR) s’est rendu compte qu’il y avait plus de votants que d’électeurs”.

Les traces de la crise post-électorale de 2016

Le président sortant veut éviter à tout prix une réédition de la grave crise post-électorale de 2016. Déclaré vainqueur au soir du 31 août par la commission électorale avec 5 500 voix d’avance sur son rival Jean Ping, il avait été accusé de fraude par l’opposition.

Des manifestants avaient alors incendié l’Assemblée nationale et au moins 1 000 personnes avaient été arrêtées. L’opposant Jean Ping avait affirmé que son QG avait été pris d’assaut à l’arme lourde par les forces de sécurité, la garde présidentielle et la police. Des émeutes meurtrières et des pillages à Libreville, la capitale, et dans d’autres villes du pays, avaient fait au moins trois morts selon les autorités, plus d’une vingtaine selon l’opposition. Les réseaux sociaux furent inaccessibles pendant plusieurs semaines.

“En 2016, la répression a été féroce” estime Antoine Glaser. “Certes avec un vernis judiciaire mais il y a un contrôle total de la justice par le gouvernement qui dispose de très gros moyens en matière de renseignement. Depuis 2016, on n’observe pas de progression des libertés publiques au Gabon. C’est un pays qui reste extrêmement sécuritaire, très bien verrouillé sur le plan de l’expression. Les opposants bien sûr peuvent s’exprimer, mais ils connaissent les limites de leur expression. Ils savent depuis longtemps qu’ils peuvent se retrouver très facilement en prison comme c’est arrivé au moment de la précédente présidentielle” explique le fondateur de la “Lettre du continent”.

Albert Ondo Ossa, candidat “consensuel”

Dans ce contexte, face à un dispositif électoral qui ne leur est pas favorable, les opposants d’Ali Bongo ont créé la surprise en se désistant à la dernière minute en faveur d’un candidat unique. La principale plateforme de l’opposition, Alternance 2023, a désigné un inattendu “candidat consensuel” en la personne du professeur Albert Ondo Ossa, ministre de l’Éducation d’Omar Bongo de 2006 à 2009. Soutenu par ses principaux leaders, Alexandre Barro Chambrier et Paulette Missambo, cet économiste de 69 ans enseigne à l’université de Libreville et n’est affilié à aucun parti politique.

Lors de ses premiers meetings de campagne, cette semaine, il a appelé les 850 000 électeurs gabonais à “ignorer” les législatives pour se concentrer sur la présidentielle, “seul enjeu des élections” pour mettre fin aux cinquante-cinq ans de règne de la “dynastie Bongo”.

Pour Antoine Glaser, cette désignation est un signe positif. “C’est quand même important dans un pays, où on a très souvent reproché à l’opposition d’avoir toujours plusieurs candidats et d’être continuellement dans la discorde. Albert Ondo Ossa est vu comme un homme sage qui, s’il arrive au pouvoir, serait sans doute plus collectif”. Au-delà de cette élection, le journaliste estime que “ce qui est important, c’est aussi ce qu’il se passe entre deux élections. Il y a du changement sur le continent au niveau de la démocratie en général, du débat, des libertés, de la justice, de la presse, etc. Et de ce point de vue, il y a eu au moins un effort du côté de l’opposition pour présenter un candidat de consensus”.

Vers 60 ans de “dynastie Bongo” ?

Si les chances de l’opposition de mettre un terme à la main de fer de la “dynastie Bongo” semblent minces, le président gabonais a fait la démonstration au cours de son dernier mandat qu’il est un peu plus que le fils de son père. Après la crise post-électorale de 2016 et une longue convalescence après son AVC en 2018 qui le tint 10 longs mois à l’étranger, “Monsieur fils” ou “Baby Zeus”, comme il fut parfois surnommé par ses détracteurs, a montré qu’il savait résister aux crises et conserver son leadership au sein de son parti et de son entourage. “C’est un clan qui tient le pouvoir” explique Antoine Glaser, “et paradoxalement, ses problèmes de santé n’ont fait que renforcer son pouvoir”.

En course pour un troisième mandat, Ali Bongo incarne, pour beaucoup des partenaires internationaux du Gabon, petit pays riche de son pétrole et peu peuplé (2,3 millions d’habitants), un gage de stabilité. Il s’est éloigné de la “FrançAfrique” dont son père avait été l’un des plus fidèles serviteurs. “Ali Bongo n’a eu de cesse de prendre ses distances vis à vis de la Tour Eiffel. Sa capitale préférée, c’est Londres et il a de très bonnes relations avec les Américains, avec la Chine et aussi avec les pays musulmans, dont le Maroc de son ami Mohammed VI. Très honnêtement, dans la période post-coloniale, s’il y a bien un pays qui s’est vraiment mondialisé, c’est bien le Gabon” estime le journaliste.

Habile, tenace et solidement entouré, Ali Bongo se présente lors des sommets internationaux en champion de l’environnement, à la tête d’un Gabon couvert à 88 % de forêts, “absorbeur net de carbone et un leader dans les initiatives d’émission nette zéro”, selon la Banque mondiale.

Cependant, selon l’institution, “le pays peine à traduire la richesse de ses ressources en une croissance durable et inclusive”. En effet, un tiers de ses habitants vit sous le seuil de pauvreté.

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