Avec AFRICA INTELLIGENCE

Dans l’enquête sur l’assassinat du journaliste Martinez Zogo, le juge d’instruction exhume un rapport d’enquête dont les conclusions se montraient favorables au patron des renseignements extérieurs, Léopold Maxime Eko Eko. En détention provisoire depuis le 4 mars, ce dernier a été entendu le 17 août.

Le chef de la Direction générale de la recherche extérieure (DGRE), Léopold Maxime Eko Eko, a été auditionné ce jeudi 17 août à Yaoundé au bureau du juge près le tribunal militaire de Yaoundé, Florent Aimé Sikati II Kamwo, qui mène l’instruction sur l’assassinat du journaliste Martinez Zogo. Une affaire pour laquelle Léopold Maxime Eko Eko et dix agents de la DGRE ont été placés sous mandat de dépôt à la prison principale de Kondengui le 4 mars. Soupçonné d’être le commanditaire, le patron du groupe de médias L’Anecdote, Jean-Pierre Amougou Bélinga, est, lui aussi, incarcéré.

Le sort des inculpés dépend en partie d’un rapport d’enquête de huit pages et 105 pièces jointes, produit en février et désormais entre les mains du juge d’instruction. Il est le fruit du travail mené par une commission mixte police-gendarmerie, mise sur pied par le président Paul Biya pour faire la lumière sur les circonstances de l’affaire. Africa Intelligence a pu en consulter des extraits.

Dans leurs conclusions, les enquêteurs dégagent Léopold Maxime Eko Eko de toute responsabilité dans l’assassinat du journaliste qui s’est déroulé dans la nuit du 17 au 18 janvier, au terme de deux jours de tortures : le patron de la DGRE “n’a ni été au courant, ni commandé une opération à l’endroit du journaliste Martinez Zogo”, écrivent-ils. Ils soulignent en revanche la responsabilité du directeur des opérations (DO) de la DGRE, le lieutenant-colonel Justin Danwe, présenté comme le “planificateur de l’opération ayant abouti à l’assassinat de la victime”.

A couteaux tirés

Comme l’avait révélé Africa Intelligence (AI du 13/04/23), l’inimitié entre le chef des renseignements extérieurs et son subalterne a été au cœur d’une partie des investigations.

Le directeur des opérations n’a jamais digéré d’avoir été placé sous la supervision du conseiller technique N° 1 James Elong Lobe via une note de service datée de novembre 2021. Devant les enquêteurs, il a qualifié ce texte de “machin qui n’est bon que pour la poubelle”. Toujours selon la version de Justin Danwe, c’est pour “rentrer les bonnes grâces” de son supérieur, après des mois de tensions larvées, qu’il a planifié l’opération d’assassinat du journaliste. Lors de ses auditions, il a affirmé “avoir été abordé à deux reprises en décembre 2022 par le DGRE”, qui se plaignait du travail de Martinez Zogo à son sujet. Enfin, Justin Danwe assure avoir verbalement rendu compte de l’opération après son déroulement en présence du chef de la sécurité, le lieutenant Boukar Mamat Bichara.

Hors des circuits officiels

Léopold Maxime Eko Eko dément catégoriquement la version de son collaborateur. Devant la commission, il a soutenu qu’il n’avait “jamais reçu Danwe dans son bureau depuis la note de service”. Ce que confirment Boukar Mamat Bichara et James Elong Lobe. Ce rival de Justin Danwe nie, lui aussi, avoir été mis au courant de l’opération contre Martinez Zogo.

Plusieurs éléments mettent à mal les dires du directeur des opérations. Des officiers des renseignements témoignent qu’aucun compte rendu officiel de l’opération n’a été produit. Elle n’a pas été sous-traitée par la police ou la gendarmerie, comme c’est habituellement le cas, mais par des particuliers et des subalternes de la DGRE. Son financement, composé de reliquats de précédentes opérations, a fait tiquer plusieurs officiers en interne.

Enfin, les enquêteurs s’interrogent sur l’existence de possibles liens interpersonnels entre Jean-Pierre Amougou Bélinga et Justin Danwe.

Divisions au sein de l’appareil sécuritaire

Le rapport, transmis le 23 février au commissaire du gouvernement près le tribunal militaire de Yaoundé, Belinga Cerlin, a été mis de côté sur instruction du directeur de la justice militaire, le colonel Didier Ndongmo Sipa. Ce dernier a demandé de privilégier les conclusions d’une autre enquête préliminaire, menée par la gendarmerie seule et plus à charge à l’encontre du DGRE, pour prononcer l’inculpation. Au grand dam du patron de la police, Martin Mbarga Nguélé, proche de Léopold Maxime Eko Eko, qui avait alors transmis à Paul Biya un résumé des travaux de la commission mixte (AI du 14/03/23).

Le document de février a, depuis, refait surface jusque sur le bureau du juge d’instruction, qui devra décider le 4 septembre de la fin ou de la poursuite de la détention provisoire de Léopold Maxime Eko Eko. Ce dernier n’a toujours pas été remplacé à la tête de la DGRE, malgré les manœuvres en ce sens du secrétaire général de la présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh, dont il est un rival de longue date. Paul Biya, qui n’aime pas se voir imposer des décisions par les circonstances, attend de voir qui remportera le bras de fer au sein de l’appareil judiciaire.

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