Par Jeune Afrique
Au Cameroun, le patron de la Société nationale des hydrocarbures a ignoré plusieurs instructions venues du Palais d’Etoudi, dans l’épineuse affaire Savannah Energy et du pipeline qui relie le Tchad au port de Kribi, au point d’être écarté par le président. Explications.
Le 4 juillet, Adolphe Moudiki, le puissant administrateur-directeur général de la Société nationale des hydrocarbures (SNH), n’a pas été convié au conseil d’administration tenu au siège de la Cameroun Oil Transportation Company (Cotco), à Douala. Cette coentreprise gère la partie camerounaise du pipeline reliant le Tchad au port de Kribi.
Lors de cette réunion cruciale, le Camerounais Harouna Bako a été désigné directeur général de Cotco, détenue à hauteur de 15,17 % par la SNH, et la Tchadienne Haoua Daoussa Déby, directrice générale adjointe. Preuve de cette sérénité retrouvée entre les deux pays, deux ministres tchadiens avaient fait le déplacement.
Bataille entre actionnaires
Afin d’éviter que ce conseil ne soit perturbé, la gendarmerie camerounaise a dû pousser vers la sortie le Français Nicolas de Blanpré et l’Ivoiro-Camerounais Stéphane Soumahoro, lesquels étaient respectivement directeur général et secrétaire général de Cotco. En dépit de la nationalisation des actifs de cette coentreprise décidée par le gouvernement tchadien, ces deux représentants du britannique Savannah Energy se maintenaient jusqu’ici à leur poste avec le soutien d’Adolphe Moudiki.
Savannah Energy, se revendiquant acquéreur de 41,06 % des parts de Cotco détenues par l’américain ExxonMobil, avait imposé la nomination de Blanpré lors d’un précédent conseil d’administration, le 24 mai, à Paris. Sauf qu’avec la concrétisation du rachat par la Société des hydrocarbures du Tchad (SHT) de 31 % des actions de Cotco – alors détenues par le groupe malaisien Petronas –, N’Djamena est devenu majoritaire au sein du capital, avec 53,77 % des parts.
Le Tchad en a donc profité, lors d’une Assemblée générale organisée dans la foulée, pour révoquer les administrateurs de Savannah Energy. Mais les dirigeants déchus, soutenus par la SNH, ont continué à diriger l’entreprise, au point même de menacer de fermer l’oléoduc. Cette situation a donc poussé les gouvernements des deux pays à accélérer la nomination de nouveaux dirigeants.
Notes sur le bureau de Paul Biya
Après la mise en échec de la tentative de la SNH de mettre la main sur 10 % des actions d’ExxonMobil rachetées par Savannah et celle de la tentative d’Adolphe Moudiki de remplacer le représentant du ministère camerounais des Finances, le conseil d’administration du 4 juillet est un énième désaveu du président envers son « Monsieur Pétrole ».
Selon nos informations, Paul Biya n’a plus reçu Moudiki ni ne lui a adressé la parole depuis la fin de mai, lorsque le trader anglo-suisse Glencore avait admis devant les justices américaine et britannique avoir versé 7 milliards de F CFA (10,62 millions d’euros) de pots-de-vin aux hauts responsables de la SNH et de la Société nationale de raffinage (Sonara) dans le but de décrocher des contrats pétroliers.
Le patron de la SNH a aggravé son cas en s’autorisant dans le litige relatif au pipeline Tchad-Cameroun d’écrire le 2 juin, sans en informer la présidence, une lettre confidentielle au ministre tchadien des Hydrocarbures pour réclamer la rétrocession de 20 % des 53,77 % des actifs détenus actuellement par le Tchad dans le capital social de Cotco.
À Yaoundé, on estime le remplacement d’Adolphe Moudiki nécessaire, bien qu’insuffisant. Toute l’architecture institutionnelle du secteur pétrolier étatique est en effet à réformer. Des notes se succèdent sur le bureau de Paul Biya proposant la création d’un ministère du Pétrole et un éclatement de la SNH en deux entités. L’une, chargée de gérer les participations de l’État dans les entreprises du secteur, l’autre, ayant vocation à devenir un véritable opérateur pétrolier impliqué dans l’exploration et l’exploitation des gisements camerounais ou étrangers.