Avec Africa Intelligence

Directeur de la Société nationale des hydrocarbures (SNH) camerounaise, Adolphe Moudiki a adressé un courrier cinglant au ministre tchadien du pétrole Djerassem Le Bemadjiel. Depuis le désengagement d’ExxonMobil dans le sud du Tchad, la bataille entre la junior Savannah Energy et N’Djamena souffle sur les braises du conflit récurrent entre le Cameroun et la junte tchadienne.

Les autorités tchadiennes et camerounaises sont très loin de parler d’une seule voix sur le dossier Savannah Energy. Contrairement au Cameroun, le Tchad est en conflit avec la junior pétrolière britannique. Ces différences d’appréciation ont été soulignées, le 2 juin, par l’administrateur directeur général de la Société nationale des hydrocarbures (SNH) du Cameroun, Adolphe Moudiki, dans un document classé confidentiel adressé au ministre tchadien du pétrole Djerassem Le Bemadjiel.

Adolphe Moudiki entame ce texte de deux pages en attaquant le communiqué de la présidence tchadienne paru le même jour, au sujet de la tenue, le 24 mai, à Paris, d’une assemblée générale des actionnaires de Cotco – coentreprise gérant l’oléoduc d’exportation du brut tchadien sur le territoire camerounais – lors de laquelle les administrateurs représentant Savannah Energy auraient été révoqués. Savannah a racheté les parts d’ExxonMobil sur les champs de Doba et le pipeline d’exportation via Cotco et Totco (sur le territoire tchadien) en décembre 2022. En désaccord avec cette cession, l’Etat tchadien a nationalisé ces actifs le 23 mars. Seuls ceux de Cotco, appartenant autrefois à ExxonMobil, ont échappé à l’opération.

Yaoundé “ghosté” à Paris ?

Dans sa lettre, Adolphe Moudiki demande au ministre tchadien de lui faire parvenir, en qualité d’actionnaire de la société Cotco, “les résolutions par écrits, ainsi que la convocation à cette AG et enfin la résolution du conseil d’administration approuvant l’ordre du jour”. Selon le patron de la SNH, sa firme n’a participé à aucune AG à Paris à la date citée et n’a pas reçu la moindre convocation. L’administrateur général de la SNH poursuit en soulignant que “dans ces conditions, au cas où une telle assemblée générale se serait tenue, les résolutions en découlant apparaissent irrégulières, car contraires aux règles statutaires de Cotco sur la convocation et la tenue des assemblées générales”.

Adolphe Moudiki rappelle également que l’Etat tchadien s’était engagé au “maintien au CA de la représentation des actionnaires de Cotco, la limitation à quatre du nombre d’administrateurs tchadiens, dans le CA, de la rétrocession, à la SNH, d’une partie des actions de Cotco, et ne pas faire inscrire à l’ordre du jour des assemblées générales ordinaires des projets de résolutions qui portent, entre autres, sur la nomination des dirigeants de Cotco, autres que les administrateurs tchadiens”.

N’Djamena avait formulé ces concessions afin d’obtenir un feu vert des autorités chargées de la concurrence de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), en vue de racheter les 20 % de Petronas sur l’oléoduc Doba-Kribi et dans les gisements au sud du Tchad.

Le rachat de Petronas par le Tchad a été officialisé fin mai. Le montant de la transaction n’a pas été communiqué. Savannah Energy était également sur les rangs, mais le droit de premier refus a permis à la Société des hydrocarbures du Tchad (SHT) de s’en emparer.

Des menaces à peine voilées

Dans sa lettre du 2 juin, le patron de la SNH demande également la rétrocession de 20 % des 53 % détenus par le Tchad dans Cotco. Une réclamation soutenue selon lui par le président Paul Biya, dont il est très proche. Ainsi, la répartition souhaitée par le Cameroun serait de 35,17 % à son profit et 33,77 % pour le Tchad, afin de rétablir un certain équilibre, l’infrastructure se situant à plus de 80 % sur le territoire du Cameroun. Adolphe Moudiki ne cache pas son agacement dans la conclusion de sa missive : “Vous voudrez bien, dans l’attente de l’issue de nos discussions portant sur le rééquilibrage, veiller à laisser Cotco fonctionner de manière sereine, afin d’éviter qu’une éventuelle crise dans l’actionnariat, affecte gravement le fonctionnement de cette société stratégique pour nos deux Etats”.

Douché par les promesses, jamais concrétisées, de transfert des participations des Tchadiens au profit du Cameroun dans Cotco, notamment après le rachat des 25 % de Chevron en 2014 par la SHT, Adolphe Moudiki soutient contre vents et marées la position de Savannah Energy. Cette dernière a cédé à la SNH 10 % de Cotco en avril pour 44,9 millions de dollars (AI du 03/05/23).

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