Avec Africa Intelligence. Publié le 26/04/2023 à 4h40 GMT
Le président tchadien Mahamat Idriss Déby poussait son homologue camerounais à ne pas légitimer la prise de participation de la junior britannique Savannah Energy dans l’actionnariat de l’oléoduc Doba-Kribi, qui exporte 100 % du brut tchadien. Sans succès.
Le rappel pour consultation, le 20 avril, du nouvel ambassadeur tchadien au Cameroun, Djidda Moussa Outman, n’est que la dernière étape d’une longue dégradation de la relation bilatérale entre les deux pays. A la tête de la junte, Mahamat Idriss Déby, dit “Kaka”, a tenté de convaincre le Cameroun pendant des mois de faire barrage à Savannah Energy, avec qui N’Djamena est en conflit. Sans succès.
C’est justement ce 20 avril que la junior britannique a accepté de vendre 10 % des parts qu’elle détient dans la Cameroon Oil Transportation Co (Cotco) à la Société nationale des hydrocarbures (SNH) pour 44,9 millions de dollars, permettant à cette dernière de monter à 15 %. Cotco gère l’oléoduc reliant les champs de Doba, au Tchad, au port camerounais de Kribi.
Pour Savannah, cette cession légitime son acquisition des 40 % qu’ExxonMobil lui avait cédés en décembre dans Cotco – et que le conseil d’administration de cette dernière avait entériné le 12 décembre -, ainsi qu’un pourcentage similaire sur les gisements de Doba, au sud du Tchad (que lui refuse le Tchad).
Contrairement au Cameroun, le Tchad est en guerre ouverte contre Savannah Energy. N’Djamena a fait le choix de nationaliser, le 23 mars, les parts de gisements de Doba vendus par ExxonMobil (30 000 barils par jour) ainsi que 40 % de la Tchad Oil Transportation Co (Totco) gérant les quelques kilomètres de l’oléoduc sur le territoire tchadien (AI du 05/04/23).
Depuis la fin mars, le directeur de cabinet de la présidence tchadienne Idriss Youssouf Boy avait demandé à son homologue camerounais Ferdinand Ngoh Ngoh que Yaoundé expulse les salariés de Savannah Energy de son territoire – à l’image de ce qui avait été fait mi-décembre 2022 à N’Djamena. De plus, Idriss Youssouf Boy avait aussi fait pression sur les autorités camerounaises afin qu’aucune place ne soit faite pour Savannah dans Cotco.
Biya prend sa revanche sur le maréchal
Depuis son arrivée au pouvoir voilà deux ans, le président tchadien tente de rencontrer son homologue camerounais Paul Biya, mais ses multiples demandes sont restées sans réponse. Il aura fallu attendre le sommet de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), le 17 mars, à Yaoundé, pour que “Kaka” puisse s’entretenir enfin du dossier Savannah Energy avec Biya. Durant la rencontre, le président camerounais a fait mine de ne pas être informé, laissant le soin aux équipes de la SNH d’échanger avec le ministre tchadien du pétrole Djerassem Le Bemadjiel. Resté cinq jours au Cameroun, l’officiel tchadien est parti sans aucune garantie de soutien de l’administration camerounaise quant à la stratégie tchadienne de nationalisation des actifs cédés par Exxon à Savannah.
L’attitude passée du Tchad sur ce dossier a laissé des traces à Yaoundé. Lors du rachat par la Société des hydrocarbures du Tchad (SHT) des 25 % de Chevron sur les champs de Doba, et donc de la même part dans Cotco et Totco, en 2014, le Cameroun avait demandé que la SHT lui cède une partie. Malgré un accord de principe de l’ancien président Idriss Déby (1990-2021), la partie tchadienne n’avait pas donné suite.
Près de dix ans plus tard, et après l’annonce en 2021 de la vente des parts d’ExxonMobil et Petronas au Tchad, un proche de Biya, l’ancien ministre camerounais Amadou Ali, était parti le 15 avril 2022 pour rencontrer Kaka, et lui demander à nouveau que le Tchad accepte de céder à son pays une partie des pourcentages autrefois entre les mains d’ExxonMobil et Petronas.
Un accord de principe du dirigeant tchadien avait alors été donné, sans lendemain. En novembre, le secrétaire général adjoint de la présidence camerounaise, Elung Paul Che, avait rencontré le ministre des finances Tahir Hamid Nguilin et son collègue au pétrole Djerassem Le Bemadjiel, à N’Djamena, mais, encore une fois, aucun accord de cession n’avait été signé.
Savannah joue la prudence
Le 9 décembre, Savannah annonçait être détenteur officiel des parts des 40 % d’ExxonMobil sur les gisements de Doba. Le 12, les Camerounais ont voté en faveur de l’entrée de Savannah dans Cotco et le remplacement des administrateurs d’ExxonMobil par ceux de Savannah. Le 26, paniqué, Kaka demandait une audience auprès de Paul Biya, sans succès.
Savannah Energy doit soigner ses relations avec le Cameroun, la junior est d’ailleurs en passe de reprendre la gestion du barrage hydroélectrique de 75 MW de Bini, à Warak, que les Chinois de Sinohydro ont construit grâce à des fonds de l’Industrial and Commercial Bank of China (ICBC). Le chantier a cependant été abandonné en 2022, faute de remboursement de la part de l’Etat camerounais à ICBC. Savannah s’engagerait ainsi à contribuer au règlement des enjeux financiers en suspens.
Profil bas
Depuis l’annonce de la nationalisation des actifs d’ExxonMobil par le Tchad, le 23 mars, Savannah fait profil bas. Les salaires des ouvriers et cadres de l’ancienne filiale d’ExxonMobil sont payés par Savannah, malgré la nationalisation, et la firme attend l’issue de l’arbitrage à la Chambre de commerce internationale (CCI), lancé en 2022, après une décision de justice du 14 décembre suspendant la vente (AI du 05/04/23). Une décision par les trois juges désignés devrait tomber courant 2024.
A son arrivée au Tchad en 2022, quelques mois avant la reprise officielle des activités d’ExxonMobil, Savannah Energy avait nommé un directeur général adjoint local. Proche du célèbre architecte sénégalais Pierre Goudiaby Atépa, Arabi Khalil Djalal a payé le prix pour avoir accepté ce poste. Il a passé près d’un mois en prison à N’Djamena, après que son incarcération a été ordonnée par le directeur de cabinet du président Idriss Youssouf Boy. A sa sortie, le 18 avril 2023, à la suite d’une décision d’un juge du tribunal de N’Djamena, Djalal est parti au Cameroun où il séjourne depuis lors.