Avec RFI

C’est un assassinat sordide qui secoue le Cameroun depuis trois mois : le 17 janvier dernier, le journaliste camerounais Martinez Zogo était kidnappé à Yaoundé. Et cinq jours après, son corps était retrouvé atrocement mutilé. Trois mois plus tard, où en est l’enquête judiciaire ? Et les Camerounais croient-ils que les auteurs de ce crime barbare seront un jour condamnés ? Maître Claude Assira est avocat au barreau du Cameroun et il craint un « procès cadenassé ». En ligne de Yaoundé, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Maître Claude Assira, de quoi ce crime sordide est-il le symptôme ?

Maître Claude Assira : Je pense qu’il prouve d’abord une certaine forme d’accès à un degré de violence, de bestialité et d’animalité, qu’on pourrait difficilement imaginer dans notre pays que nous avons souvent tendance à prendre pour un havre de paix. Mais c’est aussi, quelque part, la marque de la déliquescence du pouvoir, parce qu’on voit poindre un certain nombre d’enjeux. La machine d’État – même si ce n’est pas en tant qu’État – au moins par un certain nombre de ses individus, cette machine d’État est d’une façon ou d’une autre impliquée dans cet assassinat, ce qui prouve bien qu’il y a une certaine forme de déliquescence et une impossibilité à contrôler les outils de l’État actuellement.

Alors vous parlez de machine d’État, en effet les deux chefs de la DGRE, c’est-à-dire du contre-espionnage camerounais, Léopold Maxime Eko Eko et Justin Danwe, sont inculpés et incarcérés. Autre suspect dans cette affaire, le patron de presse, Jean-Pierre Amougou Belinga, qui lui aussi est inculpé et incarcéré. Quel lien pourrait-il y avoir entre cette personnalité camerounaise et les deux chefs de la DGRE ?

Le caractère tout à fait particulier, outre la violence et la barbarie du meurtre, c’est que nous avons eu également, à un certain niveau de l’enquête préliminaire déjà, l’intervention de ses conseils dans un point-presse. Et au cours de ce point-presse, nous avons appris un certain nombre de révélations, dont notamment les relations qui pouvaient exister entre cette personne mise en examen et l’une des autres personnes que vous avez citées comme étant membres de la DGRE. Et il est apparu manifestement qu’elles avaient des liens très rapprochés, personnels, dont on se demande s’ils n’ont pas pu éventuellement être utilisés comme étant des liens de connivence pour la mise en œuvre de cet homicide, de cet acte odieux.

Des liens entre Amougou Belinga et Justin Danwe?

C’est exact.

Et justement, ce que disent les avocats d’Amougou Belinga, c’est que leur client est accusé par ce numéro deux de la DGRE, Justin Danwe, qui n’est pas un monsieur très fiable, car il a donné aux enquêteurs trois versions différentes du meurtre…

Il y a eu des versions qui étaient différentes, mais il y a quand même une trame qui reste presque toujours constante. Mais je reconnais parfaitement la prérogative des confrères, des avocats, qui sont tout à fait dans leur rôle de mettre le doigt là où ça fait mal. Et en l’occurrence, il se trouve qu’il y a eu des versions différentes, et si ces révélations souvent non-concordantes permettent de caractériser l’absence de fiabilité de ce témoin, dans ce cas, ils auront certainement gain de cause.

Dans l’une des versions données par ce numéro deux des services, Justin Danwe, on voit apparaître le nom du ministre de la Justice, Laurent Esso. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Alors ce qui peut juste nous interpeller, nous autres de l’extérieur, c’est que nous n’ayons jamais eu un communiqué officiel de la personne concernée, soit en tant qu’individu, soit éventuellement en tant que membre du gouvernement. Dans un crime qui n’est pas banal, qui n’est pas rien, je pense qu’un communiqué eut été le minimum qu’on puisse faire pour permettre au peuple de comprendre, d’autant que ce ne sont pas des fonctions banales qui sont occupées par ce membre du gouvernement, ça aurait été le minimum.

Comment expliquez-vous qu’aucune personne, pour l’instant, n’ait été inculpée pour meurtre, mais seulement pour torture ?

J’ai beaucoup de mal à comprendre la qualification de simple torture qui a été retenue, et qui donne à penser que ce n’étaient que des menaces qui étaient envisagées et que les tortures utilisées en vue de ces menaces ont accidentellement conduit à la mort. Et pourtant, tout le monde sait très bien que, si vous torturez une personne, il va arriver un moment ou un autre où son cœur est susceptible de lâcher, et de conduire à la mort. C’est pour ça que la qualification retenue de torture paraît pour le moins curieuse.

L’affaire est suivie, dites-vous, par les plus hautes autorités de l’État, par le palais d’Etoudi. Est-ce que vous pensez qu’il y aura un jour un procès ?

Je n’imagine pas une seule seconde qu’on soit arrivés à ce niveau de déploiement de moyens, d’investigations, et qu’il ne puisse pas y avoir l’issue normale, c’est-à-dire un procès. En revanche, ce que je crains, c’est que ce procès soit un procès éventuellement cadenassé au regard de l’agitation que je vois d’ici, et de la façon dont ça fonctionne habituellement, c’est-à-dire les passe-droits, les couvertures et autres.

Maitre Assira, est-ce que vous pensez qu’on saura un jour la vérité sur l’affaire Martinez Zogo ?

Je peux vous donner une réponse qui me semble ne pas être optimiste, parce que le motif délibérément restreint de l’instruction préparatoire qui a fini par obtenir une infraction insolite, l’infraction de torture, peut donner à craindre que, malheureusement, on n’ait pas toute la vérité, on n’ait qu’une partie de la vérité. Vous savez très bien qu’une partie de la vérité, ce n’est jamais la vérité.

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