Avec Tiphaine ATANGANA et AFP

Cela fait trois mois que ce remaniement était présenté comme imminent. À neuf mois de l’élection présidentielle, la République démocratique du Congo (RDC) du président Félix Tshisekedi redessine son équipe ministérielle.

Parmi les nouveaux poids-lourds du gouvernement figure, à la Défense, l’ancien vice-président (2003-2006) Jean-Claude Bemba, mais aussi l’ancien directeur de cabinet de Félix Tshisekedi, Vital Kamerhe. 

Qui sont les deux nouveaux vice-Premier ministres ?

Ex-chef de guerre, Jean-Pierre Bemba avait été condamné à 18 ans de prison par la Cour pénale internationale (CPI) pour des crimes commis en République Centrafricaine. En 2018, il est acquitté en appel après dix ans d’emprisonnement. Il est nommé vice-Premier ministre et ministre de la Défense, alors que la RDC, aux prises avec des violences armées depuis près de 30 ans sur sa partie orientale, connaît un regain de tensions avec son voisin le Rwanda. Kigali est accusée de soutenir la rébellion du M23, qui occupe depuis 2022 de larges pans de la province du Nord-Kivu.

La nomination de Jean-Pierre Bemba laisse Bob Kabamba, professeur de science politique à l’Université de Liège, dubitatif. “Par rapport aux questions liées à la Défense, il a plus le profil d’un chef de guerre, ce qu’il était quand il était au MLC (NDLR : Mouvement de Libération du Congo)”, explique-t-il. “Il a été très actif dans l’Est de la RDC, notamment dans l’Ituri, où il n’a pas laissé que de bons souvenirs”, poursuit le professeur. De son côté, le journaliste et fondateur du site Afrikarabia Christophe Rigaud considère que “Bemba a une stature et un poids politique qui restent importants.” Par ailleurs, “il a quand même une expérience importante en tant que vice-président, rappelle le journaliste. Cela lui donne une connaissance du fonctionnement de la machine d’État qui peut être intéressante pour Tshisekedi.” 

Vital Kamerhe a également connu une condamnation judiciaire. En 2020, il est condamné à 20 ans de prison pour détournement de fonds. Il est acquitté en appel en 2022. Il occupe également le rang de vice-Premier ministre, mais aussi de ministre de l’Économie. “Le poste de ministre de l’Économie était vacant depuis que l’ancien ministre a été démis de ses fonctions par motion de censure, rappelle Bob Kabamba. Il était donc plus facile pour Tshisekedi de donner ce poste à Vital Kamerhe.” 

Christophe Rigaud explique également que Vital Kamerhe “a été président de l’Assemblée nationale, donc il connaît tous les rouages de l’État.” Cela lui a permis de devenir directeur de cabinet pour Félix Tshisekedi. Par ailleurs, Kamerhe et Bemba sont à la tête de deux partis politiques “qui pèsent relativement lourd dans le paysage politique congolais”, analyse le journaliste. Il s’agit de l’Union pour la Nation Congolaise (UNC) pour le premier et du Mouvement de libération du Congo (MLC). “Ce sont des partis organisés, avec des militants, note Christophe Rigaud. Il n’y en a pas tant que ça en RDC. Il y a le MLC, l’UNC et l’UDPS (NDLR : Union pour la démocratie et le progrès social) de Félix Tshisekedi.

Des nominations à visée électorale ?

Christophe Rigaud estime que “ces nominations sont essentiellement politiques.” En effet, la prochaine élection présidentielle doit avoir lieu le 20 décembre 2023. Au pouvoir depuis 2019, Félix Tshisekedi a annoncé sa candidature à sa réélection depuis plusieurs mois.”On voit que Tshisekedi veut mettre en place la coalition la plus large possible pour ces élections”, poursuit le journaliste. 

Si Jean-Pierre Bemba soutient Tshisekedi depuis son arrivée au pouvoir, les choses étaient moins évidentes pour Kamerhe selon lui. Après avoir été acquitté dans son procès pour corruption dans le programme des 100 jours, “on se demandait un peu quelle serait sa place dans le dispositif présidentiel, analyse Christophe Rigaud. On pouvait même se demander si Vital Kamerhe n’allait pas quitter Félix Tshisekedi pour peut-être se présenter.” Sa nomination à l’Économie clarifie les choses. 

Bob Kabamba rappelle que Bemba et Kamerhe “sont des piliers de l’Union sacrée”, à savoir de la majorité de Tshisekedi. “Vital Kamerhe n’a jamais caché ses ambitions présidentielles”, explique-t-il. “Le nommer au gouvernement est une manière pour Tshisekedi de s’enlever une épine du pied pour que Kamerhe ne soit plus candidat.” Le professeur estime que la même chose s’applique dans le cas de Jean-Pierre Bemba. Par ailleurs, “c’est une façon de s’allier aux régions qui ne lui sont pas favorables, notamment celle de l’Équateur, (NDLR : où Bemba est assez populaire), mais aussi du Kivu (NDLR : où Kamerhe est plébiscité) en raison du contexte sécuritaire”, analyse Bob Kabamba.  

Quid d’autres personnalités politiques ?

À la fin du mois de décembre 2022, trois ministres congolais du parti de l’homme d’affaires Moïse Katumbi ont claqué la porte du gouvernement. Ce dernier est candidat à la prochaine élection. Les trois ministres ont quitté le gouvernement en solidarité avec le mouvement politique en rupture avec la coalition au pouvoir. Selon Bob Kabamba “ il y a des signaux au niveau de l’opposition qui montrent qu’il commence à y avoir une concertation soit pour faire une alliance contre Tshisekedi, soit pour avoir une candidature unique de l’opposition contre le président en exercice”, qui serait celle de Katumbi. De son côté, Christophe Rigaud estime que Katumbi “se retrouve un peu plus esseulé car il n’est pas du côté de Tshisekedi.” 

Par ailleurs, Jean-Michel Sama Lukonde est maintenu à ses fonctions de Premier ministre. Le président l’avait nommé en février 2021 pour conforter sa majorité après avoir mis fin à la coalition qu’il formait au sommet de l’État avec son prédécesseur, Joseph Kabila. “Même s’il ne dit rien, Joseph Kabila reste un acteur important du fait qu’il s’est désolidarisé de tous les processus électoraux” estime Bob Kabamba. Selon lui, “sa position sera déterminante par rapport au processus.” 

On se demande si le PPRD (NDLR :  Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie)  n’est pas plutôt dans une posture de boycotter ces élections parce qu’il n’y a pas de candidat clairement affiché du côté du camp Kabila”, renchérit Christophe Rigaud. “Ce qu’il se dit du côté du camp de Kabila, c’est qu’il essayerait plutôt de faire perdre Félix Tshisekedi, quitte à ne pas forcément présenter de candidat ou soutenir un autre candidat.”

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