Par Georges Dougueli – (Jeune Afrique)

Épargné par les scandales et par les remous de l’affaire Zogo, engagé dans la résolution de la crise anglophone, le chef du gouvernement camerounais apparaît aujourd’hui comme un pôle de stabilité dans la tempête.

L’avantage, quand on est Premier ministre au Cameroun, c’est que l’on n’est coupable de rien. Le nom de Joseph Dion Ngute n’apparaît dans aucun des scandales qui rythment la vie publique. On ne lui attribue aucun rôle dans les détournements présumés des fonds destinés à la construction des infrastructures de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) 2022. Ce fleuve de boue a pourtant éclaboussé des membres du gouvernement dont il est censé être le chef.

Consterné par l’affaire Zogo

On a bien essayé de le mêler au festival de surfacturations du « Covidgate », en lui prêtant un lien avec ce réseau de connivence qui a distrait une partie des 180 milliards de F CFA affectés à la lutte contre la pandémie. Le Premier ministre avait-il recommandé au ministre de la Santé publique le recrutement d’un fournisseur exclusif, l’entreprise Mediline Medical Cameroon (MCC), de feu l’homme d’affaires Mohamadou Dabo ? Dion Ngute assure que non. Il n’a fait que transmettre les instructions du président de la République, a-t-il déclaré aux enquêteurs venus l’auditionner à sa résidence, quitte à apparaître comme un simple exécutant. Comme pour lui donner raison, l’enquête de la Chambre des comptes n’est pas remontée jusqu’à lui.

Aujourd’hui, c’est en spectateur consterné que le Premier ministre assiste à la déconfiture de deux de ses rivaux cités dans l’affaire Martinez Zogo relative à l’enlèvement, la séquestration et la torture jusqu’à ce que mort s’ensuive, de ce journaliste.

Consternation aussi, mais avec peut-être une pointe de ravissement : Laurent Esso, le ministre de la Justice, et Louis Paul Motaze, le ministre des Finances – deux poids lourds du gouvernement qui le regardaient de haut et n’hésitaient pas à snober les conseils de cabinet -, pourraient bien perdre leurs fauteuils. Une maigre consolation dans un quotidien fait de contrariétés.

Mis en concurrence avec Ngoh Ngoh, Esso, Motaze…

Il a beau être la deuxième personnalité de l’exécutif selon la Constitution, mais aussi membre du comité central du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), dans la pratique, le Premier ministre est régulièrement mis en concurrence avec Ferdinand Ngoh Ngoh, ministre secrétaire général de la présidence depuis plus de dix ans, ainsi qu’avec certains cadors de son gouvernement, comme Esso et Motaze. Depuis sa nomination en janvier 2019, le juriste anglophone de 69 ans se contente du peu de pouvoir qu’on lui laisse exercer, et d’avaler quelques couleuvres avec un stoïcisme remarquable.

Mais la douleur de certains coups de canifs laisse des traces. Comment oublier le communiqué du ministre René Emmanuel Sadi, porte-parole du gouvernement, rendu public dans la nuit du 23 au 24 janvier dernier, qui désavouait une médiation sur la crise anglophone conduite par le Premier ministre ? « Faisant suite aux récentes informations diffusées par certains médias, le gouvernement informe […] qu’il n’a confié à aucun pays ou entité extérieurs, un quelconque rôle de médiateur ou de facilitateur », affirme le texte.

Pourtant, en septembre 2022, Joseph Dion Ngute avait bien reçu mandat oral du président Biya de mener ces pourparlers sous l’égide de l’ONU et du Canada. Le but de la feuille de route délivrée était de parvenir en décembre à un cessez-le-feu, pour permettre au chef de l’État de l’annoncer, lors de ses vœux à la nation. Ce projet a plu au Premier ministre, qui tenait ainsi l’occasion de prendre sa revanche sur Ferdinand Ngoh Ngoh, auquel il reproche d’avoir torpillé le Grand dialogue national que lui-même avait organisé en 2019.

La médiation canadienne a tourné court, mais Dion Ngute n’a pas perdu sur toute la ligne. Le communiqué signé des représentants des plus puissantes factions sécessionnistes, dont Lucas Ayaba Cho (Amabazonia Goberning council) et Ebenezer E. Akwanga, le patron de l’African People’s Liberation Movement, est en soi une victoire pour le Premier ministre. Réunir ces chefs de guerre autour de la même table est la preuve qu’il a établi des relations de confiance avec les insurgés anglophones.

S’il était candidat à la présidence un jour, son meilleur atout serait sa capacité à réintégrer les sécessionnistes dans la République. Il se poserait ainsi en rassembleur et en homme de paix porteur d’une solution durable de la crise qui menace de démembrer le Cameroun de sa partie anglophone.

Sur les pas de Paul Biya ?

Alors, qui est le plus malin ? C’est assurément « Chief » Dion Ngute. S’il n’en reste qu’un à l’heure de la passation de témoin au sommet de l’État, ce sera lui. En effet, à bien l’observer, Joseph Dion Ngute calque ses pas sur ceux de Paul Biya, qui fut Premier ministre de 1975 à 1982 et auquel le président Ahmadou Ahidjo avait fini par confier les rênes du pays, en dépit de l’opposition acharnée du secrétaire général de la présidence, Samuel Eboua, et du tout-puissant ministre de l’Administration territoriale, Victor Ayissi Mvodo. Les deux hommes avaient sous-estimé ce Premier ministre si effacé qu’ils le crurent dénué de caractère.

Personne ne dirait cela de l’actuel locataire de la primature, même s’il reste difficile de cerner la véritable personnalité de Dion Ngute. Face à ses rivaux, ce dernier s’en tient à une stratégie de l’évitement. Quitte à prendre des coups sans en donner. Néanmoins, si on le voit et l’entend peu, on sait que le chef du gouvernement ne fait pas que regarder passer les trains. Il suffit d’observer son activisme dans la résolution de la crise anglophone pour s’en convaincre.

À Etoudi, personne ne s’y trompe. Dion Ngute n’est pas une potiche. Il a un avantage sur les autres prétendants : représentant quasi-permanent d’un président peu assidu aux rendez-vous internationaux, il tisse sereinement son carnet d’adresses à l’étranger. En juillet 2022, Paul Biya l’a désigné pour aller accueillir le président français Emmanuel Macron, en visite officielle à Yaoundé.

Anglophone francophile

Une belle exposition pour cet anglophone francophile issu de la notabilité traditionnelle du Sud-Ouest. L’entourage présidentiel a conscience qu’il en profitera pour soigner ses relations avec Paris. Des limites ont tout de même été fixées. Pas question, par exemple, de laisser les deux hommes effectuer dans le même véhicule le trajet entre l’aéroport et l’hôtel. Le chef du gouvernement camerounais aura eu l’occasion de revoir le chef de l’État français le 2 mars dernier, à Libreville, lors du One Forrest Summit… où il représentait Paul Biya.

Ses réseaux s’enracinent plus profondément au Commonwealth, dont il a été le point focal pendant vingt-et-un ans au sein du gouvernement, en tant que ministre délégué aux Relations extérieures. Professeur de droit diplômé des universités de Yaoundé, mais aussi du Queen-Mary College et de l’université de Warwick au Royaume-Uni, Dion Ngute y évolue en terrain conquis.

Au sein de la communauté anglophone, son leadership n’aura aucune difficulté à s’imposer. Certes, il devra surmonter la rivalité avec l’avocat Akéré Muna, qui ira à la compétition avec des atouts similaires. Si ce n’est que Dion bénéficie d’un avantage dû à son expérience dans la gestion au plus haut niveau des affaires publiques. Dans la course à la succession de Paul Biya, il faudra compter avec cet homme politique trop intelligent pour n’être qu’un faire-valoir.

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