Par Mathieu Olivier et Franck Foute (Jeune Afrique)

Au Cameroun, Jean-Pierre Amougou Belinga, Justin Danwe et les autres détenus de l’affaire Zogo ont été déferrés jeudi 23 février devant le tribunal militaire de Yaoundé. Celui-ci a réclamé un nouveau complément d’enquête.

Bis repetita. Comme le 14 février dernier, Jean-Pierre Amougou Belinga, Justin Danwe et les suspects détenus dans l’affaire Martinez Zogo ont été extraits de leurs cellules ce jeudi 23 février. Déferrés devant le tribunal militaire de Yaoundé en début d’après-midi, aux environs de 15 heures, ils y ont une nouvelle fois patienté en compagnie de leurs avocats pour connaître leur sort et attendre une éventuelle inculpation.

Le commissaire du gouvernement, Cerlin Belinga, a tranché : il a demandé un nouveau complément d’enquête. Sur les coups de 2 heures du matin, Amougou Belinga et consorts ont repris le chemin du secrétariat d’État à la défense (SED), où ils sont détenus depuis près de quatre semaines. En charge des investigations, ce service est chargé de faire la lumière sur leur rôle dans l’enlèvement de l’animateur.

Une nouvelle soirée d’attente

Le patron du groupe L’Anecdote est soupçonné d’être le commanditaire de l’enlèvement de l’animateur d’Amplitude FM, qui aurait été mené par un commando dirigé par Justin Danwe, lieutenant-colonel de la Direction générale de la recherche extérieure (DGRE, les renseignements camerounais). Plusieurs autres personnes sont soupçonnées de complicité présumée, comme le beau-père et chef de la sécurité d’Amougou Belinga, Etoundi Nsoe, et Bruno Bidjang, directeur général de L’Anecdote.

Comme ce 23 février des inculpations avaient déjà été évoquées le 14 février dernier, mais le commissaire du gouvernement avait, après de longues heures de réflexion et de consultation, décidé de demander un premier complément d’enquête au secrétariat d’État à la défense (SED). Qui a procédé depuis un peu plus d’une semaine à de nouveaux interrogatoires, afin de compléter le dossier.

Selon nos sources, Cerlin Belinga souhaite étoffer au maximum le dossier d’enquête préliminaire, avant de prononcer des inculpations et de transmettre cette affaire, ô combien sensible, à un juge d’instruction du tribunal militaire. Restera alors à désigner celui-ci, qui devra être d’un grade supérieur à celui du lieutenant-colonel Justin Danwe.

Danwe et Amougou Belinga, duo au cœur de l’affaire

Jean-Pierre Amougou Belinga a été arrêté le 6 février, après avoir été été mis en cause par le directeur des opérations de la DGRE. Ce dernier a avoué devant les enquêteurs du SED de Galax Yves Landry Etoga avoir mis en place l’opération visant Martinez Zogo, affirmant avoir agi pour le compte de l’homme d’affaires. Belinga a nié cette version mais a admis être en relation avec Justin Danwe depuis plusieurs années.

D’après nos informations, Justin Danwe aurait donné trois versions des faits successives aux enquêteurs du SED. Dans la première, qui n’aurait pas été retranscrite dans le dossier, il avouait être le responsable du commando ayant procédé à l’opération Martinez Zogo, lequel aurait été torturé puis tué dans l’immeuble Ekang, propriété de Jean-Pierre Amougou Belinga.

Dans la deuxième version, versée au dossier, Danwe ajoutait que Jean-Pierrre Amougou Belinga aurait été présent lors d’une partie de l’opération et que l’homme d’affaires aurait été en contact téléphonique avec le ministre de la Justice, Laurent Esso, le 17 janvier, jour de l’enlèvement. Or, dans une troisième version, il revenait sur cette déclaration.

Un tournant politique ?

Danwe affirmait cette fois avoir piloté l’opération, mais à distance, ajoutant que celle-ci n’avait pas eu lieu dans l’immeuble Ekang. Il ne citait pas le nom de Laurent Esso mais celui d’un autre ministre, celui des Finances, Louis-Paul Motaze. Les limiers du SED ont été priés de démêler le vrai du faux, en s’appuyant notamment sur des relevés téléphoniques et autres images de surveillance.

L’affaire – suivie de près par le président Paul Biya – pourrait-elle prendre une tournure plus politique encore ? Malgré a durée de l’enquête préliminaire, ni Laurent Esso ni Louis-Paul Motaze n’ont à ce jour été entendus, tandis que les regards sont tournés vers la DGRE, dont une partie des services auraient été « privatisés » dans cette affaire.

Parmi les suspects figurent d’ailleurs le patron du contre-espionnage, Léopold Maxime Eko Eko : le commissaire divisionnaire, à la tête des renseignements depuis 2010, est soupçonné d’avoir – a minima – été informé de l’opération. S’il dément avoir eu connaissance des agissements de Justin Danwe, il devrait avoir à répondre lui aussi des accusations de complicité.

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