Par Mathieu Olivier (Jeune Afrique)

Au Cameroun, les enquêteurs du Secrétariat d’État à la Défense, chargés de faire la lumière sur l’assassinat du journaliste Martinez Zogo, cherchent à comprendre le fonctionnement de la Direction générale de la recherche extérieure. Un service plus divisé qu’il n’y paraît…

Si l’affaire Martinez Zogo n’a pas encore livré tous ses secrets, une chose paraît déjà sûre dans le dossier monté par les enquêteurs du Secrétariat d’État à la Défense (SED) de Galax Yves Landry Etoga : la Direction générale de la recherche extérieure (DGRE, les renseignements extérieurs camerounais) est impliquée au premier chef dans l’enlèvement meurtrier de l’animateur radio d’Amplitude FM, le 17 janvier dernier.

Les efforts d’Eko Eko

Le lieutenant-colonel chargé des opérations au sein du contre-espionnage, Justin Danwe, a en effet avoué lors de plusieurs interrogatoires avoir mis sur pied le commando chargé du rapt, sur demande de l’homme d’affaires Jean-Pierre Amougou Belinga. Celui-ci dément, mais il a reconnu entretenir des relations avec le chef espion depuis plusieurs années. Également mis en cause, le patron de la DGRE, Léopold Maxime Eko Eko, a lui aussi été placé en détention.

Ce dernier nie avoir eu connaissance des faits et donc avoir apporté un quelconque soutien. Défendu par un collectif de quatre avocats, le commissaire divisionnaire fait actuellement tout pour éviter une inculpation devant le tribunal militaire pour complicité d’assassinat, alors que le commissaire du gouvernement chargé de l’affaire, Cerlin Belinga, a demandé un complément d’enquête aux enquêteurs du SED le 14 février.

Les réseaux d’Elong Lobé

Nommé en 2010 et jusqu’ici considéré comme intouchable, le redouté et réputé Léopold Maxime Eko Eko pouvait-il tout ignorer des agissements d’une partie de son service, qui aurait en quelque sorte été privatisé ? Selon nos sources, la DGRE est en tout cas en proie à des dissensions. Discrètement nommé il y a quelques années à la tête des opérations, Justin Danwe y avait ainsi remplacé l’influent James Elong Lobé, lequel héritait d’un poste de « simple » conseiller technique.

« Elong Lobé, qui a conservé ses réseaux, a mal vécu cette forme de mise au placard », confie une source proche de la DGRE. Interrogé lui aussi au SED après l’assassinat de Martinez Zogo – comme une vingtaine d’éléments des renseignements extérieurs –, il n’a pas été placé en détention mais aurait fourni aux enquêteurs des informations sur le fonctionnement de son ancien service.

James Elong Lobé, qui officiait déjà lors de la disparition de l’opposant Mbara Guérandi, en 2013, et de Christiane Soppo Mbanga, la secrétaire de Marafa Hamidou Yaya, s’est rapproché ces dernières années des conseillers israéliens de la présidence, notamment spécialisés dans les technologies d’écoute et d’interception de communications.

Les grandes oreilles d’Israël

Le commissaire divisionnaire entretient ainsi de très bonnes relations avec un autre soutien des grandes oreilles d’Israël, Ferdinand Ngoh Ngoh. Le secrétaire général de la présidence, dont le service est l’organe officiel de tutelle et de contrôle de la DGRE, dispose de ce fait d’un relais précieux au sein du renseignement extérieur en la personne du redouté James Elong Lobé. Au point de réussir à placer ce dernier à la tête du service ? L’actuel numéro deux du contre-espionnage, Moukouop Mouminou, nommé en 2015, assure à l’heure actuelle l’intérim depuis le placement en détention de Léopold Maxime Eko Eko.

Entre ce dernier et Ferdinand Ngoh Ngoh, les rapports se sont dégradés au fil des années, au point que le secrétaire général a, à plusieurs reprises, milité auprès du président Paul Biya pour faire remplacer le directeur de la DGRE. Très impliqué dans le domaine du renseignement via son adjoint Mohamadou Moustapha, il cherchait dans le même temps à renforcer son contrôle sur les finances de ce service, alimentées via la présidence par la Société nationale des hydrocarbures (SNH).

Léopold Maxime Eko Eko avait réussi à conserver son poste, se servant notamment d’autres canaux influents à la présidence, comme l’actuel directeur du cabinet civil Samuel Mvondo Ayolo et l’ancien ministre délégué à la Défense, Edgar Alain Mebe Ngo’o. Mais la DGRE n’en était pas moins restée désunie. « Les personnalités les plus influentes de Yaoundé y entretiennent toutes un homme ou plusieurs, pour recueillir des informations sur leurs rivaux », confie notre source.

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