Avec Nicole SEMEY et AFP

Le ballon chinois abattu par les États-Unis le 4 février avait probablement décollé de Hainan, ont affirmé mardi des responsables américains. Située au sud de la Chine, cette grande île, avant tout connue pour ses plages paradisiaques, est aussi un site stratégique pour l’armée chinoise en mer de Chine méridionale. 

Tout a commencé à Hainan. L’armée américaine avait commencé à suivre le vol du ballon abattu au-dessus des États-Unis début février au moment ou celui-ci quittait cette île du sud de la Chine, ont déclaré des responsables américains au New York times, mardi 14 février, sous couvert d’anonymat.

L’affaire des ballons a été l’occasion pour beaucoup en Occident de découvrir l’existence de cette île qui, pour la classe moyenne chinoise, rime souvent avec vacances et plages paradisiaques. “C’est un peu le Hawaï de la Chine”, résume la chaîne américaine CNN.

Hôtels de luxe et sous-marins nucléaires

Mais pour Pékin et l’armée populaire de libération chinoise (PLA), Hainan représente un concentré de bases militaires et l’un des principaux symboles de la projection de forces chinoises vers l’Asie du sud et la mer de Chine méridionale, région où Pékin veut imposer son leadership.

D’un point de vue militaire, “Hainan est avant tout indissociable de la base de Sanya”, affirme Antoine Bondaz, spécialiste des questions de sécurité en Chine à la Fondation pour la recherche stratégique. 

La ville de Sanya, elle aussi, évoque surtout une succession d’hôtels de luxe, illustrations des ambitions chinoises d’en faire une usine à touristes depuis le début des années 1990. Mais à une trentaine de kilomètres du Club Med de Sanya se trouvent les baies de Yulin et Yalong, qui abritent l’un des joyaux de la marine militaire chinoise. 

C’est, en effet, dans cette base en constante expansion depuis le début des années 2000 que se trouve la plus grande concentration de sous-marins SNLE de la région. Cet acronyme désigne les sous-marins à propulsion nucléaire lanceurs d’engins, c’est-à-dire qui transportent des missiles balistiques nucléaires.

La Chine en dispose d’au moins quatre dans cette base, aux côtés d’une dizaine de sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire (qui, pour leur part, n’embarquent pas de bombe nucléaire), d’après les analyses du Centre national des études spatiales dans un rapport sur la base navales à Hainan, publié en 2019

Une flotte de sous-marins qui fait de Hainan “un élément important du dispositif chinois de dissuasion nucléaire”, souligne Zeno Leoni, spécialiste des questions de sécurité chinoise au King’s College de Londres. 

Les yeux et les oreilles de Pékin

C’est aussi depuis cette base que la PLA a lancé le premier porte-avions 100 % “made in China” en 2019. “Pékin y a aussi installé les missiles de son système de défense anti-aérien”, précise Zeno Léoni. Ainsi, la base de Yulin représente aussi un atout important pour le contrôle des airs.

Difficile, donc, d’ignorer l’importance militaire de ce site puisqu’il “accueille tout ce que l’armée chinoise compte d’équipements les plus avancés technologiquement”, résume Ho Ting “Bosco” Hung, spécialiste de la Chine à l’International Team for the Study of Security de Vérone (ITSS Verona). “La base de Sanya-Yulin contribue beaucoup à l’image de puissance maritime et aérienne de premier plan en Asie que la Chine se construit”, poursuit-il.

Tout ce matériel flambant neuf et à la pointe de la technologie “ne sera vraiment utile qu’en cas de conflit ouvert”, souligne cependant Zeno Léoni. La base Yulin représente surtout un investissement pour le futur permettant à Pékin de se préparer à un éventuel face-à-face maritime dans la région avec un adversaire comme les États-Unis.

Malgré tout, Yulin prouve déjà son utilité. Ce site sert de base à la milice maritime, une force rattachée à l’armée chinoise composée de militaires et de professionnels du commerce maritime. “Ce sont des unités qui n’utilisent pas de vaisseaux de guerre, mais plutôt des navires de pêche pour faire de l’espionnage maritime ou provoquer les autres États qui ont des intérêts en mer de Chine [Philippines, Vietnam, etc.] en s’approchant des îles contestées, comme les îles Paracels”, souligne Zeno Léoni.

Cette île est donc l’œil de Pékin sur la mer de Chine méridionale. Et pas seulement grâce à ses navires de pêches espions ou ses ballons, dont le site de lancement se trouverait sur la côte est de Hainan, d’après le Middlebury Institute of International Studies de l’université de Monterrey, en Australie

En 2021, le Center for Strategic and International Studies (CSIS), un cercle de réflexion à Washington, a découvert un nouveau site militaire à l’ouest de l’île, qui serait “entièrement dédié à l’interception de signaux et à la guerre électronique“. De larges antennes paraboliques, des radars et des antennes relais construites depuis 2018 indiqueraient que Hainan serait aussi d’oreille de Pékin dans la région. 

La possibilité d’une grande île

Mais pourquoi une telle concentration d’équipements militaires sur une île censée être la station balnéaire par excellence en Chine ? Historiquement, la “militarisation” de Hainan commence au début des années 2000. “La Chine venait de finir sa grande réforme de l’armée des années 1990 et connaissait une période de très forte croissance économique : Pékin a pris conscience de sa capacité militaire et économique à s’imposer en mer de Chine méridionale”, retrace Zeno Léoni.

Encore fallait-il trouver l’endroit d’où projeter sa puissance militaire. Dans cette région, les zones portuaires sur la côte – telles que Shenzhen ou Zhanjiang – avaient un défaut : “Il fallait construire des installations militaires, ce qui risquait de faire de la Chine continentale une cible, et Pékin voulait si possible l’éviter”, note le spécialiste du King’s College de Londres.

Construire sur Hainan permettait de déplacer le risque au large de la Chine continentale. En outre, “les voies de navigations maritimes qui passent directement par Hainan offrent aux navires militaires un accès rapide à la mer de Chine méridionale”, précise Ho Ting “Bosco” Hung.

Et puis Hainan est grand. D’une taille similaire à la Belgique, cette île dépassant les 30 000 km² peut abriter bon nombre d’installations militaires sans que celles-ci se marchent sur les pieds. Tout en laissant les touristes se prélasser sur les plages, en attendant que Pékin se décide ou non à utiliser Hainan pour appuyer ses exigences sur Taiwan ou les îles de la région.

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