Avec Arlette MINSILI et AFP

Un temps considérée comme l’étoile montante du Parti républicain, l’ex-gouverneure de Caroline du Sud Nikki Haley a surpris en entrant en 2017 dans l’administration Trump au poste d’ambassadrice à l’ONU. Aujourd’hui candidate aux primaires 2024 face à son ancien patron, elle tente de renouer avec un establishment qui ne lui pardonne pas son opportunisme politique, sans pour autant s’attirer les foudres de la base trumpiste. Portrait.

Elle est la première à se jeter dans l’arène républicaine face à Donald TrumpNikki Haley, ancienne gouverneure de Caroline du Sud et ambassadrice américaine à l’ONU, a annoncé dans une vidéo, mardi 14 février, sa candidature à la présidentielle américaine 2024. La tâche est difficile : le milliardaire, bien décidé à remporter les primaires du Parti républicain, a une tendance bien connue à humilier ses rivaux. Le plus redouté d’entre eux, le gouverneur de Floride Ron DeSantis, n’a d’ailleurs toujours pas annoncé ses ambitions pour la Maison Blanche. L’ex-vice-président Mike Pence, l’ancien chef de la diplomatie Mike Pompeo ou encore le sénateur Tim Scott, lui aussi de Caroline du Sud, font également partie des potentiels candidats.

Nikki Haley, pour le moment en bas du tableau dans les sondages, espère peut-être gagner en visibilité et récolter le plus de fonds possibles avant que les poids lourds n’entrent en scène. Elle a d’ailleurs prévu, après une annonce en personne ce mercredi à Charleston, en Caroline du Sud, des déplacements en Iowa et dans le New Hampshire, des États qui votent en premier lors des primaires. Quoi qu’il en soit, pas question pour sa campagne de s’attaquer de front à son ancien patron : “Il est temps pour une nouvelle génération” de prendre le pouvoir, se contente de répéter la candidate de 51 ans dans cette vidéo où le nom de Donald Trump n’est pas prononcé une seule fois.

La relation entre ces deux-là est complexe. Bien avant l’avènement du trumpisme, Nikki Haley a longtemps été considérée comme une politicienne de l’establishment républicain, symbole du rêve américain. Fille d’immigrants indiens du Pendjab, Nimrata Nikki Randhawa grandit dans une famille de quatre enfants dans la campagne de Caroline du Sud. Sa mère porte un sari, son père un turban. Tous les deux travaillent dans l’enseignement et tiennent un petit commerce en parallèle. Lorsqu’elle est adolescente, Nikki Haley aide à la comptabilité et en fera son métier.

Bête politique

En 2004, mariée à un soldat de la Garde nationale avec qui elle a deux enfants, elle se lance en politique. Après avoir servi à la Chambre des représentants de son État, elle devient en 2010 la première femme et personne d’origine indienne élue gouverneure de Caroline du Sud, et la plus jeune à un tel poste aux États-Unis. Les observateurs la présentent alors comme une redoutable bête politique capable de manger les démocrates un à un jusqu’au Bureau ovale.

Dans une tribune publiée lundi par le New York Times, Stuart Stevens, un ancien consultant républicain pour les campagnes de Mitt Romney et George W. Bush, se souvient qu’elle était “tout ce dont le parti avait besoin pour gagner” : “C’était une femme au moment où le parti avait besoin de plus de femmes, une fille d’immigrants au moment où le parti avait besoin de plus d’immigrants, une jeune réformatrice au moment où le parti avait besoin de davantage de jeunes électeurs, et un symbole de tolérance qui a retiré le drapeau confédéré au moment où le parti avait besoin d’attirer les personnes de couleur et les habitants diplômés des banlieues résidentielles.”

Le retrait du drapeau sudiste ou confédéré (considéré comme l’emblème des esclavagistes) des bâtiments officiels de son État, juste après la tuerie raciste dans une église noire de Charleston en 2015, est en effet considéré comme la mesure la plus emblématique du mandat de Nikki Haley en Caroline du Sud.

Aux primaires républicaines de 2016, elle soutient Marco Rubio puis Ted Cruz face à un Donald Trump refusant de condamner les suprémacistes blancs. Et pourtant, neuf mois plus tard, elle retourne sa veste et accepte de servir dans son administration. Et pas à n’importe quel poste : elle devient le visage de sa diplomatie isolationniste à l’ONU, malgré son manque d’expérience en politique étrangère et ses propres convictions plutôt proches de celles des “faucons” interventionnistes républicains . “Je suis fière de servir dans cette administration et je soutiens avec enthousiasme la plupart de ses décisions et la direction qu’elle fait prendre au pays”, écrit-elle dans une tribune en 2018.

Opportunisme politique

Un peu plus tard cette année-là, Nikki Haley quitte abruptement son poste d’ambassadrice aux Nations unies et retourne dans son État natal, où elle rejoint le conseil d’administration de Boeing et donne des conférences à 200 000 dollars. Elle prépare son retour, en prenant bien soin de ne pas critiquer Donald Trump. En 2019, dans son autobiographie “With All Due Respect”, elle cite son nom 163 fois, pour la plupart dans des termes élogieux.

Aujourd’hui, Nikki Haley tente de revenir à son image plus policée pour attirer ce qu’il reste de modérés dans l’électorat républicain. Mais certains, comme l’ancien consultant républicain Stuart Stevens dans sa tribune au New York Times, ne lui pardonnent pas son opportunisme politique. “Mme Haley, malgré tous ses talents, symbolise l’échec moral d’un parti à la recherche de la victoire à tout prix, une quête si impitoyable et sans relâche qu’elle a transformé le GOP (Great Old Party, le surnom du Parti républicain, NDLR) en un mouvement autocrate.” 

Il souligne d’ailleurs que ce n’est pas l’attaque du Capitole du 6 janvier 2021 qui a poussé Nikki Haley à se présenter face à Trump. Elle avait même déclaré en avril 2021 qu’elle ne le ferait pas s’il était candidat à sa réélection. Il a fallu attendre les résultats républicains décevants aux élections de mi-mandat, et notamment l’élimination de candidats soutenus par l’ex-président, pour qu’elle se décide à entrer en campagne.

“Beaucoup trop ambitieuse” 

Pour Stuart Stevens, sa candidature est vouée à l’échec : “Il y a un grand futur derrière Nikki Haley, raille-t-il. Elle ne sera jamais la voix de la vérité qu’elle fut brièvement en 2016, et elle ne sera jamais suffisamment MAGA (Make America Great Again, le cri de ralliement des trumpistes, NDLR) pour satisfaire la base de son parti.”

Et si cette campagne en cachait en réalité une autre ? À Washington, les commentateurs voient en Nikki Haley une potentielle colistière pour le vainqueur des primaires. Son pédigrée en politique internationale et sa retenue pourraient venir contrebalancer l’agressivité d’un Trump ou d’un DeSantis. Une théorie rejetée par certains de ses proches. “Dans chaque course à laquelle elle a participé, qu’il s’agisse d’être élue au parlement local ou au poste de gouverneur, ou même quand elle a été nommée ambassadrice à l’ONU, les gens l’ont sous-estimée et assuré qu’elle n’avait pas sa chance”, rappelle au média The Hill Alex Stroman, ancien directeur exécutif du Parti républicain de Caroline du Sud. “Je ne pense pas que Nikki Haley entrerait dans la compétition si elle voulait vraiment rester en retrait et devenir vice-présidente.”

La principale intéressée répète à l’envi qu’elle n’a jamais perdu une élection de sa vie. Face au pugilat qui s’annonce lors des primaires républicaines, elle va devoir s’accrocher. Trump a d’ores et déjà déclaré que son ancienne protégée était “beaucoup trop ambitieuse”.

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