Avec Boubacar Sanso Barry I Le DJELY I

Le président camerounais atteint ce lundi 13 février ses 90 ans, dont 41 au sommet de l’État. La situation intérieure du pays, entre crise anglophone, crise économique et menace terroriste, ne semble pourtant pas avoir de prise sur un pouvoir qui muselle la société civile. “Le Djely” fait la radioscopie d’une fin de règne où une lutte de clans a déjà commencé.

Ce lundi 13 février, veille de la Saint-Valentin, un président africain célèbre son anniversaire. Le chef de l’État du Cameroun souffle en effet ses 90 ans. Oui, il y a quatre-vingt-dix ans que naissait Paul Barthélemy Biya’a bi Mvondo, à Mvomeka’a [petit village rural du sud du pays]. Autant dire que c’est de l’anniversaire de notre grand-père à tous qu’il s’agit.

Quelle chance il a, ce Paul Biya, de fêter ses 90 ans dans un pays où l’espérance de vie ne dépasse guère 54 ans ! Plus chanceux encore, il est. Car depuis un certain 6 novembre 1982, il est aux commandes de ce pays de l’Afrique centrale. Soit quarante et un ans au pouvoir.

Or, quoique usé par la combinaison de l’âge et du pouvoir, il ne semble pas prêt à aller à la retraite. En tout cas, pour l’heure, c’est un sujet tabou. Personne n’osant s’y aventurer et risquer d’essuyer la colère de celui qui pourtant ne gère plus [le pays] que par procuration.

Mais autour de lui, sans éveiller les soupçons du “Vieux”, les guerres de clans sont déjà à l’œuvre. Signe que le terme est proche. Et c’est bien là tout le problème. Cette fin impréparée avec tout ce qu’elle comporte de risques et d’incertitudes.

L’immunité à toute épreuve

Le président camerounais, c’est l’immunité à toute épreuve. Pendant que, sur l’ensemble du continent, on impute bien des problèmes à la tendance qu’ont certains chefs d’État à s’accrocher trop longtemps au pouvoir, Paul Biya n’est même pas inquiété.

Pourtant, ce goût un peu trop prononcé pour le pouvoir, il en est même la personnification. Tenez, les quarante et un ans qu’il a déjà passés au sommet du Cameroun, c’est l’équivalent de cinq présidents en France [Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande et Macron] et de sept autres aux États-Unis [Reagan, George Bush, Clinton, George W. Bush, Obama, Trump et Biden].

Or on lui prête l’intention de vouloir rempiler en 2025. Il est vrai qu’il a survécu à tellement de crises que les Camerounais semblent s’être résolus à laisser la providence faire son œuvre. D’autant plus qu’il n’est pas connu pour faire de cadeaux à ceux qui s’évertuent à perturber son repos.

Mais ce recours à la résignation n’est pas nécessairement sans risques pour le Cameroun et les Camerounais. Le fatalisme n’est en fait qu’une manœuvre visant à différer le devoir auquel le Cameroun en général et son élite en particulier devront bien faire face un jour, s’ils veulent être artisans de leur destin.

Duel au sommet

Mais n’est-ce pas déjà tard ? En effet, la bataille pour la succession du président camerounais semble bien avoir commencé. L’affaire Martinez Zogo [journaliste spécialisé dans les affaires de corruption assassiné à Yaoundé en janvier 2023] n’en serait que l’une des tragiques illustrations.

L’on ne sait s’il en était conscient ou non, mais des observateurs très au fait des intrigues politiques au Cameroun s’accordent à dire que notre confrère, célèbre animateur de l’émission Embouteillage, était en effet proche d’un des clans engagés dans la féroce bataille qui préfigure une vacance au sommet de l’État.

Celui du tout-puissant secrétaire général à la présidence de la République, Ferdinand Ngoh Ngoh. Un camp qui compterait dans ses rangs, entre autres, la première dame, Chantal Biya, ou encore le chef de la police, Martin Mbarga Nguélé.

Des analystes n’excluent pas d’ailleurs que les attaques que Martinez Zogo réservait systématiquement à l’homme d’affaires Jean-Pierre Amougou Bélinga aient pu relever de cette guerre de clans.

Clan contre clan

D’autant que cet homme d’affaires, qui passe pour le principal suspect dans l’assassinat du journaliste, appartenait lui-même à un clan rival, dont quelques-uns des membres sont le ministre des Finances, Louis Paul Motazé, le patron des services de contre-espionnage, Maxime Léopold Eko Eko, et le ministre de la Justice, Laurent Esso.

L’on ne sait donc ce qui trottera dans la tête de Paul Biya, ce soir en célébrant son anniversaire, tout en sachant qu’autour de lui on commence déjà à se tuer pour sa succession.

En prendra-t-il conscience pour réserver le temps qu’il lui reste à l’organisation sereine de ce passage de témoin ? Ce serait en tout cas une belle façon de se racheter de toutes les dérives qui auront caractérisé sa longue gestion du pays.

Mais il n’est [pas] sûr que le président camerounais soit de ces leaders qui se soucient de ce qui se passera après eux. Dans ce cas, il soufflera sur ses 90 bougies, lèvera son verre et fixera le cap sur 2025, comme si de rien n’était.

Tant pis pour le Cameroun et le Camerounais lambda !

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