Avec Arlette MINSILI et AFP

Présenté mardi aux supporters du club saoudien Al-Nassr, la venue de Cristiano Ronaldo dans le championnat saoudien représente un coup retentissant pour ce pays du Golfe qui cherche, dans le sillage du Qatar, à se positionner sur la carte du sport de très haut niveau.

C’est une offensive sportive et diplomatique spectaculaire de la part de l’Arabie saoudite : Cristiano Ronaldo, 37 ans, quintuple ballon d’or et légende du sport, a été présenté, mardi 3 janvier, aux supporters du club d’Al-Nassr.

Sur le déclin ces derniers mois, en rupture avec son club de Manchester United et écarté du onze titulaire portugais lors de la coupe du monde, la star s’est engagée jusqu’en juin 2025 pour un montant faramineux de 200 millions d’euros.

“Je suis un joueur unique. C’est bon de venir ici, j’ai battu tous les records là-bas [en Europe] et je veux en battre quelques autres ici”, a-t-il affirmé lors de sa présentation aux supporters du club dont les richissimes propriétaires ambitionnent de créer une équipe de “Galactiques” du Golfe, en référence au Real Madrid de Beckham et de Zidane des années 2000. 

La présence de Ronaldo pourrait en effet encourager d’autres grands noms à fouler les pelouses saoudiennes. Selon un responsable du club qui souhaite rester anonyme, le meneur de jeu croate Luka Modric serait dans le viseur des dirigeants, tout comme le milieu récupérateur français de Chelsea N’Golo Kanté.

Au sein du club jaune et bleu, le Portugais sera désormais sous les ordres du Français Rudi Garcia et côtoiera d’anciens pensionnaires de Ligue 1 comme le gardien colombien David Ospina, le milieu brésilien Luiz Gustavo et l’attaquant camerounais Vincent Aboubakar.

“Devenir une puissance du football”

À l’image du Qatar, propriétaire du Paris Saint-Germain, l’Arabie saoudite a déjà investi massivement dans le football. En octobre 2021, un consortium saoudien a notamment fini par prendre le contrôle, malgré l’opposition initiale des supporters du club anglais, de Newcastle United.

Mais la venue de CR7 représente “une stratégie nouvelle et inédite”, selon le consultant Karim Sader, spécialiste des pays du Golfe. “Il ne s’agit pas ici d’acheter un club pour briller dans un championnat étranger, mais d’acheter un énorme joueur du point de vue de l’aura pour faire briller son propre championnat : devenir une puissance du football plutôt que de s’affirmer en tant que puissance à travers le football”, résume le consultant.

Si Ronaldo n’est pas la première vedette vieillissante du football à finir sa carrière dans un pays du Golfe, jamais encore un joueur de son calibre n’avait signé dans la région. Star du ballon rond, égérie de mode, influenceur et célébrité inégalée sur les réseaux sociaux avec plus de 570 millions d’abonnés sur Instagram, il offre ainsi au modeste championnat saoudien et au pays tout entier un fabuleux coup de projecteur.

“L’Asie n’a jamais rien vu de tel, relate le quotidien anglophone Gulf News basé à Dubaï. Partout où il ira, il captera l’attention et, si seulement 10 % de ses followers s’intéressent à son nouveau club, la Ligue saoudienne deviendra une des plus regardées au monde.”

Avec CR7, objectif Coupe du monde 2030

Avec la signature de Cristiano Ronaldo, l’Arabie saoudite, qui a déjà créé la sensation lors de son premier match du Mondial qatari en battant l’Argentine de Lionel Messi (2 à 1), s’attache également les services d’un ambassadeur de luxe en vue d’obtenir l’organisation de la Coupe du monde 2030 dont le ou les pays hôtes seront désignés en 2024 par la Fifa.

“C’est le début de l’opération de séduction des instances mondiales du football, comme l’avait déjà montré la présence du Prince Mohammed ben Salmane au match d’ouverture du Mondial. Ils viennent chercher avec Ronaldo une onction sacrée”, assure auprès de l’AFP Raphaël Le Magoariec, spécialiste de la géopolitique du sport des pays du Golfe à l’université de Tours.  

Huit ans seulement après le Qatar, devenu en novembre le premier pays arabe à accueillir le tournoi de football le plus prestigieux de la planète, l’Arabie saoudite songerait à une candidature commune avec l’Égypte et la Grèce. 

L’attribution des Coupes du monde a longtemps été soumise au sacro-saint principe de la rotation des continents et des confédérations, mais plus rien n’empêche selon les observateurs qu’une candidature dirigée par le richissime royaume ultra-conservateur ne séduise les instances mondiales si rapidement après le Qatar.

“Il y a eu beaucoup de critiques contre le Qatar, mais au final cela été une grande réussite et cela s’est bien répercuté en terme d’image. Le monde du football n’est pas vu qu’à travers un œil occidental”, affirme Karim Sader qui rappelle l’enthousiasme de l’ensemble du monde arabe pour le parcours historique des Marocains ou pour la victoire de l’Arabie saoudite contre l’Argentine. “Tout cela a été vécu comme une victoire pour le Moyen-Orient”, estime le consultant.

Faire oublier la face sombre du royaume

Et les ambitions de l’Arabie saoudite vont bien au-delà du football. Le pays désertique de 35 millions d’habitants compte désormais au niveau mondial avec le rallye-raid Dakar et la Formule 1, le golf ou encore le sport hippique avec la Saudi Cup, la course la plus richement dotée au monde avec ses 20 millions de dollars. Sans oublier bien sûr l’attribution controversée, en octobre 2022, des Jeux asiatiques d’hiver 2029 dans la “cité du futur”, Neom.

Pointée du doigt pour la situation catastrophique des droits humains dans le pays, l’Arabie saoudite entend aussi faire du sport un instrument d’influence pour changer son image de monarchie pétrolière ultra-conservatrice auprès de l’Occident. 

Paria de la scène internationale depuis l’assassinat du journaliste en octobre 2018, “le prince héritier Mohamed Ben Salmane doit redorer son blason. Il vient tout juste d’être réhabilité par la main tendue des États-Unis pour des questions énergétiques”, rappelle le consultant Karim Sader. Selon le spécialiste des pays du Golfe, le transfert de CR7 est aussi une bonne opération sur le plan intérieur : “On parle beaucoup de ‘soft power’ à l’échelle géopolitique mais d’un point de vue interne, en s’offrant un championnat digne de ce nom, c’est aussi un bon moyen pour consolider son pouvoir”.

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