Avec Pauline ROUQUETTE et AFP

Inculpée pour corruption et incarcérée, dimanche, à Bruxelles, la Grecque Eva Kaili est soupçonnée d’avoir empoché de l’argent du Qatar afin d’influencer des décisions au sein de l’organe législatif de l’Union européenne. Le Parlement européen doit se prononcer, mardi, sur la fin de son mandat de vice-présidente, poste qu’elle occupe depuis à peine un an. Portrait.

Son visage fait la une de la plupart des médias européens. Notamment en Grèce, où Eva Kaili donne du grain à moudre aux journalistes grecs. “L’arrestation d’Eva Kaili”, “La prison où est détenue l’eurodéputée grecque”, “Qui est le père d’Eva Kaili ?”… Le média de centre-gauche To Vima multiplie les articles à son sujet, de son côté, I Kathimeriní, quotidien de centre-droit, présente un entretien avec Louis Colart, le journaliste à l’origine de l’enquête ayant permis de révéler le scandale.

Mais qui est celle dont le nom est aujourd’hui associé au “Qatargate” ? À la suite des révélations du quotidien belge Le Soir, l’eurodéputée grecque et vice-présidente du Parlement européen, Eva Kaili, a été inculpée, le 11 décembre, pour “appartenance à une organisation criminelle, blanchiment d’argent et corruption” au sein du Parlement européen au profit du Qatar.

De présentatrice de JT à vice-présidente du Parlement européen

Désormais au cœur de tous les soupçons et écrouée, Eva Kaili, née en 1978, est une ancienne militante des Jeunesses socialistes. Après des études d’architecture à Thessalonique (nord), elle devient conseillère municipale à tout juste 20 ans. Son diplôme en poche, elle change de voie, se lance dans des études de relations internationales et européennes et suit des cours de journalisme à Athènes.

Eva Kaili débute sa carrière en présentant les journaux du week-end sur la chaîne privée Mega, de 2004 à 2007, avant de se consacrer à la politique, non sans succès. À 29 ans, elle est élue plus jeune députée du parlement grec, pour le compte du Pasok (ΠΑ.ΣΟ.Κ., mouvement socialiste panhellénique). Un parti dont elle est aujourd’hui “écartée”.

En 2014, elle est élue au Parlement européen. En 2019, elle conserve son siège et devient vice-présidente de l’organe législatif de l’Union européenne en janvier 2022. Eva Kaili avait été classée, en 2020 et 2021, parmi les eurodéputés les plus influents par l’organisme BCW.

C’est dire le retentissement du scandale, en Europe et plus encore en Grèce. À la télévision nationale, la chaîne d’information ERTnews – du groupe de radiotélévision publique Ellinikí Radiofonía Tileórasi – a envoyé ses journalistes recueillir la réaction des habitants de Thessalonique, deuxième ville de Grèce dont est originaire Eva Kaili.

L’eurodéputée a grandi dans un immeuble du centre-ville, où vit toujours sa famille. Dans son quartier, la nouvelle de son arrestation et de celle de son père (interpellé à Bruxelles en possession d’une valise remplie de billets) ont fait l’effet d’une bombe. “Il s’agissait d’une personne remarquable que nous connaissions, et d’un homme très bon”, confie un habitant, interrogé à l’entrée d’une pharmacie.

Le voisinage peine encore à croire à son implication dans le scandale qui secoue le Parlement européen. Certains se disent déçus, mais d’autres ne semblent guère étonnés : “Pour moi, ce qui s’est passé en Grèce ces dernières années ainsi que les scandales, ce n’est pas tombé du ciel”, dit un autre riverain.

Figure controversée à gauche pour sa proximité avec la droite

D’étiquette socialiste, Eva Kaili était loin de faire l’unanimité dans le pays et était devenue une figure controversée au sein même du Pasok, à cause de ses accointances avec la droite. Elle a pris plusieurs fois ses distances avec son parti, notamment lors du conflit qui portait sur l’appellation du pays frontalier de la Grèce désormais appelé Macédoine du Nord. Eva Kaili s’était positionnée sur la même ligne que le parti conservateur grec (Nouvelle Démocratie) et les franges nationalistes de l’opinion publique, qui estimaient que le nom de Macédoine, région du nord de la Grèce, ne pouvait être donné à un autre pays. “J’ai honte. C’est un dommage irréparable pour l’Histoire, la Macédoine et les Grecs”, avait-elle alors tweeté.

En 2019, la députée grecque s’était illustrée en critiquant les aides sociales distribuées par la gauche radicale (Syriza), pour faire face à la crise économique qui avait plongé de nombreux Grecs dans la pauvreté. Eva Kaili avait déclaré que “les allocations sont pour les fainéants”.

“Bonne chance Eva Kaili. Vous qui aviez dit que les Grecs sont pauvres principalement parce qu’ils sont paresseux”, a asséné un internaute sur Twitter après la découverte du “Qatargate”, lui souhaitant “un séjour en prison aussi long que possible”.

Un soutien affiché au Qatar

À Bruxelles, Eva Kaili faisait partie de la délégation visant à développer les relations de l’UE avec les pays du Golfe. C’est dans ce cadre qu’elle s’était rendue au Qatar, début novembre, peu avant le lancement de la Coupe du monde de football.

Dimanche le parquet fédéral belge a précisé dans le cadre de l’enquête, qu’un “pays du Golfe” est “soupçonné d’influencer les décisions économiques et politiques du Parlement européen en “versant des sommes d’argent conséquentes ou en offrant des cadeaux importants à des tiers ayant une position politique ou stratégique significative”. Le tout en échange d’une valorisation de son image à l’international.

Interpellée en flagrant délit, Eva Kaili n’a pu invoquer l’immunité parlementaire. Lors de son arrestation, vendredi soir, elle se trouvait en possession de “sacs de billets”, et son père a lui-même été surpris en train de transporter du liquide “dans une valise”, relate la presse belge.

Fin novembre, quelques jours après le début du Mondial-2022 organisé par le Qatar, critiqué de toutes parts en raison de soupçons de corruption et des droits bafoués des travailleurs étrangers, Eva Kaili avait pris la parole pour défendre l’émirat gazier à la tribune du Parlement européen. Elle l’avait notamment qualifié de “chef de file en matière de droit du travail” tout en ironisant sur les soupçons de corruption entourant l’attribution de la compétition sportive phare.

Trois semaines plus tôt, sur place, elle avait déjà salué, en présence du ministre qatari du Travail, Ali bin Samikh Al-Marri, les réformes de l’émirat en matière de droit du travail.

“Connaissant la morale et la personnalité de ma sœur, je ne peux pas croire que les accusations et les intentions qui leur sont attribuées correspondent à la réalité”, écrit l’eurodéputée, Madalena, dans un communiqué relayé par plusieurs médias grecs, ajoutant vivre une passe très douloureuse face aux accusations qui lui sont attribuées. De son côté, le Qatar nie toutes les accusations.

Sur les réseaux sociaux, rares sont les messages de soutien. Sous la dernière publication retweetée le 9 décembre par Eva Kaili, qui porte le hashtag #HumanRights (droits de l’Homme), les commentaires acerbes se multiplient. “Vous êtes la honte du pays”, “nous vous avons cru et avons voté pour vous (…) j’aimerais que tout cela soit faux”, écrit un utilisateur grec sur le réseau social. Et un autre de lui répondre : “Vous êtes morts si vous croyez qu’elle n’est pas coupable, si vous n’aviez pas compris qu’elle est l’une des plus grandes pourritures, et qu’elle ne s’occupait de politique européenne que pour se gaver de subventions”.

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