Avec Arlette MINSILI et France 24
Ces dernières années, la recherche scientifique sur les traitements contre le VIH a connu des avancées importantes, améliorant la vie des patients. Mais le nombre de contaminations reste élevé et aucun vaccin efficace n’a jusqu’ici vu le jour. Point d’étape avec Gilles Pialoux, vice-président de la Société française de lutte contre le sida (SFLS).
Le 1er décembre marque la Journée mondiale de lutte contre le sida, une maladie induite par le VIH, qui affecte plus de 38 millions de personnes dans le monde. Dans un rapport publié mardi, les Nations unies ont alerté sur la progression des contaminations avec 1,5 million de nouvelles infections détectées en 2021 et 650 000 morts.
Malgré d’importants progrès dans le traitement, désormais possible par injection, l’accès au soin demeure très inégal à travers le monde et il n’existe toujours aucun vaccin contre le sida. Depuis la pandémie de Covid-19, un nouvel essai clinique à base d’ARN messager a été lancé, pour savoir si cette technologie peut également protéger contre le VIH.
Gilles Pialoux, chef du service des maladies infectieuses à l’hôpital Tenon (AP-HP) et vice-président de la Société française de lutte contre le sida (SFLS), répond aux questions de France 24.
France 24 : Le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) a été découvert en 1983. Comment expliquer que près de 40 ans plus tard, malgré les avancées technologiques, les chiffres des contaminations restent aussi élevés ?
Gilles Pialoux : Depuis la découverte du virus, la science a considérablement progressé et nous bénéficions aujourd’hui de traitements très efficaces. Le TasP (“Treatment as Prevention”, ou traitement antirétroviral comme prévention) permet aux personnes séropositives de mener une vie normale et bloque la transmission du virus, même lors de relations sans préservatif. Ce traitement permet également aux femmes enceintes d’éviter la transmission du virus à l’enfant.
Pour les séronégatifs, la PrEP (prophylaxie pré-exposition) est un traitement préventif très efficace qui permet de se prémunir contre la contamination. Or ces traitements sont encore trop peu utilisés. En France, seulement 28 % des hommes ayant des relations avec des hommes utilisent la PrEP alors qu’ils représentent 43 % des nouvelles contaminations. Chez les femmes, qui représentent 32 % des infections, ce chiffre chute à 4 %. Un réel problème de sensibilisation perdure donc sur cette maladie. Il faut déployer plus de moyens pour faire connaître les évolutions pour lutter contre le VIH.
Il y a également un problème de dépistage. Alors que des disparités d’accès au test persistent à travers le monde, le Covid-19 a provoqué un recul dramatique. Cette crise sanitaire a affecté tous les pays, y compris ceux qui paradoxalement étaient peu touchés par le coronavirus, en Afrique notamment. Ce recul du dépistage est dû aux confinements et au sentiment de peur généralisé mais aussi aux problèmes logistiques, comme la pénurie de réactifs qui a affecté les laboratoires. Nous avons fait 950 000 tests en moins rien qu’en France sur l’année 2020, soit une baisse de 13 %. En 2021, nous avons augmenté nos dépistages de 8 % mais nous ne sommes pas encore parvenus à revenir au niveau de 2019. Le dépistage du VIH est désormais possible sans ordonnance en France, ce qui est une excellente nouvelle. Mais là encore, il faut accompagner cette mesure de campagnes d’information efficaces.
Plusieurs essais cliniques ont été récemment lancés – dont celui de Moderna qui utilise la technologie ARN, efficace contre le Covid-19 – pour élaborer un vaccin contre le VIH. Où en sont ces études et ont-elles une chance d’aboutir ?
S’il est vrai qu’à plusieurs égards, le Covid-19 a nui à la lutte contre le VIH, il faut reconnaître qu’au niveau de la recherche, la pandémie a insufflé un engouement nouveau. Le laboratoire américain Moderna a lancé des essais de phase 1 pour évaluer la réponse immunitaire et les effets secondaires d’un vaccin qui s’appuie sur la technologie ARN tout en prenant en compte les particularités du VIH. En France, l’Institut de recherche vaccinale (VRI) a lui aussi lancé un nouvel essai clinique novateur.
Ce virus pose une difficulté majeure car il mute énormément, chez les personnes infectées mais aussi lors de la transmission ainsi qu’en fonction de l’environnement et des régions. De nombreux essais cliniques ont déjà été menés pour obtenir un vaccin mais ceux-ci n’ont jamais dépassé les 31 % d’efficacité, ce qui est très insuffisant. Si l’on parvenait à atteindre les 50 ou 60 %, ce serait déjà un progrès énorme. L’avantage de l’ARN est que cette technologie est beaucoup plus facile à construire et permet donc de gagner du temps. Les scientifiques ont élaboré un modèle qui fait consensus, avec une injection pour préparer la réponse immunitaire puis une seconde pour la booster. Il convient néanmoins de tempérer l’enthousiasme car nous en sommes au tout début. La phase 3, qui doit confirmer l’efficacité vaccinale avant commercialisation, prendra à elle seule entre trois et quatre ans. [La phase 2 n’a pas encore été lancée, NDLR.]
Un seul essai clinique de vaccin contre le VIH est actuellement en phase 3. Il s’agit du projet Mosaico, qui devrait rendre ses conclusions fin 2023.
Un gros travail est également mené pour favoriser et améliorer la prise des traitements. Pouvez-vous nous expliquer ces évolutions et l’importance de cette approche ?
Ce travail vise à répondre à une forte demande d’allègement de la part des patients car le traitement contre le VIH est un traitement au long cours, qui génère de la lassitude mais qu’il faut absolument respecter car le virus devient plus résistant en cas d’oubli.
Nous sommes parvenus à alléger les trithérapies, que l’on peut désormais prendre quatre jours sur sept au lieu d’une administration quotidienne. Depuis un peu plus d’un an, deux antiviraux sont désormais administrables par injection, une fois tous les deux mois. Ce traitement demeure minoritaire car il est encore peu connu et il nécessite le recours à une infirmière. Mais il a l’avantage de permettre une plus grande discrétion vis-à-vis de l’entourage familial et professionnel, et d’éviter “l’effet rappel” de la prise de médicaments, compliqué à vivre au quotidien. D’autres améliorations sont en cours pour élaborer un comprimé mensuel voire semestriel ou bien encore développer l’implant sous-cutané, qui diffuse le produit pendant un an, sur le modèle déjà utilisé pour la contraception.
Outre l’aspect pratique, ces avancées visent à faciliter la vie des patients, dans un contexte de forte discrimination. C’est le cas en France, où certains emplois comme ceux de policier ou de gendarme demeurent interdits aux séropositifs, où il est parfois plus difficile de se faire assurer et donc d’accéder à la propriété et parfois même d’obtenir des rendez-vous médicaux. Malgré toutes ces années de sensibilisation, le sujet du VIH demeure tabou dans la société et alimente les peurs. Même au sein du corps médical, un malaise persiste sur ce sujet difficile et intime. Trop de professionnels préfèrent l’éviter et n’incitent pas assez au dépistage, ce qui occasionne des pertes de chance pour leurs patients.