Avec Arlette MINSILI et AFP

Un petit coup de plus dans le plafond de verre. La Française Stéphanie Frappart devient la première femme à arbitrer un match de Coupe du monde masculine, en officiant, jeudi, le match Allemagne-Costa Rica, au Qatar.

Une première dans l’histoire du football. La Française Stéphanie Frappart, va devenir, jeudi 1er décembre, la première femme à arbitrer une rencontre de Coupe du monde masculine, en tenant le sifflet du match décisif du groupe E, Allemagne-Costa Rica, nouvelle étape d’une carrière fulgurante débutée en 1996 et depuis sans accroc. 

La carrière de cette Française de 38 ans suffit à elle seule à illustrer la place grandissante des femmes dans le football. Stéphanie Frappart a déjà été la première femme arbitre centrale en deuxième division française (2014) en Ligue 1 masculine (2019), la première femme à diriger la Supercoupe d’Europe en août 2019, la première femme à officier en Ligue des champions en décembre 2020, la première à arbitrer lors d’un Euro en 2021, la première, encore, en finale de Coupe de France, le 7 mai dernier… 

La voici maintenant à arbitrer une rencontre au Qatar, aux côtés de la Rwandaise Salima Mukansanga et de la Japonaise Yoshimi Yamashita, également désignées arbitres principales – trois autres femmes font également partie du groupe des arbitres assistants.

“L’histoire doit s’écrire jeudi !”, a écrit la Fifa sur Twitter mardi en annonçant le match Allemagne-Costa Rica, à l’arbitrage entièrement féminin – Stéphanie Frappart sera assistée de la Brésilienne Neuza Back et de la Mexicaine, Karen Diaz Medina.  

“Je suis très émue, car ce n’était pas forcément attendu. Une Coupe du monde, c’est le summum, la plus grosse compétition au monde, donc je suis honorée d’y participer”, avait expliqué Stéphanie Frappart fin septembre, lors d’un point presse à Clairefontaine, après sa désignation pour le voyage au Qatar.

Plutôt qu’un accomplissement personnel, elle préférait y voir “la valorisation de l’arbitrage français. L’arbitrage français est reconnu à l’UEFA et à la Fifa, c’est bon pour l’arbitrage et le football français.”

Clément Turpin, l’autre Français parmi les 36 arbitres centraux officiant à Doha, qui a tenu le sifflet lors du 1er tour du mondial, loue son expérience. “Elle a fait des dizaines de compétitions internationales. Elle sait parfaitement comment on gère un événement intercontinental”.

Son expérience est en effet incontestable. 

“Beaucoup de diplomatie”

Ancienne joueuse de l’AS Herblay en région parisienne, elle arbitre depuis ses 13 ans. Elle a écumé les stades de deuxième division française durant cinq saisons avant d’être promue à l’été 2019 en Ligue 1, ce qu’aucune autre arbitre principale n’avait réussi à faire jusque-là.

Stéphanie Frappart fait alors rapidement l’unanimité, s’attirant les louanges des acteurs du jeu, qu’ils soient sur le terrain ou sur le banc de touche.

“Elle a beaucoup de diplomatie”, avait ainsi confié en 2019 Christophe Galtier alors entraîneur de Lille. “Il suffit qu’elle sorte un regard, un sourire, un geste… et ça s’arrête.”

“Elle a une petite voix, mais elle a du charisme, de la personnalité”, avait décrit le milieu Pierre Bouby, qui l’avait côtoyée en Ligue 2 avec Orléans. “Elle utilise des mots justes, elle explique, elle est diplomate et on peut discuter avec elle.”

Sa carrière s’est emballée depuis, passant de la France à l’Europe. Lors de Juventus Turin-Dynamo Kiev (3-0) en décembre 2020, elle devient la première femme à officier en tant qu’arbitre principale d’une rencontre de Ligue des champions, et sa performance ce soir-là, maîtrisée, avait été applaudie par la presse.

Puis ce sera l’Euro et enfin le mondial. Entre les deux, elle arbitrera un autre match historique. En mars dernier, elle a arbitré le match Barcelone-Real Madrid féminin devant 91 000 spectateurs massés dans le Camp Nou, record historique d’alors.

“Un grand pas en avant”

Évidemment, des questions sur le fait d’être une femme au milieu d’hommes lui sont régulièrement posées. Ses réponses sont, comme sa façon d’arbitrer, fermes et diplomates.

“Nous devons prouver physiquement, techniquement et tactiquement que nous sommes les mêmes que les hommes. Je n’ai pas peur de ça. Rien ne change pour moi”, avait ainsi déclaré la Française en 2019, alors qu’elle s’apprêtait à arbitrer un match de Supercoupe d’Europe.

Car s’il arrive que les joueurs se trompent et l’appellent encore parfois “Monsieur l’arbitre”, cela ne fait aucune différence pour Stéphanie Frappart. Pour elle, derrière le sifflet, il n’y a pas de différence. “Les décisions et les règles sont les mêmes. Je fais les mêmes tests physiques que les garçons. Les joueurs ne vont pas moins vite sur un terrain [lorsqu’ils sont arbitrés par une femme] donc les exigences ne sont pas moindres”, avait-elle expliqué en 2019 dans un entretien accordé au Parisien.

Son discours n’a pas varié depuis : “Moi, j’ai toujours milité pour qu’on soit prises en compte pour nos compétences et pas forcément pour notre genre. Si les filles ont des qualités, il faut leur laisser l’opportunité aussi d’y arriver”, ajoutait-elle en septembre. “Depuis 2019, on a fait un grand pas en avant. Maintenant, ce n’est plus une surprise de voir des femmes arbitrer des hommes, quel que soit le continent ou le pays. Donc c’est dans la lignée de ce qui s’est fait auparavant et un peu plus mis en lumière”.

Clément Turpin abonde. “Aujourd’hui, elles sont sélectionnées non parce qu’elles sont des femmes, mais parce qu’elles sont compétentes”. “C’est la première fois, mais ça s’inscrit dans un chemin pris depuis un petit moment”, ajoute-t-il, refusant de lui donner des conseils.

L’arbitre, originaire de banlieue parisienne, a pourtant déjà expérimenté le machisme. Mais la plupart du temps, il venait des tribunes. Sur la pelouse, elle était protégée de la violence verbale, contrairement à ses parents qui l’ont souvent endurée à sa place, comme elle l’avait raconté à l’Équipe :”Quand on est sur le terrain, on est dans sa bulle, on n’entend pas. Mais ce n’est pas toujours facile d’être au bord du terrain et d’entendre des mots sur son propre enfant”.

Plus récemment, en 2015, elle avait dû faire face au dérapage sexiste de l’entraîneur de Valenciennes, David Le Frapper. Alors qu’il estimait que son équipe aurait dû bénéficier d’un penalty contre Laval, il avait déclaré à l’issue du match nul (0-0) : “Concernant le penalty, il était bien là, mais l’arbitre ne l’a pas vu, elle faisait du patinage peut-être. Quand on est une femme et qu’on vient arbitrer un sport d’hommes, c’est compliqué”. Le technicien s’était ensuite excusé auprès de Stéphanie Frappart qui n’avait pas souhaité réagir à ces propos.

La native du Val-d’Oise ne s’inquiète pas d’officier au Qatar, malgré les critiques qui entourent ce pays depuis sa désignation.

“C’est aussi un signe fort des instances de mettre des femmes dans ce pays-là. Je ne suis pas porte-parole féministe, mais si cela peut faire avancer des choses… Je sais qu’on joue souvent un rôle, surtout dans le sport”, explique-t-elle, se réjouissant d’avoir “toujours été bien accueillie” au Qatar. 

Avec AFP

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