Avec AFP
Les deux principaux candidats à l’élection présidentielle américaine du 5 novembre prochain s’affrontent pour un premier débat jeudi soir sur CNN. Un rendez-vous attendu, censé permettre à Joe Biden et Donald Trump de défendre leurs bilans respectifs et d’exposer leurs programmes. Mais quels en seront les principaux enjeux ?
À ce stade de la campagne, tout est encore possible. Après des mois d’invectives, l’heure de la confrontation a sonné : Joe Biden et Donald Trump, au coude-à-coude dans les sondages, se retrouvent jeudi 27 juin pour le premier débat de la présidentielle américaine. Un rendez-vous très attendu.
Des millions d’Américains auront les yeux rivés sur leurs écrans pour ce face-à-face sous haute tension entre le président démocrate et son prédécesseur républicain.
Les deux hommes débattront à partir de 21 h (1 h GMT vendredi) à Atlanta, l’un des États les plus disputés de l’élection.
Leur duel, censé durer 90 minutes, sera modéré par deux journalistes de CNN, Jake Tapper et Dana Bash.
Soucieuse d’éviter la cacophonie du premier débat de 2020 – Joe Biden et Donald Trump avaient alors passé une heure et demie à s’invectiver et s’interrompre – la chaîne a adopté des règles censées encadrer les échanges : l’émission se déroulera sans public et sans prompteur. Surtout, le micro de Joe Biden sera coupé quand Donald Trump s’exprimera, et vice versa.
Si leur impact sur le scrutin reste souvent limité, ces rendez-vous sont des moments forts de la campagne électorale depuis le premier tête-à-tête télévisé organisé il y a plus de 60 ans, à Chicago, entre John F. Kennedy et Richard Nixon.
Selon un sondage de l’université Quinnipiac (Connecticut), l’immense majorité des Américains compte regarder le débat de jeudi soir. Quelque 16 % d’entre eux n’écartent pas la possibilité que l’émission change leur façon de voter.
Des attaques à prévoir sur l’âge de Biden
Le débat de jeudi sera en tout point exceptionnel, tant l’issue du scrutin de novembre est incertaine.
C’est la première fois que les Américains ont à départager des candidats aussi âgés que le président démocrate de 81 ans, qui a montré ces derniers temps des signes de fatigue, et son adversaire républicain, de quatre ans seulement son cadet.
Joe Biden, plus vieux président en exercice de l’histoire, aura 86 ans à la fin de son mandat s’il est réélu en novembre. “Trump a de nouveau attaqué Biden sur ses facultés cognitives, proposant même qu’il passe un test pour mesurer ses facultés, lui-même oubliant le nom du médecin qui lui avait fait passer ces tests lorsqu’il était en exercice”, explique Agnès Trouillet, maîtresse de conférence en civilisation américaine à l’Université de Nanterre.
“Biden a multiplié les bévues et s’est emmêlé les pinceaux à de nombreuses reprises pendant son premier mandat, il est donc important qu’il montre qu’il a les capacités et la force. C’est ce que les spectateurs et les auditeurs vont attendre, surtout les indécis”, poursuit la spécialiste.
Selon une étude publiée début juin, seuls 35 % des électeurs sondés estiment que Joe Biden a les capacités physiques et cognitives pour exercer la fonction de président, ils sont 50 % à penser cela de Donald Trump.
Le républicain, qui n’a jamais concédé sa défaite en 2020 et ne s’est pas engagé à respecter le verdict des urnes en novembre, réservera sans aucun doute des piques à son adversaire sur sa forme physique et mentale.
L’ancien président a même insinué que son rival serait “dopé” avant de paraître devant les caméras.
Mais les partisans du septuagénaire savent que cette stratégie de dénigrement pourrait se retourner contre lui, puisque même une prestation moyenne de l’actuel président jeudi pourrait alors être considérée comme une victoire.
“L’important n’est pas tellement l’âge, mais la vitalité”, ajoute Dominique Simonnet, écrivain et journaliste, pour qui l’enjeu porte sur la capacité de Joe Biden à mener un second mandat. “L’enjeu est important pas simplement sur le fait de savoir s’ils vont pouvoir tenir les deux heures de débat. C’est une rencontre historique et sans doute un débat historique, et chaque petite phrase peut faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre”, ajoute-t-il, prenant l’exemple du débat qui avait opposé Ronald Reagan (73 ans) à Walter Mondale (56 ans) en 1984.
Interrogé sur son âge, Ronald Reagan avait alors habilement répondu : “Je ne vais pas exploiter, à des fins politiques, la jeunesse et l’inexpérience de mon adversaire”.
“Cela avait totalement retourné le débat et Reagan en était sorti vainqueur”, relate Dominique Simonnet, auteur d’ouvrages spécialisés tels que “11-Septembre le jour du chaos”, et “Les Secrets de la Maison Blanche” (Perrin).
Les affaires judiciaires de Donald Trump, véritable enjeu ?
Outre l’âge des candidats à la présidence, les condamnations judiciaires s’invitent également dans la campagne.
Jamais les Américains n’ont eu à décider de confier ou non les clés de la Maison Blanche à un ancien président condamné au pénal. Or, Donald Trump, qui sera fixé sur sa peine à New York le 11 juillet dans l’affaire Stormy Daniels, encourt une peine de prison.
Les démocrates comptent ainsi sur le contraste entre un Joe Biden peu charismatique mais raisonnable et compétent, et un prédécesseur multi-inculpé, caractériel et enclin aux digressions mensongères.
“Il faut attendre la sanction du 11 juillet pour voir comment vont réagir ses partisans”, estime Agnès Trouillet. “Certains avaient dit qu’ils pourraient changer d’avis en cas de condamnation mais ça n’a pour l’instant pas beaucoup bougé. Peut-être qu’une sanction très lourde pourra faire pencher la balance”, poursuit-elle.
De son côté, Joe Biden a été pointé du doigt pour les démêlés judiciaires de son fils, Hunter. “Les Républicains ont poussé pour qu'[il] soit poursuivi en justice”, note Dominique Simonnet, évoquant la condamnation de Hunter Biden pour port d’armes illégal et les procès à venir portant sur des questions fiscales. “Cela a fait tache dans la réputation d’un Biden blanc comme neige, qui a un bon mandat, un bon résultat économique, mais qui peine encore a se faire reconnaître par les Américains”.
Pour sa part, Donald Trump est visé dans quatre procès au pénal. Hormis l’affaire Stormy Daniels, il est impliqué dans la tentative de manipulation du scrutin en Géorgie en 2020, pour son rôle dans l’attaque du Capitole à Washington et sa gestion négligente de documents classifiés à Mar-a-Lago.
“On attend une décision de la Cour suprême concernant l’immunité, mais malgré tout il y a toujours la possibilité d’appel qui repousse de plusieurs mois le procès, donc en tout état de cause, ces trois procès n’auront pas lieu avant l’élection”, explique Dominique Simonnet. Si Donald Trump est élu, ajoute-t-elle, “il pourra se prévaloir d’une immunité, voire se gracier lui-même”.
D’ordinaire, les candidats à la Maison Blanche attendent l’automne pour débattre. Organiser un débat plus tôt relevait aussi d’un choix stratégique pour Joe Biden : mettre son rival républicain au défi de lui faire face avant l’été afin d’établir au plus vite un contraste qui, Joe Biden en est persuadé, jouera en sa faveur.
Un second débat est prévu sur ABC le 10 septembre, à deux mois de ce scrutin explosif.
Immigration clandestine, Proche-Orient et avortement
Entre les promesses de Donald Trump et le bilan de Joe Biden, l’immigration sera l’un des sujets majeurs de ce débat.
De son côté, Joe Biden a décidé de durcir sa politique migratoire afin de répondre aux demandes croissantes d’une partie de son électorat. L’électorat hispanique, par exemple, “est partagé”, relève Agnès Trouillet. “Car beaucoup viennent d’Amérique latine et centrale, et une partie des gens qui ont immigré légalement – au prix d’un processus très compliqué – reprochent cette politique d’ouverture à la frontière”, explique-t-elle. “On a deux sons de cloche auxquels Joe Biden a essayé de répondre en durcissant sa politique”.
“Ça arrange Donald Trump que le problème ne soit pas réglé, car il peut accuser Joe Biden”, explique Dominique Simonnet, qui rappelle qu’en 2023, 2,5 millions de personnes ont passé la frontière mexicaine.
La situation au Proche-Orient devrait également être un sujet d’importance. “Sur une élection de district à la chambre du Congrès, on a un candidat progressiste qui s’est fait remarquer par ses propos accusateurs envers Netanyahu dans le district où la population juive est la plus importante dans tout l’État de New York”, relate Agnès Trouillet, qui indique une “carte politique à jouer”.
Autre sujet à l’agenda, les droits sexuels et reproductifs. Deux ans après la révocation par la Cour suprême des États-Unis de l’arrêt Roe v. Wade – lequel garantissait, depuis 1973, le droit à l’avortement aux Américaines sur l’ensemble du territoire –, “Trump, qui a retourné sa veste un nombre incalculable de fois pour satisfaire tantôt les évangélistes conservateurs, tantôt les plus modérés, doit clarifier sa position sur l’avortement”, estime Dominique Simonnet.
Désormais, chaque État américain est libre de décider sa politique sur l’avortement, ce qui pose de nombreux problèmes.
Parmi les pays riches, les États-Unis détiennent le taux de mortalité maternelle le plus élevé, avec 33 décès pour 100 000 naissances en 2021.
Par ailleurs, une étude a récemment révélé une augmentation inquiétante de la mortalité infantile au Texas après l’adoption d’une loi sur l’avortement en 2021.
“C’est un enjeu extrêmement important”, estime Dominique Simonnet. “Et Biden va certainement en jouer”.
Avec AFP