Par Yves Plumey Bobo (Jeune Afrique)
Depuis des années, il revendique sa filiation avec le président camerounais, qui n’a jamais démenti ses allégations. Portrait d’un ambitieux qui se rêve en héritier.
Sur la photo qui illustre son profil sur la messagerie WhatsApp, Georges Gilbert Baongla ne veut pas laisser de place au doute. Il a choisi d’afficher la une d’un journal local qui titre : « Dr Georges Gilbert Baongla, pour la continuité et l’alternance du renouveau ». Or le « renouveau », comme chaque Camerounais le sait depuis des décennies, fait référence à l’immuable programme politique du président Paul Biya.
Georges Gilbert Baongla fait plus que s’inscrire dans la « continuité » du chef de l’État. Avec son look soigneusement travaillé, il cultive sa ressemblance avec le patriarche du Cameroun, au pouvoir depuis 1982. Sur les plateaux de télévision, il revendique même régulièrement une filiation pure et simple avec ce dernier, prononçant sans sourciller des expressions telles que « tel père, tel fils ».
Est-il le fils de Paul Biya ? Quand nous arrivons à le joindre par téléphone, l’homme affirme se trouver à Douala, « dans [sa] voiture, accompagné de [s]es gardes du corps ». « Je me suis dit que l’information n’attendait pas, c’est pourquoi je me rends disponible », déclare-t-il, en fin connaisseur du monde de la presse. Il est 22h30 et Georges Gilbert Baongla vient de s’installer dans son hôtel.
« Est-ce que Paul Biya lui-même s’en est plaint ? »
Le sexagénaire glisse d’abord quelques mots sur Voice Radio, qu’il dirige et dont la fermeture a été décidée voici quelques jours par le Conseil national de la communication. Aucune raison officielle n’a été donnée mais cette station s’est par le passé illustrée par la diffusion de contenus jugés haineux. Cette décision est « illégale », estime toutefois Georges Gilbert Baongla. Pour lui, la raison de ses déboires est cachée, et avant tout politique. « Vous pouvez constater que, partout, on parle de la fermeture de la radio du fils du chef de l’État. C’est Paul Biya qui est visé, pas moi. »
Mais qui est véritablement ce Georges Gilbert Baongla, qui se présente fièrement et depuis des années comme l’enfant biologique de Paul Biya ? Pour lui, sa filiation ne fait pas débat et il existe bien des témoins, vivants comme morts, les premiers étant en mesure de confirmer qu’il est le fils du président. « D’ailleurs, lui-même [Paul Biya, NDLR] n’a jamais dit le contraire », argumente-t-il. La présidence, elle, est restée murée dans son silence et n’a jamais démenti ces allégations, laissant persister le doute au sein de l’opinion publique.
Aurait-il profité d’une ressemblance physique peu commune avec le président pour s’en faire le fils ? Il a en tout cas bénéficié du silence du principal intéressé pour appuyer son histoire. « Certaines personnes ont demandé à un haut gradé de la police nationale de le faire arrêter quand il a commencé à dire que Paul Biya était son père. Mais ce patron de la police a répondu : « Est-ce que Paul Biya lui-même s’en est plaint ? » raconte une source qui a requis l’anonymat.
« Pour moi, la politique est un art »
Georges Gilbert Baongla a-t-il jamais rencontré le chef de l’État ? Silence du côté du palais d’Etoudi, depuis des années. Le prétendu rejeton, lui, reste flou, mais affirmatif. « Ce sont des secrets de famille, c’est un président de la République et je ne peux dévoiler les lieux où je le rencontre et quand », glisse-t-il. Toutefois, il se fait plus bavard pour parler de son enfance. Sa mère, Élise Baongla, était une sage-femme originaire de la Sanaga Maritime, raconte-t-il.
Décédée le 17 juillet 2001, celle-ci aurait surtout été proche de Jeanne Irène Biya, la première épouse de Paul Biya, disparue le 29 juillet 1992 à Yaoundé. Quant à la sœur de Georges Gilbert, Danielle Léontine Blanche Baongla, la quarantaine passée et annoncée comme morte par les médias (pour le discréditer, dit-il), elle est bien vivante, selon son frère. Aujourd’hui mariée et mère de trois enfants, elle vivrait dans le quartier Omnisports de la capitale.
Georges Gilbert Baongla a été élevé dans la discrétion à Yaoundé. « J’étais un enfant enfermé dans un enclos. Je passais mes vacances entre Yaoundé et Douala et ma mère m’a inscrit au collège Saint-Jean-Bosco à Douala. Ensuite, elle a estimé qu’il fallait me ramener à la prestigieuse école du Centre, à Yaoundé. J’ai été très fermé parce que je suis un fils unique du côté de ma mère », assure-t-il.
« Monsieur Preuves », comme l’appellent affectueusement ses confrères des médias, assure détenir un « bac C », passé au collège Vogt, mais aussi trois licences, notamment en sciences politiques et en sociologie, décrochées en 1982, ainsi qu’une maîtrise obtenue dans le même domaine à l’Université de Liège (Belgique) en 1983. Il se dit aussi diplômé de l’École pratique des hautes études et titulaire d’un doctorat en sciences politiques, évidemment avec mention « très bien ».
Jeune, il rêve de devenir pilote ou mathématicien. Mais le rêve demeure inaccessible. Alors il décide de s’engager en politique, comme sa grand-mère maternelle, Ngo Mbock Esther, une militante de l’Union des populations du Cameroun (UPC), proche de Ruben Um Nyobè. « Avant de mourir, elle m’a dit qu’en politique, il ne fallait pas avoir peur de prendre des coups, se souvient-il. Elle m’a préparé psychologiquement. Je fais de la politique parce que, pour moi, c’est un art. Je ne fais pas ça pour me venger. »
Franck Biya, le « petit frère »
Se présenter comme le fils « autoproclamé » du président de la République lui a permis de se faire quelques amis. Et aussi bon nombre d’ennemis. À la fois raillé et redouté au sein du sérail, Georges Gilbert Baongla est un véritable « trouble-fête » au banquet de la famille présidentielle, déjà fracturée par les luttes de clans à mesure que l’heure de la succession de Paul Biya semble se rapprocher. À certains, il fait ainsi l’effet d’une épine dans le pied.
« Son existence gène les plans de Chantal et Franck Biya », croit savoir l’un de ses confrères. Lui préfère botter en touche. Pas question de rentrer dans un conflit de légitimité avec celui qu’il appelle son « petit frère » – et qui est présenté régulièrement comme un dauphin putatif du chef de l’État. Au contraire, clame l’aîné autoproclamé, « si jamais il devenait président, ce serait à mon avantage ». Mais Georges Gilbert Baongla n’a pas toujours été aussi posé et conciliant.
Dans l’émission L’Arène, un programme dominical diffusé sur Canal 2 International, il a déjà déclaré, au sujet de sa filiation : « Nous sommes trois : Junior, Brenda et moi. Terminé ! Le reste, nous ne voulons pas l’entendre. » Sous-entendu, à cette époque : Franck Biya ne serait pas le fils du chef de l’État. Certains observateurs n’avaient alors pas manqué de voir derrière cette saillie la main de Chantal Biya, résolue selon eux à éliminer Franck. Évidemment, rien de cela n’a jamais été prouvé. Et, depuis, Georges Gilbert affirme avoir recollé les morceaux avec son « petit frère ».
Le Mont-Fébé aux frais du palais
Georges Gilbert Baongla, le fils autoproclamé, s’est-il aussi rêvé en successeur ? En 2013, il a en tout cas créé sa formation politique, le Parti républicain (PR), grâce auquel il comptait conquérir le pouvoir, si jamais son père lui en donnait « l’autorisation », et « son « onction ». « J’ai même réservé le poste de “président du comité des sages” à mon papa dans le parti », assure-t-il. On devine son sourire, même à distance.
Une tournée dans les régions du Littoral et du Nord-Ouest en 2014 avait fait grand bruit. Au point de rendre Georges Gilbert Baongla trop encombrant ? Lui juge en tout cas que c’est à cette époque qu’a débuté sa descente aux enfers. Un de ses anciens collaborateurs parle pour sa part d’ennuis « purement politiques », apparus alors que l’intéressé devenait une véritable « bombe » pour le pouvoir de Paul Biya.
Mais c’est aux alentours de 2018 que ses vrais déboires commencent. Cette année-là, le 29 novembre, Georges Gilbert Baongla est en effet expulsé de son logement en raison de « 46 mois de loyers impayés ». Une décision de justice qu’il conteste et derrière laquelle il voit la main d’un certain Jean-Pierre Amougou Belinga, homme d’affaires et de médias, dont les connexions au sein de la magistrature ont beaucoup fait parler ces dernières années à Yaoundé.
« C’était une affaire purement politique. La juge a reconnu que je ne devais rien à mon bailleur mais a quand même ordonné mon expulsion », déplore-t-il. À l’époque, il ne se retrouve toutefois pas sans domicile, raconte-t-il, pour démontrer une fois de plus sa théorique filiation avec Paul Biya. Il avait alors posé ses valises au luxueux Mont-Fébé, hôtel proche du palais présidentiel, aux frais du cabinet civil du président et « sur haute instruction du chef de l’État », tient-il à préciser. Mais pourquoi accuser Jean-Pierre Amougou Belinga ?
Le « chouchou de la jeunesse »
Entre Georges Gilbert Baongla et l’homme d’affaires controversé, le bras de fer n’est pas nouveau. Le premier n’a en effet pas digéré qu’un jour, la chaîne de télévision Vision 4, propriété du second, nie sa qualité de rejeton du chef de l’État. Il avait donc déposé plainte, demandant aux journalistes Jean Jacques Zé et Bruno Bidjang de « prouver qu’il [n’était] pas le fils biologique du président ». Jean-Pierre Amougou Belinga aurait vécu cette plainte comme une « humiliation », et juré la perte de Georges Gilbert Baongla.
Ce dernier est alors visé par plusieurs plaintes, dont une pour « escroquerie » et « diffamation », déposée par Amougou Belinga lui-même. Dénonçant un « complot », il est interpellé le 29 mai 2019, puis écroué à la prison principale de Yaoundé le 3 juin. Et, le 10 juin 2020, le « chouchou de la jeunesse », comme il ne cesse de se présenter, est condamné par le tribunal de première instance de Yaoundé à deux ans de prison ferme et à une amende de 25 millions de F CFA. Incarcéré, il perd la présidence de son propre parti.
« Son mythe et sa capacité de nuisance se sont un peu affaiblis quand Jean-Pierre Amougou Belinga a réussi à le faire jeter en prison », observe un membre de la société civile. Georges Gilbert Baongla retrouve la liberté le 3 juin 2021 – il laisse aujourd’hui penser qu’Etoudi est intervenu en sa faveur, sans preuves. Fin de ses ambitions politiques ? Aucunement. Selon lui, il n’est en effet pas condamné de façon définitive, ayant fait appel devant la Cour suprême. Le dossier est en cours et il reste donc éligible, au grand dam de ses détracteurs, croit-il savoir.
Acharnement judiciaire ?
« Le but recherché était de le rendre inéligible, affirme un collaborateur. Mais ce fut un coup d’épée dans l’eau. » Depuis l’arrestation de Jean-Pierre Amougou Belinga dans le cadre de l’affaire Martinez Zogo, Georges Gilbert Baongla a choisi de repasser à l’offensive. Dans ses innombrables sorties médiatiques, il ne manque pas de dépeindre l’homme d’affaires comme son ancien « garçon de course » ou comme un « prédateur qui finira ses jours en prison ». Il soutient avoir recruté ce dernier pour le faire travailler au sein de son média, Le Démenti, en qualité de distributeur de journaux.
Amougou Belinga aurait ensuite profité de ses relations pour fonder son propre journal, L’Anecdote, avant de rencontrer Paul Atanga Nji, l’actuel ministre de l’Administration territoriale (Minat), à la Cameroon Postal Service (Campost). « J’étais au courant de ses manœuvres, mais je l’ai laissé faire », assure Georges Gilbert Baongla. Une façon, une nouvelle fois, de vanter son rôle central supposé dans le marigot politique camerounais.
Si certaines histoires relèvent sans doute du fantasme, Georges Gilbert Baongla dispose tout de même d’un réseau non négligeable au sein du sérail. Au point d’en faire un acteur, voire un arbitre, dans la guerre des clans qui sévit à Yaoundé, comme en est persuadé l’un de ses collaborateurs. Lui-même botte une nouvelle fois – faussement – en touche, tout en ne démentant pas son prétendu pouvoir. « Mon parti est celui de tous les Camerounais. Je ne me reconnais pas dans les guerres de clans », déclare-t-il, se plaçant au-dessus de la mêlée.
« On ne sait jamais, c’est peut-être vraiment le fils »
Peut-il profiter des querelles dans les coulisses du pouvoir ? Il s’est en tout cas servi à de nombreuses occasions de l’ambiguïté de sa position. « Il a beaucoup usé de cette filiation supposée pour faire du trafic d’influence », souligne un leader d’opinion camerounais. « Comme beaucoup de personnalités sont corrompues au Cameroun, chaque fois qu’il appelait un ministre, celui-ci s’exécutait en se disant : “On ne sait jamais, c’est peut-être vraiment le fils de Paul Biya” », ajoute encore cette source.
Georges Gilbert Baongla affirme avoir été « le premier à dénoncer la ligne 94 » du budget de l’État, qui a grandement agité le landerneau politique camerounais ces dernières années. Beaucoup le suspectent aussi d’être derrière les déboires de Jean Louis Beh Mengue, ex-directeur général de l’Agence de régulation des télécommunications (ART), condamné à vingt ans de prison ferme pour détournements de fonds publics en 2021.
Le « fils aîné » du président a en tout cas su construire son mystère et son influence grâce au silence complice du sommet de l’État, pourtant directement concerné. Au téléphone, depuis son hôtel de Douala, Georges Gilbert Baongla clame une dernière fois, sans que l’on sache vraiment s’il croit en ses propres paroles, son ambition. Celle d’un successeur et d’un héritier : « La seule personne qui peut gagner les élections devant moi, c’est Paul Biya. »