Guère structurés, ils parviennent néanmoins à se faire entendre. Qui sont ces « franckistes », déterminés à voir le fils du chef de l’État accéder un jour au pouvoir ?
Par Franck Foute (Jeune Afrique) 27 septembre 2022
Le texte a des allures de sermon religieux. Publié sur Facebook le 24 septembre, il parle de « l’union sacrée des cœurs » et de la nécessité de maintenir « la flamme de la paix et de l’unité allumée ». Plus que le contenu du texte, qui évoque « le Cameroun [que nous] aimerions enseigner à nos enfants », c’est le nom de son auteur qui retient l’attention. Car Mohamed Rahim Noumeu n’est autre que le fondateur du Mouvement citoyen des franckistes pour la paix et l’unité du Cameroun (MCFPU).
« Un homme au destin divin »
Les « franckistes », ce sont ces hommes et femmes qui affichent leur soutien à Franck Biya, 51 ans, fils unique de Jeanne-Irène, décédée en 1992. Ils n’en font pas mystère, ils souhaiteraient le voir succéder à son père, Paul Biya, sitôt que celui-ci aura quitté le fauteuil présidentiel qu’il occupe depuis près de quarante ans.
Empruntant volontiers des expressions à l’Évangile, le MCFPU se comporte comme le parti politique qu’il n’est pas, sans faire grand cas de ceux qui l’accusent de vouloir transformer la République camerounaise en une monarchie régie par une loi de succession dynastique. Sans craindre non plus d’user de tous les superlatifs, puisque ses membres voient en Franck Biya « un homme providentiel au destin divin ».
Le MCFPU est le principal des mouvements dits franckistes. Il existe depuis 2013 et, longtemps, ses activités se sont résumées à l’animation d’un groupe Facebook. Le retour de Franck Biya au Cameroun, en 2020, lui a donné un certain relief. Jadis éloigné des affaires de son père, l’aîné des enfants Biya est désormais conseiller du chef de l’État. Il s’est fait installer un bureau au palais d’Etoudi, d’où il gère les dossiers que lui confie le président.
Rêve-t-il de lui succéder ? La question est désormais posée, sans que le principal intéressé y réponde, lui qui ni n’approuve ni ne désapprouve ces débordantes manifestations d’affection. Ce flou savamment entretenu a aussi projeté Mohamed Rahim Noumeu, 52 ans, dans la lumière. Beaucoup voient dans son mouvement un outil destiné à jauger les réactions de l’opinion dans l’éventualité où Franck Biya se porterait candidat.
Pancartes et banderoles
Peu préoccupées jusque-là par l’activisme de ce Camerounais installé aux États-Unis, le palais d’Etoudi a commencé à lui prêter une attention particulière à l’occasion de la visite d’Emmanuel Macron à Yaoundé, en juillet dernier. Les franckistes espéraient profiter de la venue du président français pour se faire entendre. Ils avaient même prévu de déployer militants, pancartes et banderoles sur l’axe que devait emprunter Emmanuel Macron, au cœur de la capitale.
Mais les choses ne se sont pas déroulées comme prévu. D’autres organisations affichant leur soutien à Franck Biya sont en effet entrées dans la danse et, soucieux de faire en sorte que la cacophonie annoncée ne perturbe pas le programme officiel, le cabinet civil de la présidence camerounaise a demandé aux forces de sécurité de les faire taire.
Cinq heures avant que l’avion d’Emmanuel Macron ne se pose sur le tarmac, la police est passée à l’action. Le commissaire Messanga, chef d’antenne de la Sûreté du territoire à l’aéroport de Nsimalen, et le commissaire central de Yaoundé ont fait saisir banderoles et pancartes. Une vingtaine de militants ont été interpellés et placés en garde à vue. Une enquête a été ouverte et confiée à la direction des renseignements généraux. Trois jours durant, les agents de police ont multiplié les interrogatoires et tenté de démêler l’écheveau de cet intriguant phénomène.
Constellation
Car outre le MCFPU, il y a le Réseau national des jeunes acquis à Franck Emmanuel Biya pour la paix et la stabilité au Cameroun, que dirige Garba Aboubakar, mais aussi le Mouvement des Febistes ou encore le Rassemblement républicain des franckistes du Cameroun (RRFC). Sans oublier le Mouvement citoyen pour la paix et l’unité ni le Mouvement citoyen pour l’émergence – tous deux fondés par des transfuges du MCFPU. Il y a même un deuxième MCFPU, qui porte rigoureusement le même nom que le mouvement de Mohamed Rahim Noumeu, mais que dirige un certain Alain Fidèle Owona. Dernier-né de la constellation : le Réseau national des jeunes musulmans acquis à Franck Biya.
« Il n’existe pas une organisation franckiste, mais des groupes indépendants les uns des autres », explique Bertrand Ndzana, membre du RRFC. « Ce qui nous rassemble, c’est la volonté de voir le fils du président au pouvoir. Certains voient en lui une sorte de nouvelle version de Paul Biya, qui saura préserver les valeurs [qu’a défendues] son père. D’autres souhaitent garder ou obtenir un poste enviable », ajoute-t-il avec franchise. Le RRFC ne s’en cache pas, il est basé à Ebolowa, dans cette région du Sud d’où Paul Biya est originaire.
« La profusion des mouvements de soutien à une personnalité, surtout lorsque celle-ci est proche du pouvoir, n’est pas nouvelle, analyse un bon connaisseur de la vie politique locale. Avant les franckistes, on a vu des organisations telles que la Jachabi [Jeunesse active pour Chantal Biya] ou la Presby [Jeunesse de Paul Biya] occuper le paysage, puis disparaître. Aujourd’hui, si Franck Biya suscite un tel intérêt, c’est parce que la question de la succession n’est pas résolue. »
La main d’un influent ministre ?
Le franckisme est-il un phénomène spontané ou faut-il voir derrière cet enthousiasme soudain la main d’un ambitieux ? À Yaoundé, sous le couvert de l’anonymat, certains relient ce mouvement à un influent ministre originaire du Sud qui, dans la guerre des clans qui déchire Yaoundé, aurait à cœur de faire pencher la balance en faveur du Sud et des Bulus.
Ce clan gravite autour de Samuel Mvondo Ayolo, le directeur du cabinet civil de la présidence, de Bonaventure Mvondo Assam, un neveu du chef de l’État, et de Franck Biya lui-même. Un clan dont les adversaires les plus farouches sont à chercher du côté de la région de l’Est, de la première dame, Chantal Biya, et du secrétaire général de la présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh.
« Lorsqu’on regarde le parcours de certains franckistes, on peut avoir quelques doutes sur la sincérité de leur militantisme, souligne la source précitée. Dans le passé, Mohamed Rahim Noumeu a, par exemple, été un fervent soutien du chanteur Lapiro de Mbanga, virulent critique de Paul Biya. Aujourd’hui, il se retrouve du côté du pouvoir… Et il est loin d’être le seul. »
Jusqu’où iront les franckistes ? Les militants interpellés lors de la visite d’Emmanuel Macron ont été libérés, mais les services camerounais les ont désormais à l’œil. Paul Atanga Nji, le ministre de l’Administration territoriale, exige que ces organisations soient légalisées avant d’être autorisées à exercer une quelconque activité.
La pression est telle que l’autorisation délivrée au RRFC a été annulée. « Dans le contexte camerounais, la reconnaissance juridique des associations politiques reste et demeure une prérogative exclusive de l’administration territoriale », a fait savoir le préfet de la Mvila (Sud), Sylyac Marie Mvogo, dans un communiqué. Il en faudra sans doute plus pour décourager les franckistes, auxquels il n’a pas échappé que leur champion avait officiellement été présenté à Emmanuel Macron, le 26 juillet.