Avec Georges DOUGUELI, JEUNE AFRIQUE

Alors que la justice britannique a commencé à se pencher sur les accusations de corruption visant Glencore et les activités du trader pétrolier en Afrique, le Cameroun se perd en spéculations. L’affaire pourrait ébranler jusqu’à la présidence de la République et Paul Biya.

Le 8 octobre prochain, le Cameroun retiendra une fois encore son souffle. La Cour de Southwark, à Londres, ouvrira à cette date une nouvelle audience de l’affaire Glencore, qui pourrait se transformer en scandale de corruption international. Lors de cette échéance et des suivantes, il doit en effet être question de mettre des visages sur les personnages de la nébuleuse qui auraient reçu des pots-de-vin de la part de l’entreprise pétrolière à hauteur d’une dizaine de milliards de francs CFA et en rapport avec des contrats accordés au Cameroun par la Société nationale des hydrocarbures (SNH).

L’attente a déjà été déçue le 10 septembre dernier au tribunal de Westminster, à Londres, où l’affaire avait été enrôlée pour une audience préliminaire. Malgré la pression populaire, aucun nom de personnes suspectées d’avoir été corrompues n’a été prononcé. En attendant que les accusés britanniques Martin Wakefield, Alexander Beard et Andrew Gibson, ex-hauts cadres de la société pétrolière anglo-suisse, dévoilent les noms des Camerounais à qui ils auraient versé des pots-de-vin pour l’attribution de contrats pétroliers, Yaoundé se prépare donc à la déflagration.

La présidence impliquée ?

Alors qu’il semble se diriger vers une nouvelle candidature à l’élection présidentielle prévue dans un an, le président camerounais Paul Biya doit se dépêtrer du piège Glencore, dont les conséquences pourraient remettre en cause la sincérité de son engagement à lutter contre la corruption. Deux ans déjà que d’anciens dirigeants de l’entreprise pétrolière ont avoué avoir corrompu plusieurs officiels camerounais. Pourtant, aucune enquête pénale n’a été diligentée, en dépit d’une plainte de la SNH, déposée au Tribunal criminel spécial (TCS) pour « identifier les complices camerounais de ces actes de corruption ».

Les faits se sont tenus, selon les accusés britanniques, entre 2007 et 2014. Les acteurs agissant alors pour le compte de la SNH ou de la Société nationale de raffinage (Sonara) sont donc pour la plupart encore en poste. Aucun n’a cependant été entendu dans le cadre d’une enquête. La raison tient-elle au fait que la chaîne des responsabilités pourrait remonter jusqu’à la présidence de la République elle-même ? Selon nombre d’observateurs, il est impensable que la SNH ait pu accorder des contrats à tarifs extrêmement avantageux sans que le palais d’Etoudi n’en soit informé.

Le ministre d’État et secrétaire général de la présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh, préside en effet également le conseil d’administration de la SNH. Le gouvernement communique pourtant peu sur cette affaire, renforçant l’impression d’opacité qui entoure la gestion des affaires pétrolières, en dépit des engagements internationaux liés à la transparence financière. Seul bon point, le ministère des Finances a saisi les autorités suisses et britanniques pour faire valoir les intérêts du Cameroun, et la filiale de Glencore basée à Douala va subir un redressement fiscal à la hauteur du préjudice subi par les finances publiques camerounaises.

L’affaire révèle en effet, au minimum, d’importantes failles de sécurité puisqu’il a été établi que des avions transportant de l’argent liquide ont pu atterrir dans des aéroports du Cameroun sans être l’objet de l’attention des autorités compétentes. Comment ces cargaisons ont-elles échappé au service des Douanes et donc au ministère des Finances ? C’est l’une des (nombreuses) questions auxquelles devront aider à répondre Martin Wakefield, Alexander Beard et Andrew Gibson, les accusés britanniques de la Cour de Southwark, à partir du 8 octobre prochain à Londres.

Un bras de fer au sommet entre Moudiki et Ngoh Ngoh

Quelles pourraient être les victimes camerounaises de cette affaire Glencore ? Le 26 juillet dernier, Paul Biya a autorisé Ferdinand Ngoh Ngoh à tenir un conseil d’administration extraordinaire de la SNH, en vue du remplacement d’Adolphe Moudiki, l’historique administrateur directeur général et pourtant allié de longue date du chef de l’État. Mais ce dernier s’est ravisé et a finalement empêché le limogeage de son vieux compagnon, sans explications. Adolphe Moudiki, toujours patron de la SNH, apparaît donc comme un homme en sursis.

L’affaire est d’autant plus délicate pour lui que son épouse, Nathalie Moudiki, détient la prérogative de veiller aux intérêts contractuels de l’entreprise de par sa position de directrice des affaires juridiques de la SNH. Âgé de 85 ans, le patriarche ne veut cependant pas entendre parler de retraite, même si ses collaborateurs disent sa perspicacité et sa vigilance minées par la maladie. Le magistrat à la raideur proverbiale a d’abord démenti toute implication de l’entreprise qu’il dirige d’une main de fer depuis 31 ans, avant de changer de stratégie.

Le 6 novembre 2023, il a en effet fait déposer une plainte au TCS pour « identifier les complices camerounais de ces actes de corruption ». Il y ajoute que la SNH « est confiante que l’issue de la procédure à Londres permettra l’accélération des enquêtes au niveau du TCS ». Qu’espère obtenir Adolphe Moudiki ? À Yaoundé, nul ne doute que le patriarche espère obtenir que le TCS se penche sur les réseaux pétroliers de celui qui a tenté de le limoger, en l’occurrence Ferdinand Ngoh Ngoh, le secrétaire général de la présidence.

Dans les faits, ce dernier, président du conseil d’administration de la SNH depuis 2011, est le numéro deux de l’exécutif camerounais et le trait d’union entre le président Paul Biya et l’entreprise pétrolière qui participe à hauteur d’environ 60 % des ressources du budget national. Alors qu’il est censé être les yeux et les oreilles du président, comment a-t-il pu laisser le scandale Glencore émerger ? s’interrogent ses détracteurs. « Techniquement, on ne peut pas vendre à prix cassé sans que cela ne se voie dans les écritures présentées aux administrateurs et que les commissaires aux comptes de la SNH et de la Sonara ferment les yeux », explique une source.

Charles Metouck et Ibrahim Talba Malla en attente

Le TCS permettra-t-il de faire la lumière sur le versant camerounais de l’affaire Glencore ? Les audiences londoniennes de cette dernière forceront-elles Yaoundé à jouer le jeu de la transparence ? Dans un contexte de guerre des clans autour du palais d’Etoudi, les ennemis de Ferdinand Ngoh Ngoh attendent une nouvelle fois de voir tomber sa tête, mais la montagne pourrait accoucher d’une souris, alors qu’on ne connaît pas encore la complexité des montages de cette affaire Glencore et le nombre des intermédiaires utilisés dans les actes présumés de corruption, entre Londres, Genève et le Cameroun.

Parmi les personnalités de « second plan » exposées figurent notamment Charles Metouck et Ibrahim Talba Malla, les deux grands patrons successifs de la Sonara dans la période 2007-2014, durant laquelle auraient eu lieu les actes de corruption. Ceux-ci n’ont pour l’instant pas réagi. Le premier, nommé directeur général en 2007, a été limogé et arrêté en 2013 avant d’être condamné à quinze ans d’emprisonnement pour un détournement de 514 millions de francs CFA. Mais son successeur, en poste de 2013 à 2019, est toujours aux affaires, puisqu’il est l’actuel ministre délégué à la présidence de la République chargé des Marchés publics.

Peu connu du grand public, il n’en reste pas moins également l’un des poids lourds politiques du Grand Nord, regroupant les trois régions septentrionales de l’Adamaoua, du Nord et de l’Extrême-Nord, réservoirs de voix sur lesquels Paul Biya veut en partie s’appuyer pour gagner les prochaines échéances électorales. Sans doute conscient du caractère explosif de la situation, ses successeurs, Jean-Paul Simo Djonou et Harouna Bako, n’ont jusqu’à présent pas osé communiquer sur l’affaire Glencore et sur les actions qu’entend mettre en place la Sonara pour préserver ses intérêts et sauvegarder son image.

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