Avec LE MONDE

Le meurtre précédé de tortures de ce journaliste camerounais qui dénonçait la corruption au sommet de l’Etat est un terrible signal de la décomposition d’un régime au fonctionnement monarchique et où une justice aux ordres sert à éliminer ambitieux et opposants.

La violence, le secret, le clanisme et la prédation caractérisent depuis bien longtemps l’emprise déliquescente de Paul Biya, qui règne sur le Cameroun depuis 1982. Mais l’assassinat de Martinez Zogo, journaliste de radio pourfendeur de la corruption instituée au sommet de l’Etat, par son degré de sauvagerie et le moment où il est survenu, peu avant le 90e anniversaire de l’autocrate, lundi 13 février, montre que tout va être permis, même le pire, dans l’impitoyable guerre ouverte pour sa succession.

Martinez Zogo, 51 ans, voix populaire d’Amplitude FM, une radio où il dénonçait quotidiennement le fonctionnement mafieux des clans rivaux du régime, a été kidnappé le 17 janvier, à Yaoundé. Sa dépouille atrocement mutilée a été retrouvée cinq jours plus tard. Dans un pays où le journalisme est un métier dangereux et exposé aux pressions, le scénario est un insupportable message d’intimidation. Un crime aux allures de scandale d’Etat qui, pour l’ensemble du monde, doit susciter horreur, colère et indignation.

Le meurtre précédé de tortures d’un journaliste est un terrible signal de la décomposition d’un régime dont les institutions républicaines masquent le fonctionnement monarchique et où une justice aux ordres sert à éliminer ambitieux et opposants. Une menace aussi pour l’ensemble des droits et des libertés civiques. A fortiori lorsque, comme c’est le cas, cette mise à mort semble avoir été exécutée par des agents de l’Etat.

Toutes les manipulations sont possibles, mais l’arrestation de plusieurs responsables des services de renseignement et le témoignage recueilli par Reporters sans frontières présentant comme principal commanditaire de l’assassinat l’homme d’affaires Jean-Pierre Amougou-Belinga accréditent la thèse d’un crime d’Etat s’inscrivant dans le contexte de la course pour la succession de Paul Biya.

Lourdes inquiétudes

M. Amougou-Belinga, patron d’un groupe de médias, dont les affaires reposent sur ses réseaux d’influence en haut lieu, a lui-même été interpellé, le 6 février. Martinez Zogo l’accusait dans ses émissions de profiter des largesses et de l’appui des ministres des finances et de la justice. Deux hauts responsables qui sont précisément deux figures de proue de l’un des clans en lice pour le pouvoir, en rivalité avec une autre faction, animée par le secrétaire général de la présidence, qui a été le premier à annoncer les arrestations.

Tous les pays attachés à la démocratie doivent peser pour exiger la vérité dans l’affaire Martinez Zogo et user de leur influence afin que ce crime abominable ne reste pas impuni. L’élimination du journaliste confirme aussi que le Cameroun risque de vivre une période troublée lorsque disparaîtra celui qui, héritier du dictateur Ahmadou Ahidjo (1960-1982), personnifie la continuité d’un pouvoir directement né de l’écrasement par la France de la révolte en pays bamiléké, dans les années 1950. Une guerre d’indépendance dont les blessures continuent d’alimenter les tensions ethniques qui s’ajoutent aux revendications séparatistes dans la province anglophone (à l’ouest) et à la menace des djihadistes de Boko Haram (au nord).

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