Par Mathieu Olivier (Jeune Afrique)

Fils spirituel du chef de l’État, le ministre camerounais des Finances serait l’un des mieux placés dans la course à la magistrature suprême si le président, qui fêtera ses 90 ans le 13 février, devait passer la main.

Une fois n’est pas coutume, le Palais de l’unité a ouvert grandes ses portes. En ce 6 janvier, les tapis de cérémonie ont été soigneusement nettoyés et déroulés. Les journalistes accrédités ont investi le salon de réception. Leurs caméras sont disposées les unes à côté des autres pour retransmettre en direct les festivités du jour. Tout ce que Yaoundé compte de personnalités politiques et de pontes de l’administration a fait le déplacement. Au Cameroun, nul n’oserait bouder la cérémonie des vœux au chef de l’État, quand bien même celui-ci viendrait de célébrer la nouvelle année en tant que président pour la quarante-et-unième fois consécutive.

Louis-Paul Motaze, le fils adoptif

Debout, devant un fauteuil aux accoudoirs d’or et aux coussins d’émeraude, Paul Biya attend. Sous ses pieds, un cercle d’épaisse moquette de couleur crème semble délimiter son périmètre. Puis le défilé des dignitaires débute, remontant lentement le tapis rouge jusqu’à la sacrosainte personne du chef de l’État. Marcel Niat Njifenji, l’inamovible président du Sénat, s’avance à petits pas prudents jusqu’à la poignée de mains solennelle. Derrière lui, l’ambitieux vice-président de la Chambre haute, Aboubakary Aboudlaye, dans ses habits de lamido de Rey-Bouba. Un peu plus loin, Louis-Paul Motaze patiente encore.

Lui aussi est un habitué de l’exercice. Au gouvernement depuis quinze ans, il n’est plus guère impressionné par le faste de la cérémonie et la concentration de personnages importants. Il remonte lentement le long tapis rouge et s’arrête au niveau du morceau de ruban adhésif jaune collé au sol, devant le chef de l’État. La marque a été placée à bonne distance du maître des lieux, de manière à ce que ses visiteurs soient obligés de s’incliner profondément vers lui pour avoir droit à l’onction présidentielle. Sur la colline d’Etoudi, la révérence est obligatoire, y compris pour le puissant ministre des Finances.

Louis-Paul Motaze fréquente pourtant Paul Biya depuis quatre décennies. Sa mère, Mary Monengono, était en effet la sœur de Jeanne-Irène Biya, la première épouse du président, elle-même fille du commerçant en cacao Pierre Atcham. Le natif de Bengbis, dans le département du Dja-et-Lobo (Sud), a donc grandi en côtoyant le futur couple présidentiel. Après un baccalauréat obtenu à 17 ans, en 1976, à Sangmelima, Louis-Paul Motaze profite même de la protection de sa tante et de l’ascension de son oncle par alliance, devenu Premier ministre : il se lance dans des études de droit à l’université de Yaoundé et emménage chez les Biya, dans leur résidence du quartier du Lac.

« Les Biya l’ont pris sous leur aile »

« Les Biya l’ont quasiment élevé, comme cela a été le cas de Dieudonné Evou Mekou, le fils de la sœur du président. Ils l’ont pris sous leur aile dès qu’il est arrivé à Yaoundé », se souvient l’un de ses proches. Ambitieux, le futur ministre ne se fait pas prier pour saisir l’occasion. Diplômé en droit, il intègre aussitôt l’École nationale d’administration et de magistrature (Enam), en sort major de promotion, puis s’exile pour un temps en France, où il étudie le droit public et le transport international. De retour dans la capitale camerounaise, il intègre la société Cameroon Shipping Lines en 1984 puis, cinq ans plus tard, la compagnie aérienne nationale, la Camair.

Louis-Paul Motaze fait ses premières armes dans l’administration. Il faut dire que son profil a de quoi plaire : depuis 1982, son oncle a remplacé Ahmadou Ahidjo en tant que chef de l’État et sa tante est désormais première dame. En outre, Paul Biya a gardé à ses côtés comme aide camp Roger Motaze, le frère aîné et mentor de Louis-Paul. En 1984, Roger affrontera d’ailleurs la tentative de putsch au plus près du chef de l’État, qui lui en gardera une affection certaine. Puis vient l’année 1992, tournant aux accents tragiques.

Jeanne-Irène Biya, malade d’un cancer, et le capitaine Roger Motaze meurent à quelques semaines d’intervalle. « Je crois que Paul Biya a reporté sur Louis-Paul l’affection qu’il avait pour Roger », explique un ami. Le cadet devient, aux yeux du patriarche Biya, le chef de la branche familiale de son épouse défunte. Surtout, les réseaux de Louis-Paul Motaze prennent de l’ampleur et, en 1999, il gravit un échelon supplémentaire en prenant la tête de la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS). Son entrée dans le monde politique.

« On attend de vous deux fois plus »

« La CNPS l’a propulsé sur le devant de la scène », se remémore un collaborateur. Dans cette fin des années 1990, la caisse est en effet secouée par des grèves et des manifestations. Régulièrement, des retraités viennent crier leur colère sous ses fenêtres, fustigeant le retard ou l’absence de versement de leurs pensions. « En moins de six mois, il a commencé à tout débloquer. Les recettes ont augmenté, le nombre d’assurés a progressé et les paiements se sont stabilisés », rappelle un proche, qui se souvient de négociations parfois tendues avec le ministère des Finances. « Il y a mis énormément d’énergie », ajoute-t-il.

Sa relation avec Paul Biya est-elle un atout ? Interrogé à cette époque par Jeune Afrique, Louis-Paul Motaze tempère : « On attend de vous deux fois plus. » « C’est sûr qu’il est plus difficile de lui refuser quelque chose qu’à d’autres », sourit cependant un ami. Depuis son bureau situé au sixième étage du siège de la CNPS à Yaoundé, l’ancien de l’Enam construit son avenir. S’appuyant sur son réseau dans l’administration et au sein du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir), il s’entoure de fidèles avec, pour objectif, un challenge de taille : entrer rapidement au gouvernement.

« La CNPS lui a ouvert l’appétit », glisse un proche du palais d’Etoudi, qui a observé son ascension. En 2007, le voilà titulaire du portefeuille de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire dans le gouvernement d’Ephraïm Inoni. Il n’a alors que 48 ans mais il hérite de l’un des postes les plus stratégiques du pays, gérant les financements de grands projets d’infrastructures tels que le deuxième pont sur le Wouri, le port en eaux profondes de Kribi, les barrages de Lom-Pangar et de Memve’ele… Le neveu du « patron » est devenu incontournable.

Amougou Belinga, une bombe à retardement

Louis-Paul Motaze ne quittera plus le gouvernement. Nommé en 2011 secrétaire général de la primature de Philémon Yang – avec rang de ministre –, il continue d’y piloter les grands projets. Puis, en 2015, il est de retour à l’Économie, avant de passer en 2018 aux Finances, où il exerce toujours aujourd’hui. « Comme il l’a fait avec Alamine Ousmane Mey, Paul Biya l’a nommé à tous les postes importants des finances et des infrastructures. En façonnant des carrières ou en favorisant des nominations dans certains conseils d’administrations, Motaze a développé son réseau dans le milieu des entreprises comme dans celui des impôts et de l’administration”, explique l’un de ses proches.

Originaire comme lui du Dja-et-Lobo et de vingt ans son cadet, Martial Valéry Zang fait ainsi figure de bras droit depuis plus de dix ans. Cyrill Edou Alo’o (directeur général du Budget), Samuel Teba (directeur de la trésorerie) ou encore Constant Amvela Metou’ou (conseiller technique) font aussi partie de sa garde rapprochée, tandis qu’Isaak Richard Ngollè V, autre conseiller, se charge des relations avec le Groupement inter-patronal du Cameroun (Gicam) de Célestin Tawamba.

« L’un des meilleurs réseaux à Yaoundé et à l’international”, résume un habitué d’Etoudi. Pourtant, Louis-Paul Motaze ne manque pas non plus d’ennemis. Proche de Jean-Pierre Amougou Belinga, il paie régulièrement ce lien avec le sulfureux homme d’affaires, influent dans les médias – il est notamment propriétaire du groupe L’Anecdote – mais très décrié. Un familier du palais précise : « Amougou Belinga est une bombe à retardement. Tout le monde sait que Ferdinand Ngoh Ngoh veut s’en servir contre Louis-Paul Motaze. »

Le chef du « clan du Sud » ?

Tout au long de 2022, Yaoundé a en effet vécu au rythme des rebondissements dans l’affaire du dossier fiscal d’Amougou Belinga, qui aurait pu bénéficier d’un traitement de faveur du ministre des Finances, selon les détracteurs de ce dernier – parmi lesquels le secrétaire général de la présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh. Ces dernières années, les deux hommes se sont en outre opposés dans de nombreux dossiers, des chantiers de la Coupe d’Afrique des nations à la gestion des fonds liés à la pandémie de Covid-19, lesquels pourraient cacher des scandales financiers de premier ordre.

Dernier rebondissement en date : l’audit lancé à la demande de Ngoh Ngoh sur les lignes 65 et 94 du budget de l’État, régies par les ministères des Finances et de l’Économie. « On a l’impression d’une lutte à mort entre eux, dans l’optique de la succession de Paul Biya. L’un se sert de son poste à la présidence et de sa proximité avec la première dame. L’autre utilise ses relations avec le président lui-même et le clan du Sud, ainsi qu’avec le directeur de cabinet Samuel Mvondo Ayolo et avec Franck Biya », détaille un ancien membre du gouvernement.

Louis-Paul Motaze peut-il s’imposer comme la figure principale de ce « clan du Sud » ? En réalité, ce dernier est plus divisé qu’il y paraît. Le ministre n’entretient en effet que des rapports cordiaux avec Samuel Mvondo Ayolo, et ce dernier – fils d’enseignant comme lui – n’hésite pas à lui contester le statut de chef politique du département. En outre, Louis-Paul Motaze et Franck Biya ne sont pas particulièrement proches. Cousins, ils ne se fréquentent que peu aujourd’hui. « L’unité du clan du Sud n’existe que dans une seule situation : quand il faut s’opposer à Ngoh Ngoh », sourit un ami du ministre.

Ferdinand Ngoh Ngoh, « clé de la guerre des clans »

Doit-il donc chercher ses atouts ailleurs que dans le sud du pays ? Il pourrait en tout cas compter sur l’influence de Laurent Esso, le ministre de la Justice, qui s’oppose lui aussi farouchement à l’ascension de Ferdinand Ngoh Ngoh et fait figure de protecteur de Jean-Pierre Amougou Belinga. « Le secrétaire général est la clé de cette guerre des clans. S’il pousse ses rivaux à s’unir, Louis-Paul Motaze pourrait en profiter », glisse un habitué d’Etoudi. D’autant que le locataire des Finances a en main un autre atout : son mariage avec Aïcha, une musulmane native de l’Extrême-Nord, région cruciale en matière électorale.

Fille d’un gendarme chargé d’assurer la sécurité du Premier ministre Paul Biya, elle habitait elle aussi dans la vaste résidence du lac à la fin des années 1970. Elle y a rencontré l’étudiant Louis-Paul Motaze, qu’elle épousera en 1985 et avec qui elle aura deux garçons et une fille. « À l’époque, il ne s’était pas dit que cela pourrait être un atout près de quarante ans plus tard, sourit un ami. Mais c’est bien le cas. » Son épouse lui a ainsi permis de tisser ces dernières années une relation cordiale avec Chantal Biya, laquelle a par le passé affiché une certaine méfiance envers les protégés de la défunte Jeanne-Irène Biya.

Surtout, il a multiplié les investissements dans l’Extrême-Nord, où il possède aujourd’hui des ranchs et un important cheptel bovin. Également propriétaire dans le Dja-et-Lobo – il y cultive la banane plantain, le palmier à huile ou le piment –, ce chrétien assidu de la paroisse presbytérienne Marie-Gocker de Yaoundé entretient son image de membre de l’élite du Sud adoptée par le Grand-Nord. Cela suffira-t-il pour réaliser une ambition qu’il se garde bien d’officialiser ? Chaque matin ou presque, ce grand marcheur prend en tout cas la route reliant son luxueux domicile du quartier Bastos au mont Fébé, qu’il gravit à pied. Du sommet, il peut alors observer à loisir la colline d’Etoudi. Son prochain objectif ?

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