Par Evariste Fopoussi FOTSO
Dans l’un de nos précédents billets, commentant le message de vœux de M. Biya du 31 décembre 2022, nous nous sommes interrogés sur le fait qu’il présente comme un trophée de guerre le taux de croissance de l’économie camerounaise en 2022 qui est de près 3,8% alors qu’en Côte-d’Ivoire, son homologue Alassane Ouattara ne semble pas très satisfait des 7% de taux de croissance de l’économie ivoirienne de 2002 à 20225. Nous nous sommes également interroges sur le fait que depuis son arrivée au pouvoir, il continue à évoquer la crise économique mondiale (on se demande laquelle) pour justifier la dégringolade continue du Cameroun sur l’échiquier mondial et africain alors que pendant ce temps, les autres pays de la planète se battent chaque fois pour trouver des solutions endogènes et multilatérales aux multiples crises économiques et monétaires que le monde a connues. On dirait une recherche de boucs émissaires que pour bien vous aider à saisir dernièrement, nous vous avons pris l’exemple des pays de même niveau de développement comme la Côte-d’Ivoire, le Maroc ou le Rwanda qui, bien qu’ayant subi les mêmes crises, ont su tirer leur épingle du jeu au point de présenter aujourd’hui des bilans qui font l’admiration de tout le monde, pendant que le Cameroun, comme s’il était maudit, dégringole dans tous les classements mondiaux de cette année (droits de l’homme, climat des affaires, corruption, investissements directs étrangers, liberté de presse, démocratie etc.).
Comme pour nous donner raison, deux reportages sont sortis concomitamment cette semaine, l’un dans le magazine Jeune Afrique et l’autre dans le site d’information économiques Agence Ecofin, présentant ce que l’un d’eux a titré « Le match Cameroun-Cote-d ’Ivoire », à savoir une étude comparative sur l’évolution économique des deux pays pendant la dernière décennie. Un match qui se solde pour l’instant par une victoire sans appel du pays d’Houphouët Boigny et de Laurent Gbagbo. Nous vous épargnons de l’analyse de l’Agence Ecofin beaucoup plus longue et vous invitons à partager avec nous celle de Jeune Afrique plus condensée. Encore que les deux aboutissent pratiquement aux mêmes conclusions. Ensuite nous allons essayer de la commenter, en y ajoutant certains éléments en provenance d’autres sources, que nous avons plusieurs fois relevés mais qui en leur temps n’avaient pas particulièrement attiré votre attention, qui confirment que les analyses de Jeune Afrique et l’Agence Ecofin viennent simplement confirmer une tendance de fond qui démontre à souhait la descente aux enfers dans laquelle le régime Biya a engagé le Cameroun depuis son avènement.
« Les deux poids lourds de la zone CFA (Cameroun et Côte-d’Ivoire) ont connu des trajectoires de croissance radicalement différentes en dix ans. Avec des résultats comparatifs stupéfiants.
Toutes deux puissances agricoles et locomotives régionales, comparables par leur taille et la diversité de leurs populations, la Côte d’Ivoire et le Cameroun ont pourtant expérimenté durant la décennie écoulée, des réalités économiques bien distinctes.
L’écart entre leurs PIB est passé d’environ 5 milliards à près de 24 milliards de dollars (4,7 à 22,5 milliards d’euros), entre 2011 et 2022, au bénéfice d’Abidjan. Le pouvoir d’achat d’un Ivoirien moyen est désormais supérieur de 40 % à celui de son homologue camerounais. Longtemps à l’avantage du Cameroun, la part de l’industrie dans l’économie suit une trajectoire baissière depuis dix ans dans le pays, alors que la diversification agro-industrielle de l’économie ivoirienne ne cesse de croître.
Analyse économique, financière, industrielle et sociale ; points de vue de nombreux dirigeants, investisseurs, économistes et financiers familiers du pays des « Lions indomptables » et de la terre d’Éburnie… Dans une série inédite consacrée à ces deux poids lourds de la zone CFA, Jeune Afrique a analysé en profondeur leurs principales forces – et faiblesses – pour comprendre le contraste actuel entre leurs performances ».
Analysant les raisons de ce décrochage du Cameroun, Jeune Afrique constate :
« Une multitude de facteurs ont contribué à cette évolution, dont le moindre n’est pas la crise sécuritaire qui a frappé le Cameroun et ses voisins, pénalisant le commerce et la production agricole. Pourtant, selon les experts interrogés par Jeune Afrique, une attitude et une diligence différentes dans la conduite des politiques économiques ont creusé l’écart entre les deux pays.
« La Côte d’Ivoire a une meilleure gouvernance économique, qui repose, entre autres, sur l’intérêt fort qu’Alassane Ouattara, le président ivoirien, porte à la chose économique et que son passage au FMI a renforcé. La cohérence de l’action gouvernementale en matière économique est réelle », résume un chef d’entreprise camerounais.
La célérité dans le développement des infrastructures, l’attention soutenue dans la mobilisation des investissements étrangers, la facilitation continue de la vie des entreprises sont quelques uns des éléments de cette discordance. Pour preuve : nombre de Camerounais de la diaspora préfèrent s’installer à Abidjan plutôt qu’à Douala ou à Yaoundé, où ils peuvent juste ouvrir des bureaux.
…Entre-temps, Abidjan a pour sa part déjà amorcé la phase suivante de son développement. Avec l’aide de la Banque mondiale, le gouvernement planche sur les moyens d’accroître davantage la productivité de l’économie ivoirienne et des travailleurs ivoiriens ».
Tirant les leçons de ce décrochage continu du Cameroun par rapport à la Côte-d’Ivoire, la conclusion du journal du 57 B Rue D’Auteuil à Paris tombe comme un couperet :
« Sans réaction du côté camerounais, la simple divergence pourrait vite se transformer en… déclassement ».
Ce mot déclassement veut dire que dans bientôt, le Cameroun ne jouera plus dans la même division que la Côte-d’Ivoire. Une situation qui lui est déjà arrivé avec la Corée du Sud comme nous allons relever tout de suite. Nous nous contentons pour l’instant de répondre au journal du feu Bechir Ben Yahmed que le déclassement qu’il annonce pour demain, qui n’est pas seulement par rapport à la Côte-d’Ivoire, est déjà là. En voici quelques éléments
Si nous prenons par exemple le cas du Pib par habitant, la comparaison la plus douloureuse est avec la Corée du Sud. En 1960, le Pib par habitant du Cameroun était de 120,02 millions de dollar, presque au même niveau que celui de la Corée du Sud qui était de 158,27 millions de dollars. Aujourd’hui cette dernière est devenue un pays industrialisé (12e plus grande économie du monde en 2022), alors que le Cameroun a pris le chemin contraire, en passant de pays à revenu intermédiaire au moment où Biya a pris le pouvoir, à pays pauvre très endetté. Traduit en un Pib par habitant, en 2015 par exemple, celui de la Corée est de 28 732,23 millions contre 1667 pour le Cameroun. Converti en dollar d’aujourd’hui nous aurons 17 555 392 FCFA contre 1 018 537 CFA. Soit près de 17 fois celui le Pib par habitant du Cameroun.
Un autre facteur, Jeune Afrique note que « nombre de Camerounais de la diaspora préfèrent s’installer à Abidjan plutôt qu’à Douala ou à Yaoundé ». C’est tout simplement la conséquence de l’ostracisme vis-à-vis des 5 millions de camerounais de la diaspora, que le régime considère globalement comme tous des opposants. Ainsi, tout est fait pour les décourager de venir investir au Cameroun : refus de la double nationalité, complication des procédures d’obtention du passeport, hausse du visa d’entrée au moment où les autres pays africains baissent pour favoriser le tourisme etc. Conséquences, comme le note Jeune Afrique, cette dispora, l’une des plus dynamiques en Afrique, choisit d’investir en Côte-d’Ivoire, au Sénégal ou même au Rwanda, plutôt que de le faire au Cameroun.
A cette guerre contre la diaspora, on peut ajouter aussi la malgouvernance qui traduit un refus de la modernisation managériale qui lui aussi accélère le décrochage du Cameroun. La preuve, pendant que la plupart des ays africains se battent pour promouvoir la digitalisation et la numérisation de leur administration, le régime continue à saboter toutes les initiatives en la matière pour maintenir le Cameroun dans l’obscurantisme du traitement manuel des opérations administratives, afin de préserver les rentes des élites gouvernantes à travers particulièrement la corruption et les détournements des deniers publics. Ains depuis plus de dix ans il n’arrive pas à numériser ni la gestion budgétaire, ni celle du personnel de l’Etat, ni les procédures d’obtention des documents administratif (passeport, cartes d’identités, visas, processus électoral) etc. Pourtant, de nombreux programmes ont été essayés dessus sans succès, pourtant parfois avec les mêmes partenaires qui contribuent au succès des mêmes reformes dans d’autres pays africains.
En ajoutant a tout cela l’obscurantisme politique qui semble avoir fait son lit en Afrique centrale en général et au Cameroun en particulier, avec la persistance des dictatures anachroniques pendant que partout ailleurs, la vogue est à l’émergence de la démocratie et la bonne gouvernance, on arrive a la conclusion que le décrochage du Cameroun n’est pas seulement vis-à-vis de la Côte-d’Ivoire, mais surtout du mouvement du monde en général, à la manière d’un pays comme Haïti qui aujourd’hui, près de deux cents ans après son indépendance (1804), est aujourd’hui plus pauvre qu’il ne l’était à l’époque. Tenez, ici même en Afrique centrale ou la nature en a fait un géant sur tous les plans, donc un leader naturel, une récente étude de la Banque Mondiale que nous avons commentée dans l’une de nos derniers billets, révèle que sur le plan industriel et en matière de pénétration de l’internet, il est déjà dépassé par le Gabon et le Congo. Rien ne semble donc arrêter la chute.