Par Haman Mana
Tatie pain haricot-un-peu-de-tout… Elle a les ongles finement manucurés et peinturlurés. La mise plutôt soignée : une jupe droite en flanelle et une blouse blanche en satin, sans manches, suggérant l’avantage de son buste sans en révéler l’essentiel. Elle est chaussée de fines sandales en simili cuir, qui dévoilent de menues terminaisons traitées avec soin. Ses cheveux défrisés sont tirés en arrière et retenus par un chignon, révélant un petit front sage et des lèvres soulignées par un rouge discret. On la croiserait sans en tirer quelque étonnement , dans la hall VIP d’une banque. Elle vend du ” pain chargé”, au carrefour, à la sortie de chez moi. Droite comme un i devant sa tablette, sur la quelle sont disposés dans de petits seaux en plastique , son matériau de travail. De la viande hachée, du haricot, des spaghettis avec une sauce tomate, des menus morceaux de poisson frit, de la pâte d’arachide… Et à côté, dans un sac de jute, du pain. Des pains de toutes les dimensions. Elle tient en mains un couteau à la lame acérée, qui rentre dans le pain en s’arrêtant net à quelques millimètres de des doigts… Les commandes des clients, sagement alignés attendant d’être servis avant de sauter dans leur taxi, sont aussi coloriées qu’odorantes: ” pain-haricot-spaghetti”( Une jeune mère joufflue tenant par la main un marmot tout aussi joufflu); “pain-oeuf-viande-haricot” ( un solide soudeur aux grosses mains calleuses tenant dans l’une d’elles la bière qui va arroser l’ensemble); ” Pain-haricot simple, avec beaucoup l’huile sur ça ” ( Un collégien en uniforme, dont le budget petit dej’ ne doit pas dépasser une pièce de 100 FCFA..) ” Un peu de tout ” ( un chauffeur de taxi ayant garé non loin…) Inlassablement, de ses doigts de fée , elle fend le pain de son couteau, et le la cuillère appropriée, insère la commande, avec des mouvements d’une précision chirurgicale. Des fois, un habitué essaye une familiarité, à laquelle elle répond par un demi sourire, sans se déconcentrer… De 100f ( pain haricot simple) à 500f, il y en a pour tous les budgets, mais surtout, c’est le stop obligé de presque tout le quartier, du lever du jour jusqu’à neuf heures du matin, car tant pis pour les retardataires, les seaux de Tati se vident souvent vite, surtout celui de haricot. L’autre jour , un gars du quartier a cru devoir moquer la brave petite femme: ” depuis dix ans tu charges le pain, tu n’évolueras jamais ?”. Réponse acide de Tatie: ” Depuis dix ans tu bois l’alcool la nuit et le jour, ça va t’amener ou”?